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Harry Truman, le capitaine de la guerre froide

Publié le 17/01/2022

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12 mars 1947 - " Je n'ai jamais prétendu être un grand président des Etats-Unis, mais je me suis beaucoup amusé à essayer d'en devenir un. " Ce mot de Harry Truman traduit assez bien la personnalité de celui que l'Occident avait à sa tête à l'époque du plus grave défi que le monde communiste lui ait jamais présenté. Chez cet enfant du Missouri, tour à tour comptable, mercier, capitaine d'artillerie pendant la première guerre mondiale, puis agriculteur, qui avait franchi, depuis celui de juge, tous les échelons de la vie politique américaine avant d'être appelé par Roosevelt en 1944 à devenir son colistier pour la vice-présidence, se trouvaient en effet réunis deux traits de caractère qui vont assez rarement de pair : la modestie et le goût de l'action. Rien ne le prédisposait à ce rôle de premier plan dans la guerre froide. Devenu en 1935, à l'âge de cinquante et un ans, sénateur de son Etat natal, Truman n'avait d'autre ambition que de garder ce siège qui lui était échu, presque par accident, à la suite d'intrigues compliquées au sein de la " machine " du Parti démocrate. En avril 1945 encore, il déclarait à un groupe de journalistes qu'on s'était " moqué de lui " en l'élisant à la vice-présidence, son seul voeu étant de retrouver un jour son siège à la Haute Assemblée. Deux jours plus tard, Mrs Roosevelt le faisait venir pour lui apprendre la mort subite de son mari. " Depuis des semaines, écrit-il dans ses Mémoires, je vivais dans la crainte qu'un malheur n'arrivât à ce grand chef, mais au moment où la pire catastrophe se produisit, je n'étais pas préparé à l'affronter. " Ce n'est pas seulement moralement que son impréparation était évidente. A cette époque, le vice-président, à part sa charge de speaker du Sénat, n'était qu'un héritier présomptif. Il n'était associé en aucune manière aux grandes décisions du gouvernement, ni même à l'élaboration de sa politique générale. Or Truman arrivait au pouvoir en un moment où se posaient pour l'homme qui allait s'asseoir dans le fauteuil présidentiel une série de choix de première importance. Deux mois et demi après Yalta, les relations entre les alliés de l'Est et de l'Ouest étaient extrêmement tendues, du fait de la manière très particulière dont Staline interprétait la " déclaration sur l'Europe libérée " adoptée à la conférence et l'accord conclu sur le sort de la Pologne. Dans quelques semaines, le Reich allait capituler. Rien n'était vraiment décidé quant au traitement qu'allaient lui infliger ses vainqueurs. Encore quelques semaines, et un essai réussi dans le désert du Nouveau-Mexique mettrait à la disposition des Etats-Unis une arme qui rendrait d'un seul coup démodées toutes celles qui, depuis de millénaires, avaient écrit l'histoire de l'humanité. Truman avait peu d'attirance pour le système communiste. En 1941, il avait exprimé l'avis que du Reich ou de l'URSS, les Etats-Unis devraient aider celui qui serait en train de perdre la guerre, d'une manière à laisser " se tuer le plus possible " ces deux ennemis de la civilisation. Peu de temps après son entrée à la Maison Blanche, il adressa à Staline, à propos de Trieste que les troupes de Tito faisaient mine d'annexer et de l'Autriche où il avait reconnu un gouvernement provisoire sans consulter personne, des messages personnels qui prenaient l'allure de véritables mises en demeure et qui, d'ailleurs, furent suivis d'effet. A cette époque cependant, il voulait éviter la rupture avec l'allié russe. Il était persuadé, comme la plupart des chefs de l'armée, que son concours était indispensable pour venir à bout, une fois l'Allemagne à terre, de l'impérialisme japonais. Il envoya donc à Moscou Harry Hopkins, l'éminence grise de Roosevelt, pour y conclure avec Staline un arrangement des plus boiteux sur la Pologne. Il résista aux demandes de Churchill, qui voulait ajourner " jusqu'à ce qu'on ait bien vu où on en était avec la Russie " le repli des troupes américaines sur la ligne arrêtée précédemment entre les diplomates alliés et qui, aujourd'hui encore, sépare les deux moitiés de l'Allemagne et de l'Europe. Truman fit ses débuts dans la diplomatie à Potsdam en juillet 1945, ne dédaignant pas à cette occasion de jouer du piano devant Staline, grand amateur de Chopin. Les conversations furent souvent difficiles, bien qu'on s'entendît sur un grand nombre de points, et en particulier sur l'administration quadripartite de l'Allemagne. Six mois plus tard, il écrivait à son secrétaire d'Etat, James Byrnes: " Je suis fatigué de dorloter les Soviétiques. Si on ne traite pas la Russie avec une main de fer et de façon vigoureuse, une autre guerre se prépare. Ils ne comprennent qu'un langage : combien avez-vous de divisions ? " Entre-temps, la bombe atomique avait transformé la scène mondiale. Au soir d'Hiroshima, Truman exprima son orgueil : " Nous pouvons nous dire, s'écria-t-il, que nous sortons de cette guerre la nation la plus puissante du monde, la nation la plus puissante de l'histoire ! " Son attitude vis-à-vis de l'URSS s'en trouva dans l'instant modifiée. Il avait eu besoin d'elle pour venir à bout du Japon; elle devenait un créancier encombrant dont il allait s'efforcer désormais de réduire au maximum les prétentions. Elle disposait d'une puissance militaire telle que pour les conseillers militaires de Roosevelt, qui redoutaient de voir l'armée rouge déferler jusqu'au Rhin, elle devait dominer nécessairement l'Europe, ce qui impliquait qu'on cherchât à s'entendre dans toute la mesure du possible avec elle. Mais que signifiaient dorénavant ces millions de combattants hors pair dès lors que l'on possédait les quelques bombes qui