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La "première pierre" d'une réconciliation plutôt qu'une réunification à l'allemande

Publié le 17/01/2022

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13 juin 2000 La rencontre au sommet entre le président sud-coréen, Kim Dae-jung, et le dirigeant suprême de la Corée du Nord, Kim Jong-il, est certes l'événement le plus significatif de l'histoire de la péninsule depuis sa partition au lendemain de la défaite japonaise en 1945. Mais il est peu probable que le dialogue au sommet qui s'amorce pour la première fois depuis cinquante-cinq ans de partition conduise à court terme une réunification de la péninsule comme ce fut le cas de l'Allemagne à la suite de l'ouverture du mur de Berlin en 1989. A Séoul, les autorités appellent d'ailleurs l'opinion à ne pas nourrir trop d'espoirs sur les résultats d'une rencontre qui n'est, selon le président Kim Dae-jung lui-même, qu'une "première pierre" vers la réconciliation. Ce dialogue au sommet marque un changement dans les rapports entre les deux pays : il devrait permettre de réduire la tension et d'approfondir la coopération économique. Mais, à moins d'une implosion du régime de Pyongyang, ce début de réchauffement entre le Nord et le Sud n'altérera guère le statu quo. Le parallèle avec l'Allemagne est tentant. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les deux pays connurent un sort analogue : ils furent partagés en deux zones d'occupation entre les alliés d'un côté et les Soviétiques de l'autre, en vertu d'accords antérieurs aux capitulations du IIIe Reich et du Japon impérial. En Corée apparurent sous tutelle étrangère deux régimes idéologiquement opposés qui se structurèrent en Etats en 1948. Deux ans plus tard, les armées de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) franchissaient la ligne de démarcation à la hauteur du 38e parallèle : commençait une guerre fratricide. Il fallut l'intervention des Etats-Unis sous la bannière des Nations unies pour repousser les Coréens du Nord et les Chinois venus à leur rescousse. L'un des grands foyers d'empoignade de la guerre froide depuis un demi-siècle, la Corée en demeure l'un des derniers stigmates avec, de part et d'autre du 38e parallèle, deux armées sur le pied de guerre, celle du Sud étant épaulée par 37 000 soldats américains. Mais, à la différence de l'Allemagne de l'Est dont le régime dépendait étroitement du soutien de l'armée soviétique, il n'y a aucune troupe étrangère en RPDC (République populaire de Corée). Le régime tient en main un pays à l'économie exsangue et à la population affamée en maintenant celle-ci dans un isolement presque complet du reste du monde. Là encore la différence est notable avec l'ex-Allemagne de l'Est, où la population n'ignorait rien de la vie de l'autre côté du mur de Berlin. Bien que la grave pénurie alimentaire qui prend des proportions de famine dans certaines régions ait lézardé le système (mouvements non contrôlés de population, réfugiés en quête de nourriture passant en Chine), on est loin de l'exode des Allemands de l'Est de la seconde moitié des années 80 et encore davantage de l'agitation sociale des derniers mois d'existence de la RDA. ESPOIR DE RETROUVAILLES Les dirigeants de Pyongyang ont cependant pris conscience que, pour enrayer une dégradation de la situation économique qui frôle le seuil de tolérance, ils ont besoin de la coopération du Sud. Et ils sont passés d'une politique axée contre les Etats-Unis et assortie de menace (mystère entretenu sur armement nucléaire, production et essais de missiles balistiques) à une diplomatie tous azimuts (établissement de relations diplomatiques avec l'Italie puis l'Australie, participation au forum régional de l'Asean en juillet). Puis, en avril, ils ont répondu à la politique de "main tendue" du président Kim Dae-jung. En lançant cette offensive diplomatique, Kim Jong-il est d'autant plus sûr qu'il sait que ni la Chine, ni le Japon, ni les Etats-Unis, qui entretiennent une présence militaire en Asie du Nord-Est, ne souhaitent un effondrement de son régime qui déstabiliserait toute la région. Quant aux Coréens du Sud, ils sont partagés entre l'idéal haut brandi de la réunification de la mère patrie et le réalisme : le coût de la réunification allemande a refroidi les ardeurs patriotiques. La réunion des familles séparées (près de 8 millions de personnes sont concernées) suscite certes une grande émotion, mais, après cinquante-cinq ans de division du pays, c'est aussi une question largement liée à une génération, presque abstraite pour les plus jeunes. Et pour l'instant, la majorité de l'opinion ne souhaite guère aller au-delà de ces retrouvailles des familles séparées. Une réunification de la péninsule à la suite d'un éventuel effondrement du régime de Pyongyang est la hantise des Chinois, qui risqueraient d'avoir à leur porte un pays vraisemblablement pro-américain. Le réchauffement des liens de Pékin et de Pyongyang résulte de cette préoccupation. La Chine, irritée par les essais balistiques nord-coréens qui ont déclenché un branle-bas stratégique au Japon et qui ont favorisé la participation de Tokyo au programme américain de défense antimissile de théâtre (dirigée contre elle), semble avoir joué un rôle déterminant dans l'organisation du sommet Nord-Sud (lire page 3). Le Pentagone, pour sa part, voyant en la Chine un adversaire potentiel, est en train de revoir une stratégie essentiellement "eurocentriste" et de renforcer sa présence militaire en Asie : alors que jusqu'à ces dernières années 60 % de la flotte américaine se trouvait dans l'Atlantique, elle se repartit désormais de manière égale entre l'Atlantique et le Pacifique, et bientôt ce dernier aura l'avantage. Dans ces conditions, Washington ne veut pas perdre ses bases en Corée ou au Japon et s'emploie à renégocier sa présence dans ces pays sur une base de partenariat et non de protecteur. Quant aux Japonais, ils perçoivent une péninsule réunifiée comme un risque potentiel de sursaut de nationalisme coréen dont ils feraient tout naturellement les frais étant donné leur passé de colonisateurs. Pour compliquer encore la donne stratégique coréenne, la Russie entre également dans le jeu, comme en témoigne la prochaine visite à Pyongyang du président Vladimir Poutine, annoncée à la veille du sommet de Pyongyang. Si le risque d'action aventuriste de la part de la RPDC s'estompe, la situation de la péninsule n'est pas stabilisée pour autant. Kim Jong-il doit perpétuellement jouer de la menace militaire pour compenser la déroute économique, et compte bien empêcher que l'"ouverture" diplomatique se traduise par une "contamination" idéologique. La RPDC entend rester un "royaume ermite". PHILIPPE PONS Le Monde du 12 juin 2000

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