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L'Allemagne, lanterne rouge de l'Europe

Publié le 17/01/2022

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2 mai 2001 C'EST L'ALLEMAGNE aux deux visages : d'un côté, celle, apparemment moderne, du chancelier Gerhard Schröder, qui parvient à faire adopter les réformes que son prédécesseur Helmut Kohl n'était pas parvenu à imposer : ce fut en 1999 le virage de la rigueur budgétaire ; en 2000 l'adoption de la grande réforme fiscale ; en 2001 l'introduction des retraites par capitalisation. Mais, à côté de ce bilan qui permet au chancelier d'aborder avec sérénité les législatives de l'automne 2002, il y a les chiffres, cruels, qui inquiètent les partenaires de l'Allemagne : le pays sera cette année la lanterne rouge de l'Union euro-péenne avec 2 % de croissance, contre 3 % en 2000 ; l'inflation y frôle les 3 % ; le chômage, qui avait baissé de 700 000 depuis fin 1997, est reparti à la hausse depuis début janvier, et l'objectif fixé par M. Schröder d'avoir 3,5 millions de chômeurs en 2002 sera difficile à atteindre. Quel mal atteint l'Allemagne, que les réformes ne parviennent pas à dynamiser ? Le pays est-il condamné à vivre avec une croissance maigre comme dans les années 1990 (1,5 % en moyenne) ? « Les réformes n'ont pas d'influence à court terme sur la conjoncture », déclare Gustav- Adolf Horn, économiste de l'institut d'économie de Berlin DIW de tradition keynésienne, qui invoque des raisons conjoncturelles pour expliquer l'atonie de l'économie allemande. L'Allemagne subit plus que ses partenaires européens le choc du ralentissement américain et mondial. La croissance 2000 avait été sauvée par les exportations, elles-mêmes dopées par la faiblesse de l'euro et des accords salariaux modérés qui ont permis à l'industrie allemande de regagner de la compétitivité. « Les conditions extérieures en 2000 étaient idéales. On a toujours dit que cela ne durerait pas l'éternité », déclare M. Horn. En l'an 2000, l'Allemagne avait gagné des parts de marché à l'étranger, mais les atouts d'hier deviennent handicap : très exportatrice, avant tout de biens industriels, elle est plus vulnérable qu'un pays comme la France, plus centrée sur les services et dont la croissance repose sur la demande intérieure. La vulnérabilité aux chocs externes est gênante, car ceux-ci sont fréquents - en 1999, c'étaient les crises russe et asiatique qui avaient brisé la croissance. Depuis longtemps, l'Allemagne espère que la consommation intérieure va prendre le relais des exportations. Ce retard à l'allumage s'expliquerait, selon certains, par la politique macroéconomique suivie. Ainsi, pour M. Horn, l'Allemagne n'a pas bénéficié, avec la marche vers l'euro, d'une aussi forte réduction de ses taux d'intérêt réels que la France et a souffert d'une politique de réduction des déficits « plus agressive ». Depuis des années, les économistes conseillent de faire jouer les « stabilisateurs économiques » : ne pas distribuer l'argent de la cagnotte en période de vaches grasses, mais ne pas décider non plus de nouvelles économies en cas de ralentissement. La réforme fiscale, entrée en vigueur début 2001, devait stimuler la consommation en donnant un gain de pouvoir d'achat immédiat aux ménages, puisque l'impôt sur le revenu est prélevé à la source. Mais l'inflation a mangé le gain de pouvoir d'achat des Allemands, qui a peu progressé du fait d'accords salariaux modérés, et la consommation n'a pas décollé. La hausse des prix s'explique par le niveau élevé des prix pétroliers - l'Allemagne, qui a moins d'électricité nucléaire que la France, y est plus sensible -, la hausse des prix des produits alimentaires causée par la crise de la vache folle qui a frappé l'Allemagne fin 2000, et le relèvement de certains impôts, comme l'écotaxe, la taxe sur les véhicules ou la redevance télévision. « L'Etat a en partie repris d'une main ce qu'il avait