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La victoire "indépendantiste" à Taiwan ravive les inquiétudes de Pékin

Publié le 17/01/2022

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18 mars 2000 Rassurer Pékin, se poser en homme de paix : tel est le sens du message martelé par le nouveau numéro un taïwanais, à l'heure où le grand chambardement du paysage politique sur l'île ravive l'inquiétude quant au climat stratégique dans le détroit de Formose. Dès son élection, le dixième président de la République de Chine, dénomination officielle de l'Etat à Taiwan, Chen Shui-bian, qui prônait autrefois une sécession de l'île, a tendu une main à Pékin pour engager un "dialogue complet" en vue d'une "réconciliation amicale dans le respect mutuel". Il a proposé la tenue d'un "sommet de la paix", et offert aux deux plus hauts dirigeants du continent, le président Jiang Zemin et le premier ministre Zhu Rongji, de se rendre en visite à Taiwan. Il a aussi réitéré sa proposition de se déplacer lui-même sur le continent. Il a insisté sur le fait qu'il se voulait le président de tous les Taiwanais et qu'il entendait se dégager de ses fonctions de président du parti indépendantiste DPP (Parti progressiste démocratique). Dans cet esprit, il a enfin appelé à une approche "non partisane" des relations avec la Chine populaire. Le régime pékinois a, sur le moment, observé un silence quasi total, se bornant à rappeler sèchement que l'élection de M. Chen "ne peut rien changer au fait que Taiwan est une partie de la Chine". L'ampleur du bouleversement politique intervenu à Taïpeh a toutefois pour effet de rendre l'équation politique autour du détroit de Formose plus complexe que jamais en raison du passé du nouveau président. OUVERTURES LIMITÉES Car M. Chen a clairement marqué les limites des ouvertures qu'il est en mesure d'offrir à Pékin. S'il se dit prêt à discuter avec le régime continental du principe de la "Chine unique", il refuse d'en faire un préalable- ce qui devrait provoquer les premiers heurts avec Pékin. En outre, il rappelle avec insistance son attachement à la "souveraineté". "Nous insistons sur le fait que notre autorité et notre souveraineté doivent être protégées à jamais", a-t-il déclaré, ajoutant qu'il récusait la formule "un pays, deux systèmes" que la Chine veut imposer à Taiwan après l'avoir mise en application à Hongkong et Macao. En cela, il ne se distingue pas considérablement des deux autres candidats qu'il a coiffés de peu sur le poteau, mais l'héritage du mouvement qui le porte au pouvoir réduit sa marge de manoeuvre : hormis l'indépendance, dont la proclamation formelle est aujourd'hui exclue, le DPP n'est structuré autour d'aucune idéologie particulière, en dépit d'une thématique inspirée de la gauche américaine (écologie, féminisme, société civile). L'élection de M. Chen, avec 39,3 % des suffrages exprimés, contre 36,8 % pour son premier adversaire, James Soong, résulte de trois facteurs : un vote sanction cinglant contre le Kouomintang et ses pratiques affairistes qui a conduit l'ancien vice-président Lien Chan, candidat du KMT, a reconnaître immédiatement la défaite ; une vive réaction de l'électorat aux menaces de guerre provenant du continent ; enfin, la cassure de la mouvance du KMT entre deux candidats (l'un, Lien Chan, bénéficiant de l'appareil politique, et l'autre, James Soong, d'une réelle popularité). Le DPP, quant à lui, est parvenu à se donner une image de respectabilité, qui a dissipé la crainte qu'il inspirait jusque là à la frange modérée de l'électorat. Décisif de ce point de vue a été le ralliement à Chen de personnalités prestigieuses comme le savant Li Yuan-tseh, prix Nobel de chimie, désormais pressenti pour être premier ministre. VIOLENCES Mais l'éclatement du paysage politique devrait alourdir les incertitude initiales de la présidence Chen. Celui-ci ne dispose en effet d'aucune majorité au Yuan législatif (Parlement), ce qui l'obligera à des tractations incessantes avec l'opposition. La tâche s'annonce d'autant plus compliquée que celle-ci est soumise à une révolution interne et doit se recomposer. M. Soong a annoncé en termes vagues la création d'un nouveau parti politique appelé à rassembler les éléments déçus de l'ancien KMT. Ces derniers, principalement issus de la communauté continentale, reprochent à l'ancien président Lee Teng-hui d'avoir "trahi " en poussant trop loin la taïwanisation de la vie politique. Cette amertume explique les scènes parfois violentes qui se sont déroulées aux abords du siège du KMT, dimanche 19 mars, quand des manifestants ont bruyamment réclamé le départ immédiat de Lee Teng-hui et son équipe. Sous la pression visible de la rue, la totalité de la direction du KMT a annoncé sa démission pour septembre. Cette effervescence, qui continuait mardi, est pour l'heure restée localisée au centre de Taïpeh et n'a pas débordé les abords du siège du KMT. Elle est cependant révélatrice d'un malaise persistant entre les deux communautés principales de l'île, où les Taiwanais de souche représentent 85 % de la population (les continentaux en regroupant 15 %). Avec les rapports houleux qu'il va devoir gérer avec Pékin, la cohésion communautaire de l'île est le principal défi qui attend le nouveau président et sa vice-présidente Anette Lu. FREDERIC BOBIN ET FRANCIS DERON Le Monde du 21 mars 2000

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