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L'élection de Bill Clinton

Publié le 22/02/2012

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3 novembre 1992 - " Sortez les sortants ! " : le vieux cri populaire a fait, mardi 3 novembre, bien d'autres victimes que le président George Bush. Soumise tout entière à réélection, la Chambre des représentants - 435 membres - a subi son plus profond renouvellement depuis plus de quarante ans. 109 élus y font leur entrée. On n'est pas loin du record établi en la matière en 1948 avec 118 néophytes. Redoutant de perdre leur fauteuil, 72 parlementaires avaient, il est vrai, préféré prendre les devants, en ne sollicitant pas un nouveau mandat. Certains étaient découragés par la paralysie du système législatif résultant de la guérilla permanente entre un président républicain et une majorité démocrate à la Chambre. D'autres n'avaient pas d'illusion sur leurs chances, ayant trempé dans le " scandale des chèques " (nombre d'entre eux tiraient impunément des chèques sans provision qu'émettait une banque contrôlée par la Chambre). Une vingtaine d'élus avaient - pour la même raison - été battus dès le stade des primaires. En attirant l'attention sur les privilèges des congressmen, cette affaire a discrédité un peu plus la classe politique. Cinquante-trois femmes Ce renouvellement profite en premier lieu aux minorités ethniques. La Chambre compte désormais 38 Noirs (contre 25), 17 Hispaniques (contre 11) et 4 Asiatiques (contre 3). Cette " poussée ethnique " résulte aussi en partie du redécoupage - favorable aux minorités - de certaines circonscriptions, qui intervient tous les dix ans pour tenir compte de l'évolution démographique. Il n'empêche : nombre de représentants noirs sont élus pour la première fois dans cinq des Etats du Sud : Alabama, Floride, Virginie, Caroline du Nord et du Sud. Tout se passe donc comme si, trente ans après avoir été votée (sous le règne de Lyndon Johnson), la législation sur les droits civiques produisait tous ses effets à la Chambre des représentants. Autre petit événement : le retour à la Chambre, après une absence de plus de soixante ans, d'un élu de la communauté amérindienne, un éleveur du Colorado répondant au nom évocateur de Nighthorse ( " Cheval de nuit " ) Campbell. Irritées notamment par le traitement méprisant que la commission sénatoriale avait réservé à Anita Hill dans l'affaire qui l'opposa il y a un an au juge Clarence Thomas, accusé de " harcèlement sexuel ", les femmes avaient décidé, cette fois, de monter à l'assaut du Congrès (116 candidates). Mission accomplie : elles sont désormais 47 à la Chambre (contre 28). Mais on retiendra surtout leurs performances au Sénat, dont un tiers des 100 mandats étaient renouvelables. Quatre femmes font leur entrée dans cette enceinte conservatrice, où elles seront désormais six à siéger, dont Mme Carol Moseley Braun, élue à Chicago (Illinois). Celle-ci est la première femme noire du Sénat, qui ne comprenait plus aucun élu de couleur depuis 1979 (le Monde du 5 novembre). Les femmes ont eu moins de chance dans les élections aux postes de gouverneurs, où les 12 sièges à pourvoir reviennent à des hommes (8 démocrates et 4 républicains). Le profil de l'électeur " clintonien " L'équilibre des forces au Congrès entre les deux grands partis ne change guère. A la Chambre, les républicains ne réussissent pas la percée qu'ils espéraient il y a quelques mois. Avec 259 élus, les démocrates ne concèdent que 9 sièges au " parti de l'éléphant " (175 élus), le dernier mandat revenant à un candidat indépendant. Au Sénat, le parti de l'âne conserve presque le même nombre de sièges (58 contre 42 aux républicains), bien que ses élus aient été plus nombreux à se soumettre au verdict des urnes. Les démocrates restent largement majoritaires à la Chambre - où ils le sont depuis trente-huit ans - et au Sénat, qu'ils contrôlent à nouveau depuis 1986. La confortable avance dont bénéficiait M. Clinton dans les sondages a clairement joué en faveur des congressistes démocrates les plus menacés. S'agissant du scrutin présidentiel, l'étude des sondages effectués à la sortie des urnes confirme les grands traits du paysage électoral, tel qu'il s'était dessiné dès les premières heures du dépouillement. M. Clinton est bien, avant tout, l'élu de la classe moyenne blanche rendue inquiète par la récession économique et la montée du chômage et qui a décidé de " donner sa chance " à un dirigeant centriste, porte-drapeau du changement. Un chiffre est révélateur à cet égard : 51 % des électeurs se définissant comme des " modérés " ont voté pour Bill Clinton (30 % pour George Bush et 19 % pour Ross Perot). Deux autres indications précisent le profil de l'électeur clintonien : le gouverneur de l'Arkansas vient nettement en tête dans les banlieues résidentielles, où vit l'essentiel de la classe moyenne (45 % des suffrages contre 37 % pour M. Bush) plus d'un démocrate sur deux ayant voté républicain en 1988 (les fameux Reagan Democrats) a changé de camp cette année, le président ne retrouvant que 58 % de l'ensemble de ses électeurs d'il y a quatre ans. Même parmi les Américains les plus fortunés, disposant d'un revenu annuel supérieur à 75 000 dollars, l'avance de M. Bush sur son rival n'est que de huit points (46 % contre 38 %). D'autres chiffres surprennent moins. M. Clinton a obtenu 47 % des suffrages féminins et M. Bush 36 % seulement. Le président a sans conteste fait les frais, parmi l'électorat féminin, de la ligne ultra conservatrice - s'agissant notamment de l'avortement - qu'il s'était laissé imposer lors de la convention de Houston par l'extrême droite de son parti. Conformément à la tradition politique américaine, le candidat démocrate a recueilli le plus gros du vote des Noirs (83 %), des Hispaniques (62 %) et des Juifs (80 %). Le " parti de l'âne " reste, plus que jamais, le favori des minorités. Comme on le pressentait, les Américains se sont rendus aux urnes plus nombreux qu'à l'ordinaire, acceptant souvent de faire de longues queues devant les bureaux de vote. Leur participation électorale, en progrès de 4 points, devrait se situer autour de 56 %, un chiffre qui n'avait pas été atteint depuis vingt ans. Les nouveaux inscrits, en majorité des jeunes, ont voté démocrate, M. Clinton obtenant 44 % des suffrages dans la tranche des dix-huit-vingt-neuf ans. " Last but not least ", M. Ross Perot a réussi un exploit en recueillant 19 % des voix, soit nettement plus que le meilleur des candidats indépendants de ce siècle après Theodore Roosevelt, un certain Robert La Follette, qui avait séduit 16,6 % des électeurs en 1924. Le milliardaire excentrique réalise ses meilleurs scores parmi l'électorat masculin blanc et dans les Etats de l'Ouest. Que va-t-il faire de ce capital de confiance ? Il semble tenté de transformer sa machine électorale en une formation politique plus durable, ce qui serait une mauvaise nouvelle supplémentaire pour un Parti républicain divisé, et qui chasse sur les mêmes terres électorales que le riche Texan. Mais qui peut savoir ? L'homme est imprévisible. Ses partisans songent déjà à la prochaine élection présidentielle, dans quatre ans. Mercredi 4 novembre, à Dallas, ils applaudissaient leur champion en scandant, sur l'air des lampions, un autre chiffre magique " Quatre-vingt-seize ! Quatre-vingt-seize "... JEAN-PIERRE LANGELLIER Le Monde du 6 novembre 1992

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