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La victoire de M. Hariri pourrait forcer Damas à redéfinir son attitude au Liban

Publié le 17/01/2022

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3 septembre 2000 L'ancien premier ministre Rafic Hariri n'est pas homme à avoir la victoire modeste : feux d'artifice, danses et chants ont ponctué les nuits de Beyrouth, dimanche 3 septembre, à l'annonce des résultats officieux des législatives, et lundi, après qu'ils furent officiellement confirmés. Il est vrai qu'il y avait de quoi pavoiser. Rafic Hariri, l'homme le plus riche du Liban, a lancé et réussi une OPA hostile sur Beyrouth à l'occasion des élections parlementaires. Cela lui a coûté beaucoup d'efforts et encore plus d'argent, mais il est parvenu à ses fins en éliminant ses deux adversaires principaux à la présidence du gouvernement. Le premier, Selim El Hoss, n'a plus aucun espoir de retour, et le second, Tammam Salam, devra prendre son mal en patience jusqu'aux futures législatives, en 2005. Le reste du leadership sunnite, la communauté qui, en vertu de la Constitution, donne au Liban ses chefs de gouvernement est considérablement affaiblie dans le reste du pays, avec un Omar Karamé élu mais sous perfusion à Tripoli dans le nord, et personne à Saïda, au sud, dont M. Hariri est originaire et où il a fait élire sa propre soeur. Dans la mesure où l'autre bénéficiaire du scrutin, le dirigeant druze Walid Joumblatt, est son allié, l'ambitieux milliardaire est manifestement désormais maître du terrain. Son retour au pouvoir, qu'il a exercé durant six ans, de 1992 à 1998, n'est toutefois pas certain. RAZ-DE-MARÉE Beyrouth avait été découpée en trois circonscriptions, au bistouri, par un ministre de l'intérieur, Michel El Murr, orfèvre en la matière, afin d'empêcher précisément un succès écrasant de M. Hariri. La manoeuvre était notoire, mais rien n'y fit : dans les trois circonscriptions, celle où il se présentait lui-même et dans les deux autres, les listes de M. Hariri ont obtenu deux à trois fois plus de voix que les listes adverses. Ce fut un raz-de- marée, illustrant un impérieux besoin de changement de la part d'une population qui vit très mal la crise socio-économique, aggravée par l'immobilisme du gouvernement sortant. Le premier ministre, Selim El Hoss, a annoncé qu'il se soumettait au verdict des urnes, non sans dénoncer le "pouvoir de l'argent". Tammam Salam a reconnu, lui, que d'autres facteurs conjoncturels avaient joué. Les gens ont la mémoire courte, à Beyrouth comme ailleurs. En votant pour M. Hariri, ils ont, malgré l'expérience précédante qui avait débouché sur un ras-le-bol, voulu de nouveau voir en lui un symbole d'espoir. La gestion calamiteuse de son successeur a fortement contribué à ce retour de flamme. M. Hoss et ses trois colistiers ministres en ont payé le prix. Six autres ministres ont beau avoir été élus, leur victoire ne fait pas le poids face à la défaite du premier d'entre eux, d'autant que deux s'étaient désolidarisés de lui. Comment, dans ces conditions, la présidence du conseil pourrait-elle échapper à M. Hariri ? L'ancien premier ministre n'est assuré de disposer au Parlement que de 43 sièges sur 128. Les alliés aléatoires, plus ou moins sincères, peuvent encore, eux, être orientés par la Syrie selon son bon plaisir. Et l'on ignore quelles sont les intentions de Damas. La Constitution libanaise prévoit que, pour nommer le premier ministre, le président de la République doit procéder à une consultation parlementaire, chaque député lui indiquant la personnalité qu'il choisit pour sa fonction. Cette consultation, liée au début de la session du Parlement, est prévue le 17 octobre. Le président est tenu de se plier aux voeux de la majorité. Il était d'usage, avant la révision constitutionnelle dite de Taëf - du nom de la ville saoudienne où elle a été décidée en 1989 - qui mit fin à quinze années de guerre, que les députés s'en remettent au choix du chef de l'Etat. Rafic Hariri en récusa en 1998 le principe, lorsque le nouveau président de la république, Emile Lahoud l'a choisi pour former un nouveau gouvernement. M. Hariri ne voulait pas lui devoir son poste. Le président syrien de l'époque, Hafez El Assad, arbitra en faveur du président Lahoud et ce fut pour M. Hariri le début d'une traversée du désert qui a duré deux ans. SOUS INFLUENCE Le Parlement libanais compte, en dehors du bloc Hariri-Joumblatt, un groupe sous la férule du président de l'Assemblée, Nabih Berri, chef du parti chiite Amal (une dizaine de députés), le bloc du Hezbollah (même effectif) et le bloc de Soleiman Frangié au nord (14 députés). Le reste est morcelé : il n'y a donc ni majorité ni opposition, rien que des alliances opportunistes. Et tout le monde, pratiquement, y compris M. Hariri, est sous influence syrienne. Il reste donc aisé, malgré les résultats des élections, pour Damas de lui barrer la route. Par exemple en lui suggérant de faire lui-même l'impasse sur le premier gouvernement de la nouvelle législature. Dans quel sens arbitrera cette fois le président Bachar El Assad ? La Syrie a un intérêt vital à ce que le Liban sorte de la crise économique, ne serait-ce que pour se remettre à utiliser la main d'oeuvre syrienne. Le mieux n'est pas acquis mais le pire n'est pas certain. Pas plus que son père, "Bachar", comme on l'appelle ici, n'est disert. Mais dans les milieux libanais mieux connectés que d'autres avec lui, on lui prête l'intention de remodeler la mainmise syrienne sur le Liban sans la remettre en cause. Le scrutin sera-t-il aussi le point de départ d'une meilleure insertion des chrétiens dans la vie politique ? Perdu entre des consignes de boycottage et des comportements confus de la part de ses chefs de file, l'électorat chrétien est resté hésitant, au moment où les musulmans s'engageaient massivement. Cela a été sensible surtout à Beyrouth, où la participation chrétienne (20-30 %) a été deux ou trois fois moindre que la participation musulmane (60-65 %). L'éventuel retour de M. Hariri au pouvoir, bien que les chrétiens fourmillent dans son entourage, pourrait se traduire par un nouveau bras de fer avec le président de la République. Sur les prérogatives du premier ministre, il est plus probable qu'une entente en douceur pourra être aménagée, précisément par la Syrie, durant le mois et demi que les délais constitutionnels imposent jusqu'à la formation du nouveau gouvernement. Soit que M. Hariri revienne au pouvoir en tempérant ses ardeurs, soit qu'il agrée à un intermède qui pourrait avoir nom Najib Mikati, unique survivant de l'hécatombe des dirigeants sunnites, d'ailleurs lui-même proche de M. Hariri, qu'il a appuyé aux élections. LUCIEN GEORGE Le Monde du 6 septembre 2000

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