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Les premières armes de la Bundeswehr

Publié le 22/02/2012

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3 octobre 1954 - Quand s'engagea sur le plan international, avec les accords de Londres du 3 octobre 1954, le processus de réarmement de l'Allemagne, parmi les institutions au service du IIIe Reich, la Wehrmacht était encore sous le coup du traitement radical qu'elle avait subi en 1945. Les vainqueurs en avaient fait table rase. Nombre de ses membres, qui avaient tout perdu dans la défaite, en étaient réduits à garder sur le dos leur vieil uniforme délavé, dépouillé de tout insigne (et bien entendu de toute décoration) et certains occupants s'offusquèrent de ces frusques d'infortune et décrétèrent des mesures vexatoires-et inapplicables-pour effacer ces vestiges d'un passé qu'on voulait voir rayé à jamais de l'histoire allemande. La population civile, toujours sous le choc d'un anéantissement sans précédent et de l'opprobre mondial qui l'accompagnait, ne songeait guère qu'à sa pitance quotidienne. Elle aussi ne voulait plus entendre parler du métier des armes : le jugement de Dieu avait été implacable. A l'opposé de ce qui s'était produit en 1918, elle s'y soumit sans murmurer. Le relèvement progressif du pays ne changea pas cette attitude. Les alliés avaient poussé à l'extrême leur oeuvre de " rééducation ". Le gouvernement fédéral était à peine en place qu'il se voyait enjoindre de signer, le 22 novembre 1949, avec le haut commissaire des trois puissances occidentales les accords dits de Petersburg, qui, tout en assouplissant le statut d'occupation, engageaient le chancelier Adenauer " à maintenir la démilitarisation du territoire fédéral et à employer tous les moyens à sa disposition pour empêcher la reconstitution des forces de combat quelle qu'en soit la nature ". Les alliés pensèrent-ils qu'ils étaient allés trop loin? Ce sont eux, semble-t-il, qui, quelque temps après, suggérèrent au chancelier de s'adjoindre une sorte d'officier de liaison à toutes fins utiles. Adenauer ne se fit pas prier. En mai 1950, il installa discrètement à la chancellerie un " bureau pour les affaires de sécurité " et le confia à un ancien général qui s'était distingué sur les champs de bataille mais qui avait, en outre, appartenu au cercle des officiers qui avaient conspiré contre Hitler, le comte Gerhard von Schwerin. Là-dessus éclata la guerre de Corée. Schwerin crut-il son heure venue ? Il commença à recruter quelques anciens camarades. Peut-être même avait-il pris des contacts avec l'industrie. La presse, en tout cas, découvrit son existence. Le secret était éventé, Adenauer avait agi en autocrate, méprisant l'opinion publique toujours dressée contre ce qui pouvait rappeler la Wehrmacht. Le chancelier n'entra pas dans cette querelle. Il congédia purement et simplement le comte Schwerin, dont la présence à ses côtés jetait une ombre sur ses intentions. C'était un délestage, non un désaveu. Dans les derniers jours d'août 1950, Adenauer communiqua aux trois hauts commissaires un mémorandum secret-même le cabinet n'avait pas été mis au courant-proposant une contribution allemande à la défense occidentale, contribution acceptée avec des réactions diverses par le conseil de l'OTAN moins d'un mois plus tard. Son but : par le biais du réarmement allemand, récupérer la souveraineté pleine et entière de la République fédérale, toujours sous le joug, de moins en moins pesant, du statut d'occupation, et faire entrer celle-ci sur un pied d'égalité dans l'alliance atlantique, ce qui mettrait fin, une fois pour toutes, à la tentation du jeu de bascule de l'Allemagne éternelle entre l'Ouest et l'Est. Ces objectifs n'étaient pas accessibles du jour au lendemain, et le second n'était même pas encore avouable, mais ils formaient un programme cohérent d'avenir. C'était désormais officiel et public : la République fédérale allait réarmer. Au sein du gouvernement, le ministre de l'intérieur, Gustav Heinemann, qui était en même temps président du Synode protestant, démissionnait avec éclat et, dans une dernière lettre au chancelier, datée du 9 octobre 1950, dénonçait cette " infraction à la volonté divine ", expression " d'une peur incroyable et de l'apathie fataliste qui s'est emparée d'une partie de notre peuple ". Cette sécession n'entraîna pas cependant celle de l'Eglise protestante tout entière. Le pasteur Martin Niemoeller, autrement prestigieux que Heinemann et bien meilleur orateur, avec derrière lui d'autres pasteurs de cette " Eglise confessante " qui avait mené la lutte contre le paganisme nazi, s'adressèrent à des auditoires qui se sentaient brusqués et bravés par la politique du chancelier. Il y eut un véritable mouvement de rejet, qui faillit ébranler les assises de la jeune démocratie allemande bien qu'à aucun moment, comme on doit le reconnaître avec le recul du temps, il ne se soit traduit par une désaffection électorale massive à l'égard du parti du chancelier, la CDU. La social-démocratie se raidit sur des positions d'antagonisme agressif. Elle rejeta aussi bien les traités signés en mai 1951 que les traités sur la CED assortis du " plan Pleven ", qui aurait interdit la formation d'une armée allemande classique. Jusqu'au tournant de 1959-1960, elle inventa toutes sortes d'arguments et de solutions de rechange pour faire pièce à la politique d'intégration militaire d'Adenauer. Mais, en même temps, elle n'entendait pas se laver les mains de ses responsabilités parlementaires et encore moins laisser l'initiative à la rue. Si l'on devait en passer par un réarmement allemand (curieusement, le SPD préférera jusqu'au bout, malgré le précédent peu engageant de la Reichswehr, l'armée de métier au service obligatoire), il fallait que celui-ci fût exemplaire à tous les points de vue. Sans son concours, d'ailleurs, on n'aurait pas pu introduire dans la Constitution les articles permettant d'organiser la future Bundeswehr. Quand cette dernière vit-elle vraiment le jour ? C'est le 12 novembre 1955 que le premier ministre fédéral de la défense, le député CDU et ancien syndicaliste Theodor Blank, remit aux cent un premiers cadres volontaires de la Bundeswehr les brevets de leur grade. ALAIN CLEMENT Le Monde du 30 septembre-10 janvier 1984

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