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La chute du real relance les inquiétudes pour la croissance mondiale

Publié le 17/01/2022

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1er janvier 1999 Branle-bas de combat général. Les membres du G7, déjà depuis plusieurs jours en concertation téléphonique permanente au sujet de la situation au Brésil, sont depuis mercredi en état d'alerte maximum. Fini la trêve hivernale dont profitaient les grandes puissances depuis l'automne après une première partie d'année très chaotique sur le plan économique et financier. Terminées les congratulations mutuelles sur le lancement réussi de l'euro, les efforts fournis par le Japon pour assainir son système financier et ses promesses de réduire durablement ses impôts, les perspectives plus optimistes qu'espéré de reprise économique en Asie, notamment en Corée du sud, et la réflexion qui avance - du moins nous le laisse-t-on croire - sur la réforme du système financier international et les moyens de mieux maîtriser les mouvements de capitaux. Le Brésil avait été choisi par la communauté internationale pour illustrer la nouvelle stratégie du Fonds monétaire international (FMI) d'intervenir avant le déclenchement d'une crise et non plus après, comme en Asie. Brasilia avait été le premier bénéficiaire d'un fonds de secours créé sur mesure. Cette stratégie est ruinée brutalement. Mercredi soir, après une journée d'intenses consultations entre les grands pays industrialisés, personne ne se risquait à un pronostic sur la suite des événements. Deux scénarios sont possibles. Le premier mise sur la capacité du président brésilien Fernando Cardoso et de son gouvernement à maîtriser la dévaluation du real pour amorcer une baisse des taux d'intérêt, rétablir la confiance et relancer l'économie. Le second voit la poursuite des fuites de capitaux - qui n'ont pas vraiment cessé depuis septembre - la défiance définitive des investisseurs à l'égard des pays émergents, le maintien de taux élevés en Amérique latine et un effondrement des monnaies. Mauvais signes Cette dernière hypothèse est suffisamment redoutée pour que le président américain soit intervenu immédiatement mercredi pour affirmer qu'il surveillait "de près" la crise. Les Etats-Unis ont "un grand intérêt à voir le Brésil mener ses réformes économiques. Nous espérons que la situation va trouver une solution satisfaisante non seulement pour le Brésil mais pour le reste du monde" , a expliqué Bill Clinton en rappelant que l'Amérique latine était le marché qui connaissait "la plus forte croissance" pour les produits américains. L'importance du Brésil pour l'économie américaine avait amené la communauté internationale à se mobiliser pour tenter d'endiguer la contagion de la crise asiatique au continent latino-américain dès octobre. Relativement lointaine lorsqu'elle se déroulait en Asie, la vague de la crise financière venait dangereusement lécher les frontières des Etats-Unis. Or, l'impact négatif sur la croissance d'un choc sur les exportations américaines est aujourd'hui plus difficilement compensable par une nouvelle baisse des taux. La Fed y a procédé par trois fois et l'inflation donne de mauvais signes. Le FMI à marche forcée Les exportations américaines à destination du Brésil ont beaucoup augmenté depuis la libéralisation du commerce au début des années 90. En 1997, les Etats-Unis avaient un surplus commercial de 5 milliards de dollars (4,3 milliards d'euros) avec ce pays. L'Amérique latine représente 18 % de leurs exportations. La stagnation des marchés asiatiques a conduit les entreprises américaines à miser sur la région. Elles ont investi au Brésil plus que dans aucun autre, excepté au Canada et au Royaume-Uni. Plus de 2 000 compagnies américaines travaillent au Brésil. Le PIB brésilien (800 milliards de dollars, 690 milliards d'euros) représente 45 % de l'ensemble de l'économie sud-américaine. Le pays est économiquement bien plus important que la Russie et les banquiers américains lui ont prêté quatre fois plus. L'effet sur les Etats-Unis d'un effondrement du Brésil serait en outre amplifié par l'impact qu'il aurait sur l'ensemble de la région : l'Argentine, qui tente de maintenir aussi une parité fixe avec le dollar et qui exporte un tiers de sa production vers le Brésil mais également le Mexique, dont l'économie est sérieusement chahutée par la chute du prix du pétrole ; le Paraguay, l'Uruguay qui sont membres avec le Brésil et l'Argentine du Mercosur, la première zone de libre échange et d'union douanière d'Amérique latine et quatrième bloc économique mondial ; le Chili et la Bolivie également associés. Doit-on voir dans ce nouvel épisode des sursauts de l'économie mondiale une nouvelle faute d'appréciation du FMI ? Les germes de cette nouvelle crise étaient en tous cas réunis dès la décision de voler au secours du Brésil. Sur la forme, l'institution a avancé à marche forcée vers la signature d'une lettre d'intention avant même que le président Cardoso soit élu et que l'on constate qu'il n'avait pas une majorité aussi large qu'espéré, et par conséquent bien avant que le Congrès puisse voter le plan. Cette précipitation répondait au souci de circonscrire la crise. Mais ce faisant, le FMI a sous-estimé le poids des forces politiques intérieures. Comme en Russie, le Fonds a soutenu une politique de monnaie forte accrochée au dollar, accompagnée d'une dévaluation à dose homéopathique. Cette politique a certes permis d'éradiquer l'hyperinflation, mais au prix de taux d'intérêt extrêmement élevés qui ont pénalisé les producteurs intérieurs, ralentit la croissance et renchéri la dette, rendant son service insoutenable. Craintes sur l'Asie Le cas brésilien montre les limites de l'intervention de la communauté internationale. Si le G7 peut agir en améliorant les règles du jeu entre tous les acteurs des marchés (ce qui n'est encore loin d'être fait), la communauté internationale n'a pas de prise sur la politique intérieure des pays. C'est la raison pour laquelle le G7 s'est bien gardé, mercredi, de faire une quelconque déclaration. En début de semaine, Jacques Chirac s'était entretenu avec le président Cardoso et l'avait encouragé à tenir bon. Mais c'est le Congrès brésilien et les gouverneurs des Etats qui ont entre leurs mains le sort du pays. Car la bourrasque qui s'est abattue sur le Brésil fait craindre un regain de tension sur les pays émergents d'Asie. Ces craintes sont d'autant plus justifiées que la Chine doit gérer des risques de faillite en cascade et que, malgré ses efforts, le Japon ne parvient pas à sortir de la récession. Le troisième acte de la crise mondiale, partie de Thaïlande il y a dix- huit mois, vient de débuter. BABETTE STERN Le Monde du 15 janvier 1999

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