Devoir de Philosophie

Jaurès, Jean

Publié le 17/02/2013

Extrait du document

1   PRÉSENTATION

Jaurès, Jean (1859-1914), homme politique français et principale figure du socialisme français durant les années 1880-1914.

2   UN INTELLECTUEL EN POLITIQUE

Né à Castres, Jean Jaurès est issu de la moyenne bourgeoisie tarnaise. En 1878, ce brillant élève est reçu à l’École normale supérieure, vivier de nombreux talents intellectuels et politiques. À vingt ans, il y fait la connaissance de Lucien Herr, philosophe et bibliothécaire de l’institution qui influence la pensée politique du normalien. Une fois agrégé de philosophie, Jean Jaurès est nommé professeur à Albi. En ce début des années 1880, le jeune enseignant, tôt attiré par la politique et marqué par la lecture de Jules Michelet, admire deux dirigeants de la République naissante : Léon Gambetta et Jules Ferry.

Inspiré par eux — même s’il s’en éloigne rapidement —, il se présente aux législatives et est élu député du Tarn (1885). À vingt-six ans, ce benjamin de l’Assemblée nationale appartient au groupe des « républicains opportunistes «. Mais, en 1889, les électeurs ne renouvellent pas son mandat ; il retourne alors à ses études, se consacrant à la rédaction de sa thèse (De la réalité du monde sensible : les Origines du socialisme allemand chez Luther, Kant, Fichte et Hegel, 1891) tout en enseignant à la faculté des lettres de Toulouse. Ce retrait politique lui permet d’approfondir sa connaissance et sa représentation du socialisme, qu’il considère comme lié à la liberté individuelle et à la démocratie.

Il décide de se représenter en 1893 à Carmaux, sous l’étiquette socialiste cette fois. La ville minière, où il a soutenu les grèves en 1892, en fait son député (il conserve son mandat jusqu’à sa mort, avec une interruption entre 1898 et 1902). Il adhère ensuite au Parti ouvrier français et, sa verve aidant, ne tarde pas à devenir le porte-parole du petit groupe socialiste de l’Assemblée nationale.

3   ENTRE PRAGMATISME ET DÉTERMINATION

Dans l’enchevêtrement partisan du socialisme des années 1890-1900, Jean Jaurès incarne une vision humaniste du socialisme, ni modéré ni utopiste.

Alors que les marxistes orthodoxes considèrent que la liberté individuelle naît d’une liberté collective et collectiviste imposée, Jaurès estime à l’inverse que les libertés individuelles (droit de vote, liberté de conscience, droit au travail) mènent vers la liberté collective et l’harmonie sociale consenties. Dès lors, de la révolution de 1789, il retient l’esprit et l’élan fraternels et rejette les excès du révolutionnarisme, comme le révèle son Histoire socialiste de la Révolution française, publiée en 1908. De la Révolution de 1848, il se souvient moins du combat que de la fraternité et du civisme, témoignages à ses yeux de la capacité des hommes à lutter ensemble pour la justice sociale et la démocratie. Ce sens critique ne l’empêche pas de défendre, par a priori, la collectivisation des biens de production.

Mais ses positions l’amènent souvent à s’accrocher avec l’orthodoxie marxiste et son principal gardien, Jules Guesde. Les relations entre les deux hommes s’enveniment au rythme de leurs discordes, par exemple lorsque Jean Jaurès accepte la participation du socialiste Alexandre Millerand au cabinet « bourgeois « de Waldeck-Rousseau (1899-1902). Elles ne s’améliorent pas lorsque, au nom de l’action républicaine de gauche, Jean Jaurès défend l’entrée de socialistes au gouvernement radical d’Émile Combes (1902-1905).

Il justifie ces prises de position par un mot d’ordre simple et définitif : il faut aider la République parlementaire et pluraliste à s’enraciner. Jean Jaurès n’en est pas moins un militant déterminé, opiniâtre, ne craignant pas d’aller au feu. Ainsi, il est un des premiers à prendre position pour le capitaine Dreyfus. En 1898, il plaide dans Preuves pour la reconnaissance de son innocence, en toute cohérence avec son indéfectible respect pour les droits de l’homme. Dans un autre ordre d’idée, en 1899, il publie l’Action socialiste, éloge d’un socialisme militant, renouvelé et unifié.

