FICHE DE LECTURE: LES MOUCHES DE JEAN-PAUL SARTRE

I – Biographie de Jean-Paul Sartre (écrivain français et philosophe du XXème)    Jean-Paul Sartre (1905-1980), orphelin de son père décédé peu de temps après sa naissance de la fièvre jaune, a été élevé par sa mère dans un milieu bourgeois parisien. Il entre, en 1924, à l'Ecole normale supérieure, où il fera la rencontre de Raymond Aron, Paul Nizan. Il est reçu premier en 1929 à l'agrégation de philosophie. Sa première publication philosophique (L'Imagination, 1936) précède les écrits littéraires (La Nausée, 1938, et Le Mur, 1939) qui feront sa renommée. En 1943, Les Mouches, pièce de théâtre tragique reprenant le mythe d'Oreste connait un grand retentissement et Sartre, par la Libération, va devenir un écrivain célèbre, bien que sa grande œuvre philosophique L'Etre et le Néant (1943), n'ait connu que peu de succès.  En 1945, Sartre quitte le milieu de l'enseignement et se consacre à l'écriture. Il fonde, avec Simone de Beauvoir, sa compagne, et Maurice Merleau-Ponty, la revue des Temps Modernes, politiquement très engagée et, par la suite, inspiré de la philosophie allemande et danoise, ses grandes oeuvres telles que Huit Clos en 1945, Les Mains Sales en 1948 ou même Réflexion sur la Question juive en 1947 lui auront values une immense réputation et auront parfois même provoquées le scandale et les réticences.  A partir de 1950, Sartre se rapproche du Parti communiste dont il est un " compagnon de route ", critique et avec lequel il rompra totalement en 1968, lors de l'invasion de la Tchécoslovaquie. De 1950 aux années 1960, Sartre approfondit remarquablement la théorie marxiste par son approche de la politique et son engagement (Critique de la raison dialectique, 1960). Les mots (1964) lui vaudront le Prix Nobel de littérature, qu'il refusera. Avec son ouvrage sur Flaubert (L'Idiot de la famille, 3 tomes, 1971-1972), il semble se rapprocher de la psychanalyse. Atteint de cécité, il continue néanmoins à travailler et à militer. Il meurt, en 1980, ayant mené une vie engagée, qui force souvent l'admiration (Sartre était profondément désintéressé et indifférent à l'argent).  Jean-Paul Sartre dans toute son œuvre, est le philosophe de la liberté. Récusant la fatalité, il a peint l'homme, dans tous ses écrits, comme un existant maître de ses valeurs et de l' histoire. Intransigeant et fidèle à lui-même et à ses idées, il meurt, le 15 avril 1980 à Paris.    II – Résumé de l'oeuvre : Les mouches (1943)    Sous le nom de Philèbe, Oreste, qui est âgé de vingt ans, revient avec son pédagogue dans sa ville natale, Argos, dont il ignore tout, qu’il voit assaillie par des millions de mouches, symbole des remords d'Argos à la suite de l’assassinat de leur roi, Agamemnon, par sa femme, Clytemnestre, et son amant, Égisthe tourmentent chaque habitant rongé par le repentir de ses crimes, jusqu'aux souverains. La soeur d'Oreste, Électre, qui était restée à Argos, est réduite à l’état de servante, pendant que l'on a éloigné Oreste de la ville, enmené chez son oncle. Oreste a donc été élevé dans l'irresponsabilité pour jouir de la vie tout en restant détaché comme le lui rappelle son précepteur : «À présent vous voilà jeune, riche et beau, avisé comme un vieillard, affranchi de toutes les croyances, sans famille, sans patrie, sans religion, sans métier, libre pour tous les engagements et sachant qu'il ne faut jamais s'engager, un homme supérieur enfin.« Ne songeant qu'à demeurer dans cette position indécise, il ne veut «pas d'histoires«.  