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La guerre pour le Cachemire continue entre l'Inde et le Pakistan nucléarisés

Publié le 17/01/2022

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30 juillet 1999 A Srinagar, sur un monticule, entouré d'une grille ouvragée dont une extrémité a été rouverte pour permettre d'agrandir l'espace, "le cimetière des martyrs d'Idd Gaha" est là pour rappeler que la guerre se poursuit toujours dans cet Etat himalayen que se disputent depuis 1947 l'Inde et le Pakistan. La dernière sépulture de terre fraîche - un jeune homme tué par les forces de sécurité en basse ville - remonte à moins d'une semaine. Cette guerre oubliée, qui fait une dizaine de morts par jour - 30 000, selon des sources indépendantes, depuis le début de l'insurrection séparatiste en 1990 -, est réapparue sur le devant de la scène après la nucléarisation des deux ennemis du sous-continent. Pressés par la communauté internationale, New Delhi - qui gouverne les deux tiers du Cachemire, seul Etat indien à majorité musulmane - et Islamabad ont repris le dialogue, il y a un mois, avec, comme seul résultat, l'annonce de la poursuite des conversations. Dans les rues de Srinagar, quadrillées par des forces de sécurité casquées et armées, les multiples constructions en cours témoignent tout autant d'un certain retour à la normalité que des profits générés par une guerre à laquelle, après huit ans, la population s'est "adaptée". Les espoirs nés après les élections locales de 1996, qui ont mis fin à huit ans d'administration directe de New Delhi et ramené au pouvoir la Conférence nationale du premier ministre Farouk Abdullah, se sont toutefois évanouis et, une fois de plus, les Cachemiris s'interrogent sur leur avenir. Redéfinition de l'autonomie "Les élections ont aggravé la situation dans la mesure où le gouvernement n'a pas été en mesure de transformer les aspirations de la population", affirme Aga Syed Hassan, un dirigeant chiite favorable, au nom de l'islam, au rattachement au Pakistan. "Toutes les promesses politiques, économiques, faites lors de la campagne électorale ont été oubliées et, aujourd'hui, les Cachemiris ont le sentiment d'être abandonnés par tout le monde", confie-t-il. L'arrivée au pouvoir à New Delhi d'un gouvernement dirigé par les nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien), qui préconisent dans leur programme - qu'ils n'ont pu totalement appliquer faute de majorité absolue - l'annulation de l'article 370 de la Constitution prévoyant une certaine autonomie pour le Cachemire, n'a pas arrangé les choses. Promise par la Conférence nationale , qui détient deux tiers des sièges de l'Assemblée provinciale, la redéfinition de l'autonomie n'a toujours pas été soumise aux députés. "Farouk Abdullah sait que s'il va trop loin dans ce sens, ce sera le début de sa fin, explique Tahir Mahiudin, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Chattan (Le Roc). Il a adopté une politique de conciliation, mais le résultat est qu'il a perdu toute crédibilité aux yeux de la population." La corruption de son gouvernement, les priorités contestables de son action, ses perpétuelles absences du Cachemire sont aussi largement citées pour expliquer l'échec de son gouvernement. "Je n'ai pas d'illusions. La population a raison de nous critiquer mais nous ne pouvons pas tout faire en deux ans", avoue Mohamed Chafi Uri, ministre des finances et numéro deux du gouvernement. La banqueroute de l'Etat du Cachemire, qui empêche tout développement d'envergure, est due, pour M. Uri, au refus de New Delhi de donner son dû financier, en particulier la compensation des lourdes dépenses de sécurité au Cachemire. Pourquoi ? "L'establishment de Delhi croit encore que seule une solution militaire peut résoudre la question", affirme sous le sceau de l'anonymat un autre haut responsable du gouvernement. S'il est vrai que, dans les villes au moins, les forces de sécurité ont plus ou moins réussi à mater les militants séparatistes, s'il est vrai que la population en a assez de la violence, rien n'indique, au contraire, qu'elle soit prête à se soumettre. "Les Cachemiris veulent obtenir quelque chose pour que toute cette lutte et ces morts ne soient pas inutiles", confie M. Mahiudin. "Désillusionnés par le Pakistan, ils veulent la cessation des hostilités, mais, en même temps, ils ne sont pas pour l'Inde", dit-il. En fait, pour la plupart des Cachemiris, seule l'indépendance est la solution. Cette revendication revient dans toutes les conversations et redonne du crédit aux partis indépendantistes face à ceux qui, en sous-main, prônent la guerre sainte et le rattachement au Pakistan. Dans sa maison entourée de policiers qui l'empêchent de sortir, M. Shabir Shah, président du Parti libéral démocratique pour la liberté, un parti modéré, conteste l'affirmation par New Delhi d'un retour à la normalité. "Si la situation était aussi bonne que le gouvernement central le dit, pourquoi toute manifestation politique nous est-elle interdite ?", interroge-t-il. En résidence surveillée, interdit de voyager, comme toutes les personnalités politiques d'opposition rencontrées, M. Shabir Shah, qui a passé vingt-deux ans dans les prisons indiennes, dénonce l'attitude rigide du gouvernement central. "Combien de temps espèrent-ils étouffer les revendications des Cachemiris ?", demande-t- il. Président du Front de libération de Jammu-et-Cachemire, qui prône l'indépendance, mais depuis 1994 à travers la lutte politique et diplomatique, Yaseen Malik affirme : "L'Inde a joué sa dernière carte avec les élections, mais cela a échoué." À l'écart du dialogue Tenus à l'écart du dialogue indo-pakistanais, les leaders cachemiris font preuve du plus grand scepticisme quant au résultat à en attendre. "Rien ne sortira de ces conversations, affirme Syed Ali Shah Geelani, président de la Conférence des partis pour la liberté , qui regroupe une trentaine d'organisations séparatistes. La question du Cachemire n'est pas une dispute territoriale, c'est le règlement du sort de 13 millions de personnes. A moins que les combattants, les représentants politiques du Cachemire soient associés aux discussions sous les auspices de l'ONU, rien n'arrivera." "Après les essais nucléaires de l'Inde et du Pakistan, nous espérions que la communauté internationale ferait pression pour obtenir un règlement, mais rien n'est venu, affirme M. Mahiudin. Personne n'est prêt à faire quelque chose et, pire, personne n'a une claire idée de ce qu'il faudrait faire." Victimes de la lutte indo-pakistanaise, les Cachemiris ont de plus en plus conscience d'être les otages d'intérêts qui ne les concernent pas mais dont ils souffrent sans pouvoir réagir. Pour l'instant, rien ne permet d'espérer une réelle amélioration de la situation et, pour longtemps encore, la violence risque de déchirer ce petit Etat, décrit par les premiers envahisseurs moghols comme le "Paradis sur Terre". FRANCOISE CHIPAUX Le Monde du 8 décembre 1998

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