permettraient de mettre leur gouvernement à genoux? Truman ne fut à aucun moment tenté de suivre les conseils de ceux qui l'invitaient à utiliser le monopole atomique américain pour obliger les Russes à se replier à l'intérieur de leurs frontières. Mais ce monopole lui fournit le " parapluie " à l'ombre duquel il pratiqua-sans trop de risques-une politique de résistance déterminée à l'avance du communisme au-delà du " rideau de fer ". Malgré l'aide américaine massive, le Royaume-Uni n'était pas en mesure de contenir seul la pression soviétique, qui s'exerçait alors contre l'Iran, la Turquie et la Grèce. En décidant de prendre la relève des Anglais dans ces secteurs traditionnels de leur influence, Truman jeta la première pierre de la politique qui allait bientôt faire des Etats-Unis, partout dans le monde, le protecteur des systèmes " bourgeois " menacés par le défi communiste. Bien qu'il n'eût pas les mêmes motivations, l'appui décisif donné par le président à la création de l'Etat d'Israël devait aller dans le même sens. Dès mars 1946, Truman mit en demeure l'URSS de retirer ses troupes de l'Azerbaïdjan iranien, qu'elles continuaient d'occuper au mépris des accords de Potsdam, et où elle avait installé un gouvernement séparatiste doué de tous les attributs de la démocratie populaire; il gagna la partie. Au mois d'août de cette même année 1946, le président Truman fit savoir au Kremlin, qui avait invité Ankara à mettre en commun la défense des détroits, que cette charge devait incomber principalement à la Turquie, et que si cette région devenait l'objet d'une attaque, les Etats-Unis y verraient une menace à la sécurité internationale. La présence d'une escadre américaine dans les eaux du Bosphore attestait le sérieux de sa résolution, devant laquelle Staline, là aussi, plia. Enfin, lorsqu'en février 1947 Attlee prévint Washington qu'il se voyait dans l'obligation de retirer les troupes qui soutenaient le gouvernement royal grec contre les partisans communistes maîtres de tout le nord du pays, le successeur de Roosevelt n'hésita pas une seconde. " Le moment était venu, écrit-il dans ses Mémoires, de ranger les Etats-Unis d'Amérique dans le camp et à la tête du monde libre. " Le 12 mars, il présentait au Congrès ce qu'on a appelé depuis la doctrine Truman. Opposant les deux systèmes qui se disputaient le monde, " celui qui repose sur la volonté de la majorité et les institutions libres " et celui qui s'appuie " sur la terreur, l'agression, la suppression des libertés ", il obtint, en précisant bien qu'il ne s'agissait que d'un commencement, une autorisation de crédits de 250 millions de dollars pour la Grèce, de 150 millions de dollars pour la Turquie. Deux ans plus tard les partisans grecs cessaient le combat. Le 5 juin 1947, le général Marshall, depuis quelques mois secrétaire d'Etat, prononçait à l'université Harvard le discours dans lequel il lançait le plan d'assistance à l'Europe qui devait immortaliser son nom. Bientôt des négociations s'ouvraient à Paris; la venue des Soviétiques parut autoriser certains espoirs. Mais le 2 juillet Molotov rompait les pourparlers. L'Europe se coupait en deux, Dès lors, tandis que le Kominform dénonçait les tentatives de l'impérialisme américain pour établir sa " domination mondiale ", Truman franchissait tous les pas qui allaient mener son pays de son isolationnisme traditionnel à la direction du monde occidental. C'était bientôt la conclusion du traité de Bruxelles, dirigé non plus comme l'alliance franco-britannique de l'année précédente " contre l'Allemagne ", mais, à la suggestion de Washington, " contre toute agression ", et les premiers efforts d'unification européenne ouvertement patronnés par les Etats-Unis. Le Kremlin réagissait à la réforme monétaire dans les zones occidentales d'Allemagne par le blocus de Berlin. Truman, non sans hésitations, se prononçait en faveur du pont aérien qui allait sauver la ville, après avoir écarté les suggestions de ceux qui voulaient en forcer l'accès manu militari. Au printemps 1949, Staline devait reconnaître qu'il avait perdu la partie. Mais la levée du blocus intervint trop tard pour empêcher la conclusion, le 4 avril, du pacte atlantique. Et le déclenchement des hostilités en Corée l'année suivante devait porter la guerre froide à son comble. Truman, dans ses tentatives pour appliquer à l'Asie la théorie de l'endiguement, formulée en 1947 par le diplomate américain George Kennan, avait connu un grave échec. La mission de médiation du général Marshall, en Chine, entre Mao Zedong et Tchiang Kaï-Chek n'avait, pas plus que l'aide énorme donnée à l'armée nationaliste, réussi à empêcher le triomphe définitif des communistes à Pékin, en 1949. Les démocrates devaient payer cher au moment de la campagne électorale de 1952 la " perte de la Chine ". A partir de 1953, revenu chez lui à Independance, Harry Truman y mena une vie paisible entre sa femme et sa fille, mariée à un journaliste. Sec et droit, malgré son grand âge, l'oeil vif derrière ses lunettes, toujours souriant et souvent mordant, il avait pris fait et cause dans les diverses campagnes électorales pour les candidats démocrates, de Stevenson à Humphrey, en passant par Kennedy. De temps à autre, un propos tranchant manifestait que son hostilité au communisme n'avait en rien désarmé. Il était sans doute trop âgé et avait vécu personnellement des expériences trop concluantes pour comprendre le fantastique changement qui, après la mort de Staline, dont le règne prit fin deux mois après le sien, avait commencé de marquer le monde communiste. Mais il est douteux que sans sa volonté de tenir bon, sans le soutien qu'il sut donner dès la première minute à la cause de l'unification européenne, ces changements se seraient produits... ANDRE FONTAINE Le Monde du 28 décembre 1972

