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En vous appuyant sur les poèmes du corpus et sur tous ceux que vous connaissez, vous vous demanderez quelles sont les relations entre la poésie et le monde réel.

Publié le 17/01/2022

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Très fréquemment nous avons tendance à opposer la poésie à la réalité. Ainsi lorsque l'on dit de quelqu'un « c'est un poète «, le sens commun entend par là qu'il s'agit d'une personne qui n'est pas en prise avec le monde réel mais qui vit dans les rêves, dans un monde imaginaire. Pourtant, bien des poètes ont parlé du monde qui les entourait : des objets, de la nature, de la vie en société... Certains se sont même engagés politiquement, on peut citer l'exemple de Victor Hugo et de ses multiples prises de positions contre la peine de mort, contre « Napoléon le petit «... C'est pourquoi on peut se demander quels sont les rapports entre la poésie et le monde réel.
Certes, la poésie permet à l'auteur comme au lecteur d'échapper à la réalité par l'intermédiaire du langage et de l'imagination. Mais elle ne s'en écarte pas forcément, elle nous aide aussi à nous rapprocher plus intimement du monde réel, à le découvrir différemment. Ainsi, nous verrons quelle peut permettre de mieux percevoir la réalité et de nous en dévoiler ses mystères.

Ecrire ou lire de la poésie est souvent synonyme d'évasion, la poésie parle du monde du rêve et des émotions, de ce qui nous touche sans que nous en ayons une conscience bien claire. Les thèmes abordés par les poètes sont souvent éloignés de la réalité : L'évasion vers des destinations exotiques, souvent inaccessibles, un monde idéal, la beauté. C'est ainsi que l'image du poète va dans le même sens : on le désigne comme un rêveur qui n'a pas les pieds sur Terre et tourne le dos à la réalité. Ainsi, Mallarmé dans son poème célèbre « Brise Marine « s'exclame : « La chair est triste, hélas ! Et j'ai lu tous les livres / Fuir ! Là-bas fuir ! Je sens que les oiseaux sont ivres «. On retrouve aussi cette conception de la poésie chez certains romantiques hantés par le rêve et des idées mystiques comme Gérard de Nerval dans « les chimères «.
Mais de quelle réalité la poésie nous éloigne-t-elle et pourquoi ? Souvent il s'agit de fuir un lieu qui n'apporte que tristesse. Saint-John Perse, dans « Le mur «, « image à Crusoé « prête à Robinson l'envie de fuir par le rêve le confort triste de sa vie en Angleterre : « fauteuil gras «, « le goût des graisses et des sauces infecte les gencives « pour retrouver les rivages tropicaux de son île : «Et tu songes aux nuées pures sur ton île «. On trouve aussi cette même idée chez Du Bellay, poète du XVIème siècle dans le poème intitulé « Heureux qui comme Ulysse « dans lequel il se sent triste et étranger à Rome et regrette sa Touraine natale.
La poésie constitue parfois un refuge pour s'éloigner d'une situation personnelle difficile, en la disant et en la sublimant. Guillaume Apollinaire a ainsi exprimé son amour malheureux dans les poèmes à « Lou «, dans « Alcools « avec Le pont Mirabeau qui parle de Marie Laurencin, un amour perdu. De même Victor Hugo évoque la perte douloureuse de sa fille dans le poème « Demain dès l'aube «. L'expression poétique permet alors de s'éloigner d'une réalité trop dure à supporter par l'évocation de l'être cher perdu.
De plus, l'écriture poétique permet de prendre de la distance vis-à-vis d'un monde hostile et de la condition humaine qui provoque le rejet du poète. Par exemple Baudelaire est déchiré entre le Spleen et l'aspiration à l'idéal dans « Elévation « : « Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides «, « cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit «. Dans « Paysage «, Baudelaire cherche aussi à s'extraire des remous du monde en se plongeant dans l'évocation du printemps : « L'Emeute tempêtant vainement à ma vitre / Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ; car je serai plongé dans cette volupté d'évoquer le Printemps... «.
Enfin, la poésie éloigne du réel en créant d'autres univers. Dans tous les poèmes du corpus, un monde exotique est évoqué qui contraste avec le monde réel. Pour Victor Hugo il s'agit d'une ville Mauresque, chez Baudelaire, c'est un paysage féerique oriental, Jules Supervielle parle de son Uruguay natal et Sant-John Perse évoque l'île du pacifique sur laquelle Robinson à échoué et vécu. Dans tous les cas ces ailleurs sont emplis de couleurs chaudes et lumineuses, qui traduisent le bonheur, la sécurité. Exemple : dans « Paysage « : « [...] De tirer un soleil de mon coeur / et de faire de mes pensers brûlants une tiède atmosphère «.
Par conséquent, la poésie nous permet effectivement de nous évader en évoquant d'autres mondes ou d'autres époques et d'échapper à une réalité qui nous pèse.

