Le modèle français Jean JAURÈS
Publié le 24/03/2020
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Le modèle français
Jean JAURÈS
1859 - 1914 Discours à la jeunesse (1903)
Dans notre France moderne, qu’est-ce donc que la République? C’est un grand acte de confiance. Instituer la République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre; qu’ils sauront se combattre sans se déchirer; que leurs divisions n’iront pas jusqu’à une fureur chronique de guerre civile, et qu’ils ne chercheront jamais dans une dictature même passagère une trêve funeste et un lâche repos. Instituer la République, c’est proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant assez de temps et de liberté d’esprit pour s’occuper de la chose commune. [...]
Oui, la République est un grand acte de confiance et un grand acte d’audace. L’invention en était si audacieuse, si paradoxale, que même les hommes hardis qui, il y a cent dix ans, ont révolutionné le monde en écartèrent d’abord l’idée. Les Constituants de 1789 et de 1791, même les législateurs de 1792 croyaient que la monarchie traditionnelle était l’enveloppe nécessaire de la société nouvelle. Ils ne renoncèrent à cet abri que sous les coups répétés de la trahison royale. Et quand enfin ils eurent déraciné la royauté, la République leur apparut moins comme un système prédestiné que comme le seul moyen de combler le vide laissé par la monarchie. Bientôt cependant, et après quelques heures d’étonnement et presque d’inquiétude, ils l’adoptèrent de toute leur pensée et de tout leur cœur. Ils résumèrent, ils confondirent en elle toute la Révolution. Et ils ne cherchèrent point à se rassurer par l’exemple des républiques antiques ou des républiques helvétiques et italiennes. Ils virent bien qu’ils créaient une œuvre nouvelle, audacieuse et sans précédent. Ce n’était point l’oligarchique liberté des républiques de la Grèce, morcelées, minuscules et appuyées sur le travail servile. Ce n’était point le privilège superbe de la république romaine, haute citadelle d’où une aristocratie conquérante dominait le monde, communiquant avec lui par une hiérarchie de
«
LA FRANCE ET LE MONDE 1
droits incomplets et décroissants qui descendait jusqu'au néant du
droit, par un escalier aux marches toujours plus dégradées et plus
35 sombres, qui se perdait enfin dans l'abjection de l'esclavage, limite obs
cure de la vie touchant
à la nuit souterraine.
Ce n'était pas le patriciat
marchand de Venise et de Gênes.
Non, c'était la République d'un
grand peuple où il n'y avait que des citoyens et où tous les citoyens
étaient égaux.
C'était la République de la démocratie et
du suffrage
4o universel.
C'était une nouveauté magnifique et émouvante.
Les hommes de la Révolution en avaient conscience.
Et lorsque,
dans la fête
du 10 août 1793, ils célébrèrent cette Constitution, qui
pour la première fois depuis l'origine de !'Histoire organisait dans la
souveraineté nationale la souveraineté de tous, lorsque artisans et
45 ouvriers, forgerons, menuisiers, travailleurs des champs défilèrent dans
le cortège, mêlés aux magistrats du peuple et ayant pour enseignes leurs
outils,
le président de la Convention put dire que c'était un jour qui ne
ressemblait
à aucun autre jour, le plus beau jour depuis que le soleil
était suspendu dans l'immensité de l'espace! Toutes
les volontés se
so haussaient, pour être à la mesure de cette nouveauté héroïque.
C'est
pour elle que ces hommes combattirent et moururent.
[ ...
]
Et voici maintenant que cette République qui dépassait de si haut
l'expérience séculaire des hommes et le niveau commun de la pensée
que,
quand elle tomba, ses ruines mêmes périrent et son souvenir s' ef-
55 frira, voici que cette République de démocratie, de suffrage universel et
d'universelle dignité humaine, qui n'avait pas
eu de modèle et qui sem
blait destinée
à n'avoir pas de lendemain, est devenue la loi durable de
la nation,
la forme définitive de la voie française, le type vers lequel
évoluent lentement toutes
les démocraties du monde.
•-Reformulez en deux ou trois phrases les idées importantes du texte.
• l~diquez les procédés qui marquent la progression argumentative du discours.
_ • l~entifiez les procédés rhétoriques auxquels Jaurès a recours, lignes
28 à 40.
Dédui
s1ez-en la tonalité du texte.
~Groupement de textes: voir 4 -7 -10.
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28.
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