Devoir de Philosophie

La situation économique de Cuba est désastreuse

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

cuba
21 janvier 1998 - "UN DÉSASTRE." L'expression utilisée par de nombreux Cubains est sans doute la plus appropriée pour caractériser la situation économique de leur pays. Si la croissance du PIB (2,5 %, contre 7,8 % en 1996) avait été plus forte en 1997, cela n'aurait pas pour autant modifié l'économie générale du pays. Une partie des onze millions de Cubains survivent, mieux que les autres, grâce au soutien des deux millions d'exilés - près de 20 % de la population - installés principalement aux Etats-Unis. Depuis juillet 1993, date de l'autorisation de la détention et de l'usage du dollar par les autorités, les envois (remesas) des émigrés ne cessent d'augmenter. Ils permettent à leurs proches de ne pas souffrir plus encore du régime de "période spéciale", instauré en 1991, après l'effondrement du bloc soviétique. La contribution annuelle de Moscou et des "pays frères" à l'économie générale de Cuba se chiffrait, à la fin des années 80, à environ 6 milliards de dollars. Le volume total des remesas a atteint 800 millions de dollars en 1997, selon la Commission économique pour l'Amérique latine (Cepal). Des économistes indépendants évaluent ce montant à plus de 1 milliard. Peu importe, en fait : les remesas sont devenues la plus importante source de richesse en devise du pays. Elles rapportent plus à Cuba que les revenus nets du tourisme (la première activité) et de l'industrie sucrière (la deuxième). Le gouvernement leur accorde une régime de faveur en les dispensant de toute taxation sur le revenu, alors que le fisc cubain est à l'affût des moindres niches créées par la dollarisation de l'économie. Le tourisme, dont la croissance a été d'environ 20 % par an depuis 1990, est le seul secteur qui pourrait renverser cette répartition des ressources. Mais l'objectif des autorités de passer de 1,2 million de touristes en 1997 à 2 millions en l'an 2 000 pose de nombreux problèmes. Ce choix de la quantité se heurte à la structure du secteur qui fonctionne comme une colossale pompe à importations (équipement et agro-alimentaire). De plus, la marge doit être partagée avec les sociétés étrangères ayant massivement investi dans le secteur. Un dollar de revenu net du tourisme coûte 40 % plus cher à produire qu'un dollar net de l'industrie sucrière, par exemple. Aucune réforme de fond En fait, le gouvernement cubain n'a effectué aucune réforme de fond susceptible de modifier le fonctionnement structurellement déficitaire de l'économie. Les marchés libres agro-alimentaires n'ont été autorisés qu'après une longue résistance des durs du parti, fondée sur le respect des dogmes. Alors que ces marchés existaient dans tous les pays communistes d'Europe, ils n'ont été autorisés, très récemment, que pour pallier la grave pénurie dans laquelle le pays a sombré en 1991. Les travailleurs privés (restaurateurs, taxis, réparateurs, etc.) n'existent que pour résorber le chômage qui a touché les entreprises étatiques au début des années 90. Ces entreprises, n'étant plus à même de maintenir la fiction du plein emploi propre aux économies socialistes, ont été contraintes de procéder à des ajustements de type "capitaliste". Mais aucune des mesures adoptées n'a remis en cause les fondements du régime et aucune n'est prévue qui irait dans ce sens. Le chef de l'Etat, Fidel Castro, l'a réaffirmé à l'occasion du dernier congrès du Parti communiste. La primauté de l'Etat dans la définition des objectifs et des moyens de l'économie demeure la règle absolue. La seule concession aux évidences a été de placer l'efficacité au coeur du développement du pays et de son appareil de production, avec le risque que l'exhortation ne demeure qu'un voeu pieux. L'industrie sucrière fournit un bel exemple de l'inefficacité avérée du latifundisme de l'Etat cubain. Selon l'Organisation pour l'agriculture et l'alimentation (FAO), le rendement moyen mondial de la canne à sucre, de 1992 à 1994, était de 60 tonnes à l'hectare. A Cuba, le chiffre tombe à 34 tonnes, alors que ce secteur ne subit pas les réductions de moyens imposées par la période spéciale. Il a reçu pour les seules années 1995 et 1996 environ 600 millions de dollars pour financer son activité. Secteur héroïque, qui mêle masses populaires aux champs et mécanisation industrielle, l'industrie sucrière cubaine souffre plus que tout autre secteur d'un non-entretien des terres, d'une non-recherche sur les plants et d'une logistique industrielle déficiente et obsolète. Les chiffres de la zafra (récolte) de 1997 sont encore inférieurs à ceux de 1996, qualifiés alors "d'historiquement mauvais". Ces résultats affectent le volume global de l'économie et les conditions des prêts que Cuba négocie pour se financer. La seule mesure notable retenue par les autorités a été d'accorder de larges facilités aux entreprises étrangères désireuses d'investir ou de prendre en charge certains secteurs comme le tourisme, les mines, etc. La situation dramatique dans laquelle a sombré l'île après l'effondrement du bloc soviétique a imposé ce choix. L'ouverture à l'investissement étranger et au tourisme, la légalisation de la détention et de l'usage de dollars, la réouverture de marchés libres paysans, l'autorisation de commerces indépendants, ont également été des mesures adoptées dans l'urgence. Elles ne semblent pas s'insérer dans un plan global. Il n'en résulte pas un autre système, mais la fin de l'ancien complètement fermé, adopté à partir de 1968, sous le vocable "d'offensive révolutionnaire" et dévoué à l'Union soviétique. Aux conditions actuelles, il faudrait, avec une croissance de 5 % du PIB, au moins cinq années à Cuba pour récupérer son niveau de 1989. Quant au futur du pays, il est lié à un problème passé sous silence par les autorités : la dette externe. Elle s'accroît chaque année. En 1996, le déficit commercial atteignait 1,7 milliard de dollars, un montant supérieur au revenu brut du tourisme de la même année (1,3 milliard de dollars). En important deux fois plus (en valeur) qu'elle n'exporte, Cuba creuse son déficit. La dette cumulée de l'île atteint 10 milliards de dollars auprès des pays occidentaux et le résidu estimé de la dette à l'égard de la Russie serait de 24 milliards de dollars. Un facteur différencie Cuba des pays sous-développés : le haut niveau de qualification et de culture de sa population. Ce devrait être un atout pour l'avenir, le jour où la politique générale du pays sera autre. ALAIN ABELLARD Le Monde du 23 janvier 1998

Liens utiles