Pourtant, il éprouve un malaise : s’il est libre, si rien ne le contraint, rien ne lui appartient non plus. Sa liberté reste vide et il se demande s'il vit vraiment. Les êtres humains, qui, eux, ont leurs problèmes, semblent des étrangers à l'égard d'Oreste qui n'en a pas. Se sentant loin de la vie, Il envie leur affairement, il voudrait devenir homme parmi les hommes. Il voudrait connaître ce contact avec la réalité qui donne son emploi à une liberté abstraite ; il veut se mêler aux êtres humains, partager la chaleur et la solidarité humaines qui pourraient donner un contenu, une réalité pratique et un terrain d'action, à la liberté ; il voudrait entrer dans leurs querelles, pour transformer le monde en lui donnant le sens qu’il a choisi. Il faut agir et choisir, mais, velléitaire, il vacille, il se résoudrait à quitter Argos sans agir. Or, rencontrant Électre, qui n’est qu’une servante, et Clytemnestre, il découvre qu’il est le frère de l’une, le fils de l’autre et décide de rester à Argos.  Par la même occasion, Électre, qui côtoie le couple criminel et qui a attendu durant quinze ans le retour de son frère, vengeur d'Argos et de son père, le pousse à agir. Mais le conformisme social intervient alors sous les traits de Jupiter : à quoi bon punir un assassinat aussi éloigné dans le temps, troubler l'ordre établi au nom d'une justice ancienne?  C'est alors qu'Oreste découvre qu'il peut choisir de lui-même, sous rançon de sa responsabilité, la forme que prendra le monde grâce à lui. Et il choisit : il n'obéira pas à ce conformisme et commettra l’acte irréparable de venger la mort de son père, quoi qu'il doive en coûter, en tuant successivement, Égisthe et Clytemnestre. Renié par sa soeur parce qu’il l’a privée de sa raison de vivre, Oreste a alors choisit d'assumer son matricide car : « je suis un homme, Jupiter, et chaque homme doit inventer son chemin«. Craint par le peuple d'Argos, Oreste se vit obligé de quitter Argos, le rideau de mouches sur sa tête, l'entraînant avec lui et, attirant sur son âme, le déchaînement des Erinnyes, déesses de la vengeance et du remords.    III – Schéma actanciel des Mouches    Pour qui agit-il ? A qui profite son action ?  Lui-même, son père Lui-même, Electre, Agamemnon  Electre,    Sujet  Oreste    Objet  Venger son père par un matricide et par la mort d'Egisthe    Aides Opposants  Electre, Apollon, le pédagogue Jupiter, Clytemnestre, Egisthe    IV – Ressemblances et différences avec le mythe d'Oreste    Tout d'abbord, on remarque que Jean-Paul Sartre pour cette pièce Les Mouches s'inspire du mythe du dernier enfant d'Agamemnon et de Clytemnestre : Oreste, appartenant à la famille des Atrides (famille qui servait de support historique pour le théâtre grec). Personnage au destin tragique (père tué par sa mère et mère tué par ses fins) et au niveau social élevé, on remarque que le retour d'Oreste avec son pédagogue sous le nom de Philèbe pour sauver Argos et venger son père est présent aussi bien dans le mythe que dans l'œuvre de Sartre, à la seule différence que Sartre ajoute l'invasion des mouches à la tragédie matricide et que le retour d'Oreste n'est pas commandité par le dieu des Arts : Apollon. En effet, rien ne sera modifié du point de vue du meurtre du couple criminel. Electre, comme dans le mythe du cadet des Atrides, l'aidera à venger son père et sauver la cité d'Argos après qu'il ait découvert qu'elle était sa soeur, et qu'il devait tuer sa mère meurtrière ainsi que son amant Egisthe. De plus, après avoir vengé son père, la nouvelle fuite d'Oreste est similaire à celle du mythe. Renié de sa soeur parce qu'il l'a privée de sa raison de vivre et assumant son acte, sa liberté et celle du peuple d'Argos, Oreste s'enfuit, poursuivi par les Erinnyes, qui lui annonceront la vengeance de Jupiter et les remords. Cependant, lors de sa fuite, Oreste entraîne le nuage de mouches ajouté à la tragédie par Jean-Paul Sartre : « Regardez ! Regardez les mouches ! Et puis tout d'un coup ils se précipitèrent sur ses traces. Et le joueur de flûte avec ses rats disparut pour toujours. Comme ceci. «. Or, aucun rideau de mouches n'apparaît dans le mythe.  