donné de l'autre », explique M. Horn. L'Allemagne semble donc embourbée, avec une croissance atone, un chômage qui ne baisse plus, des déficits plus élevés que prévu en 2001 à cause du recul des rentrées fiscales. Entre ceux qui invoquent, avec un certain fatalisme, les chocs externes ou le coût exorbitant de la réunification et la crise du bâtiment, contrecoup du boom de la réunification, transparaît la volonté de ne rien faire à dix-huit mois des élections. A quoi bon, puisque les réformes de structures ont été faites et que l'ouest du pays, en particulier la Bavière, le Bade-Wurtemberg et la Hesse, connaît quasiment le plein-emploi ? En raisonnant ainsi, on évite de poser la question taboue de la manière dont sont distribués depuis dix ans les fonds dans l'ex-RDA, puits sans fonds qui finance non pas l'investissement, mais le pouvoir d'achat des habitants des Länder de l'Est. Surtout, « tout d'un coup, l'on s'aperçoit que le gouvernement a beaucoup réformé - le système fiscal et les retraites, par exemple -, mais que quelque chose est resté en plan : la réforme du marché du travail », écrit le Spiegel lundi 21 mai. Dans la foulée de son élection, M. Schröder est même revenu sur les réformes de M. Kohl, qui avait facilité les licenciements dans les PME et diminué les remboursements de congés maladie. Il a donné plus de droits aux salariés en réformant la loi sur la cogestion, au grand dam du patronat, ou torpillé une proposition de loi prévoyant de libéraliser les heures d'ouverture des magasins. Certes, M. Schröder s'en est pris il y a quelques semaines aux chômeurs, en clamant qu' « il n'existe pas de droit à la paresse dans notre société ». Mais les incitations concrètes au retour au travail sont faibles. L'institut économique patronal IW a calculé qu'une famille de deux enfants gagnant un salaire de 3 000 marks (10 000 francs) n'avait que 1 000 francs de revenu en plus que s'il vivait de l'aide sociale. « Pour les gens qui ont beaucoup d'enfants, souvent, il n'est pas rentable d'accepter un travail », reconnaît Kurt Beck, ministre-président social-démocrate de Rhénanie-Palatinat. L'un des objectifs est de rendre le travail meilleur marché, dans un pays où il n'y a pas un vendeur dans les magasins pour servir les clients et seulement 40 000 femmes de ménage déclarées. Mais l'on voit mal le chancelier entreprendre de vraies réformes, très sensibles dans son électorat, à dix-huit mois des élections. MENTALITÉS FIGÉES De l'autre côté de l'échelle, le chancelier Schröder avait fait début 2000 un coup médiatique en déclarant vouloir accorder des visas aux informaticiens étrangers pour pallier la pénurie de main-d'oeuvre dans ce secteur en Allemagne. L'idée avait provoqué un vaste débat sur la formation en Allemagne. Mais, dans la pratique, seuls quelques milliers de visas ont été accordés, tandis que Horst Siebert, président de l'institut d'économie mondiale de Kiel, note que l'on ne décèle pas encore dans les statistiques le poids de la « nouvelle économie » en Allemagne. Gerhard Schröder ne manque pas une occasion de vanter les technologies de demain - quitte à se heurter au président de la République, Johannes Rau, sur l'utilisation de la génétique. L'atonie actuelle de l'Allemagne éclaire combien les mentalités, figées dans les années 1970, celles du succès, peinent à évoluer. On peut attendre plusieurs semaines une ligne téléphonique, le travail est organisé pour le travailleur, pas pour le client ; les magasins, fermés à 16 heures le samedi, ont souvent un service après-vente catastrophique ; les étudiants s'éternisent à l'université pour décrocher leur titre de docteur ; société sans enfants, faite pour les vieux et qui fuit le risque, l'Allemagne est un pays qui ne jure que par l'Amérique. Mais elle n'est pas aussi jeune et moderne que voudrait le laisser croire le sourire de son chancelier.

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