« trop de risques-une politique de résistance déterminée à l'avance du communisme au-delà du " rideau de fer ". Malgré l'aide américaine massive, le Royaume-Uni n'était pas en mesure de contenir seul la pression soviétique, qui s'exerçaitalors contre l'Iran, la Turquie et la Grèce.

En décidant de prendre la relève des Anglais dans ces secteurs traditionnels de leurinfluence, Truman jeta la première pierre de la politique qui allait bientôt faire des Etats-Unis, partout dans le monde, le protecteurdes systèmes " bourgeois " menacés par le défi communiste.

Bien qu'il n'eût pas les mêmes motivations, l'appui décisif donné parle président à la création de l'Etat d'Israël devait aller dans le même sens. Dès mars 1946, Truman mit en demeure l'URSS de retirer ses troupes de l'Azerbaïdjan iranien, qu'elles continuaient d'occuperau mépris des accords de Potsdam, et où elle avait installé un gouvernement séparatiste doué de tous les attributs de ladémocratie populaire; il gagna la partie. Au mois d'août de cette même année 1946, le président Truman fit savoir au Kremlin, qui avait invité Ankara à mettre encommun la défense des détroits, que cette charge devait incomber principalement à la Turquie, et que si cette région devenaitl'objet d'une attaque, les Etats-Unis y verraient une menace à la sécurité internationale.