Un retour sous le nom de Philèbe avec son pédagogue pour venger son père en tuant le couple meurtrier (se cachant après dans le temple d'Apollon) et donc, par la même occasion, sauver Argos des mouches et affirmer sa liberté en ne respectant pas Dieu (Jupiter) qui mena Oreste à une fuite suivi par les Erinnyes fait donc parti de la reprise du mythe et de ses réalités alors que le rideau de mouches qui ronge chaque habitant de la cité d'Argos par le repentir de ses crimes et un retour d'Oreste non commandité par Apollon font parti de l'ajout.    V – En quoi cette pièce est-elle tragique ? Quel est son sens ?    Premièrement, Jean-Paul Sartre s'inspire, comme cela a été dit précédemment du mythe du cadet des Atrides, famille représentative du théâtre grec antique. En effet, Oreste, fils d'Agamemnon et de Clytemnestre possède un mythe douloureux. Tout d'abord, son père s'est fait tué par sa mère et son amant, Egisthe. Il sera donc envoyé à l'âge de 5 ans chez son oncle. Ensuite, de retour à l'âge de 20 ans sous une fausse identité à Argos et attendu comme le vengeur du trône et le sauveur de la ville, Oreste tue, avec l'aide de sa soeur Electre, Clytemnestre et son amant. Le drame est donc un matricide contre l'avis de Jupiter, offensé et énervé. Il se voit contraint de quitter la ville assumant sa liberté mais soumis à des forces supérieures, poursuivi par les Erinnyes, déesses de la vengeance et des remords envoyé par Jupiter. Les Mouches de Sartre est donc une pièce tragique car son personnage principal et sa famille sont tragique. En effet, Oreste est soumis à des forces supérieures (Jupiter et sa soeur qui l'envoie chez son oncle), malgré la lutte qui le mènera à tuer sa mère et son amant. De plus, Oreste, le héros tragique est loin de nous par son niveau social élevé, et, une autre lutte subsiste : celle de la liberté et de la culpabilité . En effet, le jeune Oreste par son retour lutte contre le pouvoir tyrannique et la prédominance de Dieu (Jupiter), car pour lui : « Chaque homme doit inventer son chemin «. Oreste se bat contre le fait que Jupiter ait fait naître les êtres humains libre, mais qu'ils n'étaient plus maître de leur liberté. Au lieu de se repentir et de culpabiliser, ce qui lui aurait valu la clémence divine, Oreste a assumé son acte, comme acte de liberté et de rejet envers la tyrannie qui mène à l'échec du pouvoir divin.  En transposant le mythe des Atrides, Sartre voulait faire réfléchir sur la permanence de certaines données humaines, c'est-à-dire le repentir véhiculé par le catholicisme, allié des nazis. Oreste est donc de toute évidence le résistant type qui voulait redonner courage au peuple français dont la situation se retrouve aisément chez les argiens. En effet, Egisthe et Jupiter représentent le duo Pétain/Catholicisme qui conseillait avec bienveillance de collaborer. En se résolvant à agir, à commettre un acte qui lui appartient, Oreste apprend que la grandeur de l'être humain est dans cet «engagement«, dans la volonté de se faire responsable. Il devient le héros existentiel qui assume sans réserve la responsabilité de son acte. Nul destin ne s’impose à l’être humain qui choisit d’être libre.  Jean-Paul Sartre dénonce donc par le théâtre le régime de Vichy et son instrumentalisation de concepts religieux dans le but de soumettre et de dominer la population française, tout en appuyant sur l’étroite liaison entre Eglise et pouvoir mais également des possibilités qu’avaient les intellectuels français pour lutter contre la domination vichyssoise, tout en se protégeant contre la censure et les représailles des adversaires politiques.