4   DE L’INDÉPENDANCE À L’UNIFICATION SOCIALISTE

Jean Jaurès a en effet un objectif central depuis son retour au Palais-Bourbon, en 1893 : l’unification des courants socialistes. En 1901, deux partis socialistes cohabitent sur l’échiquier politique français : le Parti socialiste français (PSF) auquel appartiennent notamment — outre Jean Jaurès lui-même —, Aristide Briand et Alexandre Millerand, et le Parti socialiste de France (PSDF) de Jules Guesde et Édouard Vaillant. Le PSF estime que les deux partis doivent s’associer sur la base d’un programme syncrétique. Parce que le guesdisme perd en audience et que les autres courants socialistes s’affaiblissent, ce projet gagne en crédit. Toutefois, peut-être n’aurait-il pas abouti sans le renfort charismatique de Jean Jaurès. Ce charisme, Jaurès le tient de son allure débraillée et de sa franchise chaleureuse. En outre, malgré ses divergences avec les autres chefs de file, il rassemble sur des mots d’ordre fédérateurs : anticléricalisme, antimilitarisme, justice sociale, république égalitaire et laïque. Enfin, il doit ce charisme à ses talents de tribun et cette éloquence lui vaut tout à la fois les plus grandes inimitiés et l’adoration de la majorité de l’opinion socialiste.

Après une vingtaine d’années de carrière, jouissant de sa réputation d’homme politique et d’intellectuel de haute volée, bénéficiant aussi de son profil humaniste, Jean Jaurès s’affirme dorénavant comme l’incontestable chef de file du socialisme. En 1904, fort de cette autorité et de son expérience de journaliste (il a beaucoup écrit dans la Dépêche de Toulouse), il lance sa stratégie unitaire en fondant avec succès l’Humanité : le quotidien est lu par 100 000 personnes chaque jour, bien plus que les 50 000 adhérents d’un éventuel parti unifié.

En avril 1905, il réussit à forcer les réticences réciproques : la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) voit le jour et reste unie jusqu’à la séparation, en 1920 lors du congrès de Tours, des socialistes et des communistes. Du reste, Jean Jaurès se trouve d’emblée en décalage par rapport au parti qu’il a contribué à créer ; dès 1904 en effet, le congrès d’Amsterdam a décidé, dans la perspective de l’unité future, que le parti adoptera une ligne marxiste orthodoxe et refusera toute collaboration avec des ministères bourgeois.

5   POUR LA RÉPUBLIQUE ET POUR LA PAIX

Jean Jaurès se consacre dès lors et pour l’essentiel à la direction de l’Humanité et à son activité parlementaire. En tant que chef de la SFIO, il œuvre au rapprochement entre syndicats ouvriers et partis de gauche. Mais sa principale préoccupation touche à la stabilité du régime républicain et à la possibilité d’instaurer un pouvoir socialiste démocratique et pluraliste car « sans la République, le socialisme est impuissant et sans le socialisme la République est vide « ; cette profession de foi, Jean Jaurès la respecte dans son action parlementaire, en particulier dans les domaines fondamentaux que sont l’éducation et la politique sociale.

Il a cependant l’intime conviction que la stabilité républicaine dépend avant tout du maintien de la paix. Or, en regard de cet idéal pacifiste, le contexte national (puissance des ligues) et international (tension franco-allemande) l’incite à une intransigeance peu coutumière ; il craint en effet que le triomphe du capital mène à l’effondrement de la démocratie dans la guerre. Aussi refuse-t-il le principe même de la guerre, situation en contradiction avec son fraternalisme universaliste. L’influence croissante du capitalisme auquel se rallient d’ancien amis politiques, tels Georges Clemenceau et Aristide Briand, l’amène à penser que seule une Internationale ouvrière bien organisée serait capable de résister à la mainmise du capital sur l’économie mondiale et aux dangers que la concurrence capitaliste fait peser sur la paix. Son pacifisme l’incite alors à — vainement — tenter d’obtenir des congrès de l’Internationale le vote d’une motion susceptible d’empêcher la guerre (congrès de Stuttgart en 1907, puis de Copenhague en 1910).

