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Le comportement raciste Albert MEMMI

Publié le 24/03/2020

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Le comportement raciste

Albert MEMMI

né en 1920 Ce que je crois (1985)

[...] Le monde ne se divise pas en racistes, qui seraient des salauds ou des malades, et les autres, nous, qui serions des gentils et des gens sains. Et, de toute manière, si les imbéciles abondent et si les fous sont aussi nombreux, il faudrait expliquer pourquoi le raciste est atteint de cette folie-là; pourquoi il tient ce discours et pas un autre.

Non, il nous faut admettre, en même temps, ces deux constats : le racisme est insoutenable, par n’importe quel esprit, même médiocrement doué, et il y a en nous quelque chose qui, presque malgré nous, nous pousse, sous une forme ou sous une autre, à le soutenir. C’est contradictoire, embarrassant et assez terrible. Ce moteur inlassable, inusable, jusqu’ici en tout cas, j’ai proposé de l’appeler, d’un terme qu’il m’a fallu forger: l’hétérophobie ou la peur agressive d’autrui. Ce malaise diffus devant les autres, il est aussi difficile d’en rendre compte que de l’amour d’autrui, avec lequel, heureusement, il coexiste. [...] Cette force, cette inclination à accuser autrui, à l’agresser, sous divers prétextes, nous la connaissons bien : nous en avons une très fréquente expérience, même si son contenu est confus, plus émotionnel que raisonnable. En gros, chaque fois que nous nous trouvons devant un individu ou un groupe différent ou mal connu, nous en ressentons quelque malaise. Dans une entreprise comme dans une armée; même au sein d’un clergé ; ne parlons pas des artistes menés par leur excessive sensibilité. Notre inquiétude peut nous pousser à adopter des attitudes de méfiance et même de refus hostile. Lesquelles n’excluent pas, du reste, des sentiments ambivalents d’attente et d’espoir : on le voit chez l’enfant, toujours prêt, à la fois, à prendre peur et à sourire (question classique : l’enfant est-il raciste ? Evidemment non, il n’en possède pas l’argumentation, mais il est candidat à l’hétérophobie}. [...]

Plus grave: cette réaction, à base de peur et de concurrence, ne relève pas seulement du délire: elle a une fonction-, elle fût et, en un sens, reste vitale pour l’espèce humaine. Pour survivre, l’homme a dû souvent défendre son intégrité et ses biens et, à l’occasion, s’approprier ceux d’autrui, biens mobiliers et immobiliers, aliments, matières pre

« ( VISAGES DE L'INCONNU mières, territoire, femmes, biens réels ou imaginaires, religieux, cultu­ rels et symboliques.

De sorte qu'il est à la fois agresseur et agressé, ter- 35 rifiant et terrifié.

Car, puisque chacun en fait autant, on ne sait plus où commence ce cercle infernal de la défense et de l'agression.

Cela fait partie de notre histoire et de notre mémoire collective; et avons-nous vraiment changé depuis ? Ce refùs terrifié et agressif d'autrui n'est pas encore exactement le 40 racisme.

Mais le racisme est une élaboration discursive, une justifica­ tion de ces émotions simples.

Il m'a semblé nécessaire de distinguer ces deux niveaux et de les nommer différemment.

Sinon, personne n'avouerait son hétérophobie, avec laquelle nous devons pourtant com­ poser pour mieux exorciser le racisme.

Inutile de soupçonner et d' ac- 45 cuser tout le monde: sommes-nous tous racistes? Non, mais nous sommes tous exposés à l'hétérophobie.

Le racisme vient se greffer sur ce fond commun, et se singularise selon la tradition culturelle de cha­ cun, et la victime occasionnelle qu'il rencontre.

C'est la société, notre langage, notre littérature, qui nous proposent complaisamment des 50 moules, des casiers déjà préparés où ranger nos émotions.

Inquiets mal­ gré nous devant un homme aux traits asiatiques, nous puisons sponta­ nément dans les figures négatives de Chinois ou de Japonais que nous offrent la littérature ou le cinéma.

Idem pour les Juifs ou les Arabes, ou même pour les femmes.

Sommes-nous déroutés devant une femme? 55 Les stéréotypes de la garce, de la vamp, ou même de la sorcière, sont aussitôt à notre disposition.

Cet aspect conjoncturel, culturel, du racisme ne le rend pas moins dangereux, car nous le suçons, tous ou presque, dès notre première gorgée de lait, nous l'avalons avec nos pre­ mière tartines, à l'école et dans la rue, dans les préjugés familiaux, dans 60 les livres, les films, et même dans les religions.

Ce que je crois, Éd.

Bernard Grasset.

, • '1nalysez la progression argumentative du texte en mettant en relief, d'une part les t~rmes d'articulation, d'autre part les idées importantes.

• Justifiez l'emploi des caractères italiques pour les mots ou expressions: « hétéro­ phobie » (l.

12); « candidat à l'hétérophobie » (1.

27); «fonction» (1.

29); « refus ter­ rifié et agressif d'autrui» (1.

39).

, • ~uels procédés rhétoriques l'auteur emploie-t-il, lignes 34 à 38, et pourquoi? }> Groupement de textes: voir 50 -54 -57 -58.

105. »

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