La présence d'une escadre américainedans les eaux du Bosphore attestait le sérieux de sa résolution, devant laquelle Staline, là aussi, plia. Enfin, lorsqu'en février 1947 Attlee prévint Washington qu'il se voyait dans l'obligation de retirer les troupes qui soutenaient legouvernement royal grec contre les partisans communistes maîtres de tout le nord du pays, le successeur de Roosevelt n'hésitapas une seconde.

" Le moment était venu, écrit-il dans ses Mémoires, de ranger les Etats-Unis d'Amérique dans le camp et à latête du monde libre.

" Le 12 mars, il présentait au Congrès ce qu'on a appelé depuis la doctrine Truman.

Opposant les deuxsystèmes qui se disputaient le monde, " celui qui repose sur la volonté de la majorité et les institutions libres " et celui qui s'appuie" sur la terreur, l'agression, la suppression des libertés ", il obtint, en précisant bien qu'il ne s'agissait que d'un commencement, uneautorisation de crédits de 250 millions de dollars pour la Grèce, de 150 millions de dollars pour la Turquie.

Deux ans plus tard lespartisans grecs cessaient le combat. Le 5 juin 1947, le général Marshall, depuis quelques mois secrétaire d'Etat, prononçait à l'université Harvard le discours danslequel il lançait le plan d'assistance à l'Europe qui devait immortaliser son nom.

Bientôt des négociations s'ouvraient à Paris; lavenue des Soviétiques parut autoriser certains espoirs.

Mais le 2 juillet Molotov rompait les pourparlers.

L'Europe se coupait endeux, Dès lors, tandis que le Kominform dénonçait les tentatives de l'impérialisme américain pour établir sa " dominationmondiale ", Truman franchissait tous les pas qui allaient mener son pays de son isolationnisme traditionnel à la direction du mondeoccidental. C'était bientôt la conclusion du traité de Bruxelles, dirigé non plus comme l'alliance franco-britannique de l'année précédente" contre l'Allemagne ", mais, à la suggestion de Washington, " contre toute agression ", et les premiers efforts d'unificationeuropéenne ouvertement patronnés par les Etats-Unis.

Le Kremlin réagissait à la réforme monétaire dans les zones occidentalesd'Allemagne par le blocus de Berlin.

Truman, non sans hésitations, se prononçait en faveur du pont aérien qui allait sauver la ville,après avoir écarté les suggestions de ceux qui voulaient en forcer l'accès manu militari. Au printemps 1949, Staline devait reconnaître qu'il avait perdu la partie.

Mais la levée du blocus intervint trop tard pourempêcher la conclusion, le 4 avril, du pacte atlantique.

Et le déclenchement des hostilités en Corée l'année suivante devait porterla guerre froide à son comble. Truman, dans ses tentatives pour appliquer à l'Asie la théorie de l'endiguement, formulée en 1947 par le diplomate américainGeorge Kennan, avait connu un grave échec.

La mission de médiation du général Marshall, en Chine, entre Mao Zedong etTchiang Kaï-Chek n'avait, pas plus que l'aide énorme donnée à l'armée nationaliste, réussi à empêcher le triomphe définitif descommunistes à Pékin, en 1949.

Les démocrates devaient payer cher au moment de la campagne électorale de 1952 la " perte dela Chine ". A partir de 1953, revenu chez lui à Independance, Harry Truman y mena une vie paisible entre sa femme et sa fille, mariée à unjournaliste. Sec et droit, malgré son grand âge, l'oeil vif derrière ses lunettes, toujours souriant et souvent mordant, il avait pris fait et causedans les diverses campagnes électorales pour les candidats démocrates, de Stevenson à Humphrey, en passant par Kennedy.

Detemps à autre, un propos tranchant manifestait que son hostilité au communisme n'avait en rien désarmé.

Il était sans doute tropâgé et avait vécu personnellement des expériences trop concluantes pour comprendre le fantastique changement qui, après lamort de Staline, dont le règne prit fin deux mois après le sien, avait commencé de marquer le monde communiste.

Mais il estdouteux que sans sa volonté de tenir bon, sans le soutien qu'il sut donner dès la première minute à la cause de l'unification. »

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