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Hirohito capitule

Publié le 17/01/2022

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15 août 1945 -   En quelques semaines, l'appel dramatique d'une voix " divine " à la radio, puis une saisissante photo parue dans les journaux ont modifié profondément l'image de l'empereur Hirohito et, partant, la face du Japon.

   Le 15 août 1945, le souverain de l'ère Showa (la paix éclairée), commencée avec son règne en 1926, parle du moment le plus sombre de l'histoire de la nation. Petit, frêle, le visage ovale orné d'une fine moustache, Hirohito a quarante-six ans et s'adresse pour la première fois directement à son peuple. Il le fait en pleurant et dans un langage archaïque plein d'euphémismes, mais le message est clair : le Japon a perdu la guerre. L'inimaginable est arrivé, il faut " accepter l'inacceptable " : la reddition, l'occupation, l'humiliation. C'en est fini du Grand Empire.

   La veille, usant de la souveraineté absolue dont il dispose encore, l'empereur a imposé sa volonté aux militaires jusqu'au-boutistes, partisans de tous les sacrifices : au risque de sacrifier l'institution impériale il a accepté les conditions de Potsdam. Il choisit de sauver la nation plutôt que de sauver la face. Hiroshima et Nagasaki viennent d'être atomisés et Moscou d'entrer en guerre contre Tokyo. Dans les semaines qui suivent, pendant que s'opère la reddition et que les forces d'occupation s'installent, l'empereur, déprimé, reste invisible derrière les hauts murs de son palais, au coeur de la capitale ravagée.

   MacArthur ne convoquera pas d'emblée Hirohito. C'est celui-ci qui, pour rompre l'attente et l'incertitude, se rendra au siège du " proconsul ". Démarche, moment et photo historiques.

   Le 26 septembre 1945, flanqué de son grand chambellan, Hirohito débarque à l'ambassade des Etats-Unis. La démarche n'est pas seulement humiliante, elle fait souffrir cet homme renfermé, discret et mal à l'aise en public. L'accueil est plutôt tendu. Certains Américains souhaitent la comparution de Hirohito devant le tribunal international pour crimes de guerre. Il le sait.

   Les Mémoires de MacArthur montrent l'empereur venant se livrer courageusement au jugement des alliés afin d'endosser la " seule responsabilité " des actes de guerre. C'est tout à son honneur, mais la photo de la rencontre est un nouveau choc pour le Japon. Le demi-dieu, devant l'effigie duquel le peuple se prosterne les yeux baissés, n'y apparaît guère à son avantage. Il a l'air étriqué dans son habit occidental aux côtés de MacArthur qui le domine de sa haute taille, mains sur les hanches et col ouvert. Photo symbolique : une fois encore un " shogun " militaire détient la réalité du pouvoir face à un empereur impuissant. A cela près que le shogun est étranger.

   Dans les mois qui suivent, le train de vie de la maison impériale sera considérablement réduit, ses biens et fortune confisqués au profit de l'Etat. L'empereur devra renoncer publiquement au caractère présumé divin de sa charge de grand prêtre de la religion shintoïste, un mythe qui avait notamment servi à fortifier le militarisme. Effacé, frugal, Hirohito acceptera tout cela avec l'apparence de la plus grande humilité.

   Cela dit, MacArthur influencera Washington pour que l'empereur ne soit pas traîné devant la justice alliée et aussi pour qu'il demeure au coeur de la Constitution pacifique et démocratique non plus le souverain absolu, mais, malgré tout, le symbole suprême de la nation.

   En février 1946, Hirohito effectuera sa première sortie publique dans Tokyo. Peu à peu il assumera un rôle démocratique qui ne semble pas lui déplaire. Il n'inspire plus la sainte terreur, mais, plus humain, devient plus populaire. A partir des années 50, ses sujets, répondant une fois de plus à ses exhortations, reconstruisent le Japon avec la même vigueur qu'ils avaient mis à propager la guerre. Dès lors, la vie de Hirohito se bornera pour l'essentiel à ses fonctions officielles cérémonielles (diplomatiques et culturelles mais non politiques), à ses travaux de biologie marine, à sa famille et à de rares sorties.

ROLAND-PIERRE PARINGAUX
Février 1985

 

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