Après cet échec, Jaurès est d’autant plus brocardé par ses adversaires. La droite nationaliste et belliciste renforce sa propagande en assimilant délibérément la position de Jaurès et celle de Gustave Hervé. Cet autre socialiste défend un pacifisme intégral et rejette le patriotisme au nom d’un internationalisme et d’un antimilitarisme doctrinaires ; or si Jean Jaurès est lui aussi pacifiste, antimilitariste et qu’il prône la réconciliation franco-allemande, il n’en reste pas moins un authentique patriote : pour lui, internationalisme et patriotisme doivent cohabiter. Mais, de fait, l’amalgame porte préjudice à Jean Jaurès. Parce qu’il est en violent désaccord avec les nationalistes colonialistes et revanchards, ceux-ci ont tôt fait de le déguiser en défaitiste, en bradeur de la nation.

Jean Jaurès déchaîne les passions. C’est encore plus vrai lorsque, au cours du houleux débat parlementaire sur le service militaire, il publie l’Armée nouvelle (1913) : défiant la menace allemande, il prône la réduction du temps du service militaire (il dure alors trois ans) et une organisation des réservistes sous forme d’une armée de milice. Les hurlements de la meute antijauressienne montent encore d’un ton.

De cette passion qu’il attise par conviction plus que par provocation, Jaurès finit par mourir. Le 31 juillet 1914, alors que le député est attablé au Café du Croissant, Raoul Levillain, membre de la « Ligue des jeunes amis de l’Alsace-Lorraine «, s’approche de lui et tire à bout portant. Emprisonné, Levillain est finalement acquitté en 1919 et s’exile en Espagne où il est bientôt assassiné par les républicains espagnols.

6   UN MARTYR ET UN MYTHE

Certes, lorsque le Cartel des gauches décide, en 1924, de rendre hommage à Jean Jaurès en transférant ses cendres au Panthéon, c’est pour fêter solennellement sa propre victoire, après cinq années de chambre Bleu horizon. Néanmoins, depuis lors, la coloration partisane de la panthéonisation de Jaurès s’est estompée et l’homme est entré dans la mémoire collective de la République, devenant un personnage mythique du xxe siècle.

Jean Jaurès a été salué par tous y compris par ses adversaires, tel Maurice Barrès. Il a forcé le respect de ses contemporains et marqué plusieurs générations d’hommes de tous bords, en France et à l’étranger (ce dont témoigne la froide vengeance des républicains espagnols). Son renom tient sans doute à ce que son caractère entier — mélange de pragmatisme et d’humanisme, de droiture et d’inflexibilité — peut être considéré comme un modèle d’intégrité républicaine. L’exemple de son irréductible attachement aux institutions démocratiques transgresse les clivages politiques parce qu’il incarne une version non passionnelle de la brillante république des « professeurs «, celle-là même qui permet — malgré les dysfonctionnements de la IIIe République — la pérennisation du régime républicain. Georges Pompidou, homme de droite, ancien normalien et enseignant, n’a-t-il pas déclaré avoir eu Jaurès pour modèle politique ?

Intellectuel socialiste, théoricien du socialisme (par exemple dans Études socialistes, 1901), homme d’action habité par ce que Léon Blum, un de ses héritiers, a appelé un « génie symphonique «, Jean Jaurès est aussi et d’abord l’un des pères et des martyrs du socialisme français. La synthèse qu’il a réalisée au sein de la SFIO a largement influencé la pensée de la gauche française. Au-delà du décès brutal qui confère à l’homme une aura grandie, le mythe jauressien et sa persistance tiennent certainement à ce qu’il a toujours défendu le mariage entre idéal de la démocratie parlementaire et défense de la classe ouvrière. Dénué d’extrémisme, son projet de transition, légale et respectueuse de la liberté individuelle, vers la république sociale et socialiste a inspiré l’action d’hommes tels que Léon Blum, Pierre Mendès France ou François Mitterrand.

L’image de Jean Jaurès est donc indéfectiblement auréolée par l’idéal du socialisme humaniste, pensée politique qui place l’homme au cœur de toute réflexion ; pensée conciliatrice qui tente d’allier, dans une perspective réformiste, des postulats paraissant a priori contradictoires : internationalisme et patriotisme, socialisme et démocratie, matérialisme et idéalisme.

Liens utiles