Si la poésie offre la possibilité de fuir loin de la réalité, elle nous aide aussi à nous rapprocher du monde réel et à l'aimer. En effet, le poète est aussi attentif à la réalité qui l'entour. Ronsard lorsqu'il s'adresse à sa bien-aimée ne manque pas de lui rappeler qu'elle sera vieille un jour : « Quand vous serez bien vielle au soir à la chandelle «. Baudelaire aussi décrit avec réalisme l'opposition entre l'enfant riche et l'enfant pauvre dans « Le joujou du pauvre «. La vie quotidienne, les objets sont souvent traités par les poètes. Francis Ponge dans son ouvrage intitulé « le parti pris des choses « donne une vision poétique du pain, de l'huitre, de l'orange... en les décrivant avec beaucoup de réalisme. Le poète peut aussi porter son attention sur les difficultés de la réalité sociale ou politique du monde dans lequel il vit comme Victor Hugo la fait dans « Les châtiments « contre Napoléon III ou « Mélancholia «, sur le travail des enfants au XIXème siècle. Jacques Prévert, auteur engagé du XXème siècle, se sert de la poésie pour dénoncer la guerre et nous inciter à nous engager pour que les lendemains soient meilleurs. Par exemple, dans un poème intitulé « Familial «, il remet en cause le fait que les pères et les fils partent à la guerre comme si c'était une chose naturelle.
Enfin, le poète est un artisan qui façonne les mots de manière à leur redonner toute leur réalité. Par les images qu'il crée, il tente d'approcher le réel au plus près et d'en multiplier les sens. Lorsque Victor Hugo, dans « Rêverie «, compare une « ville mauresque « à « une fusée en gerbe épanouie «, il fait un détour par l'imaginaire pour mieux nous donner à voir tout l'éclat de cette ville. Francis Ponge, qui a consacré un poème au gui, utilise le pouvoir des mots pour nous faire sentir cette plante physiquement et nous la faire découvrir comme nous ne la connaissons pas : « Le gui la glu : sorte de mimosa nordique, de mimosa des brouillards. C'est une plante d'eau atmosphérique... « Il a recours à des oxymores : « mimosa nordique «, à des métaphores : « Tapioca gonflant dans la brume « qui nous surprennent mais nous dévoile avec beaucoup de réalisme toutes les facettes de cette plante et en renouvelle notre vision. La poésie permet donc de mieux percevoir la réalité, elle dévoile et montre les choses différemment en les plaçant dans d'autres contextes. Elle peut aussi rapprocher des réalités différentes pour en créer une autre : « Bergère Ô Tour Eiffel, le troupeau des ponts bêle « Apollinaire dans « Zone «. Le poète est en quelque sorte un voyant qui permet au lecteur d'appréhender la réalité en lui faisant découvrir un monde caché insoupçonné et d'accéder ainsi à une connaissance plus profonde du réel et de lui-même.

Si d'un côté, la poésie s'éloigne de la réalité, de l'autre, elle la saisit et nous la montre dans toute sa splendeur ou sa laideur pour permettre au lecteur de s'en rapprocher. Ainsi, la poésie nous fait ressentir et aimer le monde qui nous entoure grâce au pouvoir « magique « des mots.

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