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Le président biélorusse Loukachenko a été réélu avec un score digne de l'époque soviétique

Publié le 17/01/2022

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9 septembre 2001 Ils étaient tout au plus trois mille rassemblés sous une pluie glaciale, dimanche 9 septembre, au centre de Minsk, dans l'espoir de « fêter la victoire » de l'opposition sur le président sortant Alexandre Loukachenko, au soir du premier tour de l'élection présidentielle biélorusse. Fait inhabituel, la police n'avait même pas daigné interrompre la circulation aux abords de la manifestation. « Ce n'est pas un temps à faire la révolution ! », lance une dame en frissonnant sous son parapluie. « Nous avons gagné ! C'en est fini du tyran ! », s'égosille pourtant un jeune homme. A 23 h 30, trois heures après la fermeture des bureaux de vote, les résultats tombent : 78 % en faveur d'Alexandre Loukachenko ; 12 % pour son rival, Vladimir Gontcharik, candidat unique de l'opposition ; 3 % pour le nationaliste Sergueï Haidioukevitch et une participation de 82 %, selon la commission électorale. Sur la place, l'enthousiasme tombe. « Forcément, l'équipe de Gontcharik et celle de Loukachenko, c'est pareil », peste un adolescent en s'éloignant. « L'ART DE FRAUDER » Un score et un taux de participation dignes de l'époque soviétique, c'est ce dont rêvait Alexandre Loukachenko. Elu au suffrage universel avec plus de 80 % des voix sept ans plus tôt, cet ancien instructeur idéologique du Parti communiste puis président d'une ferme collective, n'est pas un chaud partisan des urnes. En 1996, il fit prolonger son mandat de deux ans par référendum - « la plus démocratique des consultations », dit-on ici -, renvoya le Parlement et livra une chasse sans merci à l'opposition, totalement marginalisée depuis. Se soumettre au verdict des urnes aujourd'hui (même si celles-ci étaient scellées dans une substance proche de la pâte à modeler) a dû être source de maux de tête pour le président. Il avait confié dernièrement qu'il « dormait très mal » et a semblé un peu tendu lors de son allocution télévisée, samedi soir. Une fois sa victoire annoncée, comme pressé d'en finir, il ponctua : « Nous n'avons pas besoin de reconnaissance. Les élections se sont déroulées comme le prévoit notre loi et celle-ci est la même partout. » Vendredi, le chef de la mission de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Hraïr Balian, avait dénoncé la pratique du vote par anticipation, « porte ouverte à la fraude », déplorant l'absence d'obligation de résultats détaillés par circonscriptions et la captation du temps d'antenne par le candidat Loukachenko. Mais, dimanche soir, des observateurs ont dit n'avoir relevé que « quelques irrégularités », tout en reconnaissant que l'élection n'était pas « au niveau des standards internationaux ». « Ils ont probablement fait des progrès dans l'art de frauder », lâche en riant une fidèle de Vladimir Gontcharik. Parler pauvre et costume gris, celui-ci a promis, lors d'une conférence de presse tardive, de rendre publiques les vraies données du scrutin, région par région, et réclamé la tenue d'un second tour, le président sortant n'ayant obtenu, selon lui, que 40 % des voix. « Nous allons contester ces résultats et pas seulement devant un tribunal », prévient-il, sans plus de précisions. Largement attendue, probablement entachée de fraudes, la réélection d'Alexandre Loukachenko renvoie définitivement l'opposition dans les cordes. « Regardez-la, ce sont tous ceux qui n'ont pas pu rester avec lui », explique Svetlana Alexeevitch, écrivain. De fait, l'état-major de Vladimir Gontcharik comptait un ancien ministre de l'agriculture de Loukachenko et un ex-officier du KGB en service pendant sa présidence. M. Gontcharik lui-même, ancien deuxième secrétaire du Parti de Moguilev (région natale du numéro un), vissé à son fauteuil de président des syndicats, ne s'est jamais distingué par la virulence de ses critiques à l'égard de l'autoritaire Loukachenko quand celui-ci réprimait brutalement grèves et meetings, ni lorsque les rivaux du président se mirent à disparaître mystérieusement. Mais l'opposition, poussée par quelques conseillers occidentaux, a cru à l'émergence possible d'un « Kostunica biélorusse », un apparatchik du sérail qui aurait pu attirer les voix des nostalgiques. « Il y a très certainement eu fraude mais il ne faut pas oublier que ce régime tient grâce aux gens. On présente toujours Loukachenko comme un terroriste dont nous sommes otages, or il sied à toute une frange de la population, et pas qu'aux personnes âgées. Pourquoi ? Parce qu'il a su ranimer les peurs et ici on a peur d'une nouvelle vie », explique Svetlana. MARIE JEGO Le Monde du 11 septembre 2001

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