enclosure
Publié le 07/02/2013
Extrait du document
1 | PRÉSENTATION |
enclosure, terme d’origine anglaise désignant le processus de la mise en clôture d’un terroir et engendrant la disparition de la vaine pâture et le partage des communaux. D’un point de vue historique, l’enclosure a été l’une des principales étapes de l’évolution dans la transition d’une agriculture féodale de subsistance à une agriculture moderne tournée vers le commerce.
2 | FIN DU SYSTÈME COMMUNAUTAIRE FÉODAL |
L’enclosure apparaît en Angleterre dès la fin du XIIIe siècle. Preuve que l’enclosure est un système qui va à l’encontre du principe de la communauté villageoise, dès cette époque, des textes de lois garantissent aux tenanciers, qui mettent en valeur les parcelles des fiefs, l’usage des terres non clôturées. L’agriculture, jusqu’alors exploitée sous forme communautaire, devient individualiste, voire spéculative selon un schéma qui existe également dans les Flandres et dans certaines régions d’Italie du Nord et de France.
La mise en clôture s’accélère à la fin du XVe siècle, au moment où la communauté paysanne se disloque sous les effets conjugués de la disparition du servage et de la tenure coutumière, d’une part, et de la crise démographique qui frappe l’Angleterre (comme le reste de l’Europe) depuis le XIVe siècle, d’autre part.
Les grands propriétaires terriens expulsent les paysans des communaux pour gagner de nouveaux pâturages. L’enclosure, parce qu’elle provoque la disparition des communaux et des vaines pâtures, accélère l’exode rural. Les communaux sont des portions de terrains (chemins, fossés, haies, bois, marais, etc.) ne faisant l’objet d’aucun acte de propriété et qui sont utilisés par tous les villageois pour leur bétail ou pour la récolte de bois. La vaine pâture permet aux habitants du village de faire paître leurs troupeaux sur les terres non clôturées, pendant toute la période allant de la récolte à l’ensemencement. Pour la petite paysannerie, elle constitue le seul moyen d’entretenir un peu de bétail. Les riches propriétaires anglais qui décident de clôturer leurs champs accaparent souvent dans le même temps les terrains communaux, en invoquant des droits seigneuriaux, et forcent les petits exploitants à vendre leurs parcelles à bas prix. Les champs labourés, sans enclos, sont remplacés par des pâturages fermés pour les moutons ; selon l’historien Marc Bloch, l’Angleterre est ainsi « l’Australie du Moyen Âge «. Acculée à la ruine, une grande partie de la petite paysannerie est contrainte de travailler pour l’industrie de la draperie, bénéficiaire indirect des enclosures avec l’expansion de l’élevage ovin.
Durant la première moitié du XVIe siècle, sous le règne d’Henri VIII, le pays est gagné par un profond mécontentement, ce qui amène Élisabeth Ire à décréter, en 1598, l’interdiction de toute nouvelle enclosure, malgré la pression des grands propriétaires. Le mouvement se poursuit cependant : ces mesures régulièrement réitérées depuis le XIIIe siècle n’ont aucun effet face à une évolution qui s’inscrit dans la disparition de tout le système économique féodal, appelé en Angleterre système du « manoir «.
Certains comtés, comme le Suffolk et le Kent, sont totalement enclos à partir du XVIe siècle. D’autres, comme le Buckinghamshire, connaissent au XVIIe siècle un ralentissement de la mise en place d’enclosures mais, dans l’ensemble, le mouvement s’amplifie à cette période. Dans le Bedfordshire, par exemple, la superficie enclose est de 4 137 acres en 1517, pour 10 007 en 1607. L’inefficacité de la législation est liée au fait que les grands propriétaires eux-mêmes, voire les paysans aisés (les yeomen) alors qu’ils trouvent bénéfice à l’enclosure, sont chargés de l’application de ces lois limitatives.
3 | NAISSANCE DE L’ÉCONOMIE AGRAIRE MODERNE |
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les clôtures se multiplient en Angleterre puis en France, mais sous la forme de haies vives. Les résistances anglaises aux enclosures, outre les lois inefficaces et les écrits humanistes s’insurgeant contre les expulsions brutales, prennent l’aspect de luttes radicales incarnées par les « niveleurs « lors de la guerre civile (1642-1649). Le Parlement les dénonce en 1659 comme « une secte de radicaux religieux et politiques «. Ce mouvement s’étend à toute l’Angleterre après 1760, au moment même où démarre la révolution industrielle, et atteint son apogée au milieu du XIXe siècle. Stimulé par le General Enclosure Act de 1801 (« loi de clôture générale «), il est freiné après 1845 par une loi destinée à mettre un terme aux abus.
Pays de moyenne propriété, l’Angleterre voit la constitution de grands domaines soumis à une agriculture intensive et rationalisée, capables de répondre à la demande croissante des marchés urbains. Cette rapide concentration des terres se fait aux dépens de la petite paysannerie aisée qui, après avoir tenté en vain de s’opposer au phénomène, subit une dégradation de son statut ; elle se retrouve la plupart du temps en fermage ou en métayage sur des terres qu’elle possédait autrefois. Ceux de moindre condition, qui ne trouvent plus à s’employer dans les campagnes, forment le gros de l’exode rural. L’industrie, en plein essor, bénéficie de l’afflux de cette main-d’œuvre abondante.
Les riches propriétaires mettent en œuvre plusieurs moyens pour accroître la production agricole : assèchement des marais, déboisement et surtout suppression de la jachère par une meilleure utilisation des engrais naturels, notamment grâce à l’accroissement de l’élevage. Le développement des prairies artificielles encloses et des racines fourragères doivent permettre de rompre le cercle vicieux d’une agriculture pauvre en bétail faute de terres (système de la jachère et faible rendement des terres cultivées).
Les Pays-Bas, la Belgique, le Nord de la France et de l’Italie sont gagnés par le mouvement au début du XIXe siècle. En France, les communaux ayant été récupérés par les communes pendant la Révolution française, les grands propriétaires terriens peuvent acquérir ces terrains dans le cadre de ventes aux enchères. Cependant, sur les terres agricoles françaises, la jachère continue d’être pratiquée jusqu’en 1850.
Dans toute l’Europe, les enclosures sont la preuve que s’achève lentement la mutation économique qui fait passer le monde du temps des communautés au temps des entrepreneurs — du temps de la survie par la solidarité au temps de l’enrichissement par la spéculation agricole.