Devoir de Philosophie

Les soldats de l'Algérie française

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

21 avril 2002 AU lendemain de la seconde guerre mondiale, les furieux combats de la IIIe République pour la restauration de la monarchie, puis contre la république parlementaire sont anachroniques, outre qu'ils sont marqués au sceau de l'infamie en raison des extrémités auxquelles ils ont conduit sous le régime de Vichy. Le parlementarisme triomphe, en se réclamant des aspirations issues de la Résistance, fût-ce contre l'avis de De Gaulle. L'héritage monarchiste ne perdure guère que dans les photos des familles royales publiées par les magazines en couleurs, alors en plein essor, la télévision balbutie, et l'idéologie de l'Action française ne déborde pas des modestes tirages de quelques publications : Aspects de la France, La Nation française, de Pierre Boutang, puis La Nouvelle Action française, en 1957. Pour retrouver un terreau fertile, les germes de l'extrême droite devront attendre la résurgence de thèmes porteurs : l'histoire douloureuse de la décolonisation de l'ancien empire français leur en fournira un avec, en 1954, la perte de l'Indochine qui, bien que prévisible, survient comme une catastrophe nationale. L'Algérie prend aussitôt le relais, dans le même climat d'aveuglement politique. De tels chocs historiques étaient de nature à heurter le patriotisme traditionnel et, au-delà, à conforter le sentiment d'un déclin inéluctable de la nation pour peu que fût refusée la mutation politique qu'appelaient, parallèlement, le cours de l'histoire et le choix de la nouvelle vocation européenne de la France. Suivant cet état d'esprit, qui était celui d'une nouvelle extrême droite, il s'agissait alors, sinon de restaurer l'ordre ancien, du moins de provoquer un sursaut pour stopper un processus funeste. Le phénomène poujadiste n'a pas participé de cette construction : il ne fut qu'un épisode propice et décalé, une parenthèse. Sociologiquement, il exprimait l'effacement d'une catégorie jusque-là fortement structurée, celle des petits commerçants et travailleurs indépendants. Politiquement, il remettait au goût du jour les vieux réflexes de l'antiparlementarisme (« Sortez les sortants »), du patriotisme replié sur lui-même et d'une certaine xénophobie. Pas étonnant, donc, de voir apparaître, parmi les 52 députés de la vague poujadiste des élections législatives de 1956, le visage de Jean-Marie Le Pen, tout jeune élu de Paris. Avec quelques autres activistes nationalistes, il sera vite écarté du mouvement corporatiste et populiste de Pierre Poujade. En 1956, un autre tribun de l'extrême droite, Jean-Louis Tixier-Vignancour, ancien notable du régime de Vichy, ténor du barreau de Paris, revient au Parlement. Il avait patienté dans l'inéligibilité en accompagnant l'émergence du mouvement Jeune Nation, créé par les frères Pierre, Jacques et Henri Sidos. On le retrouvera à l'élection présidentielle de 1965 qui ouvre à l'extrême droite l'opportunité d'une campagne légale ; il y rassemble 5,19 % des suffrages exprimés. Jeune Nation incarnait, sous l'emblème de la croix celtique, un néo-nationalisme s'affirmant contre la menace du communisme et l'emprise de l'impérialisme américain, mais aussi, parce qu'on ne change pas vraiment, contre la République et les partis et pour l'éviction des « métèques » . Ce groupe de militants activistes fut interdit lors de l'imbroglio de mai 1958, sous sa première appellation puis sous celle de Parti nationaliste (cela n'empêcha point la IVe République de succomber sous la pression des militaires et des Français d'Algérie qui en avaient appelé au recours du général de Gaulle). A partir de 1958, les mois et les années passant, d'abord dans l'ambiguïté puis dans la perspective de l'indépendance de l'ancienne colonie, la tension ne cesse de monter dans les milieux nationalistes forts du soutien des partisans irréductibles de l'Algérie française et d'une grande partie de l'encadrement militaire volé de ce qu'il pensait être sa victoire sur le terrain. L'OAS (Organisation armée secrète) naît de cette conjonction à la veille de l'indépendance algérienne. Fondée en 1961 à Madrid, par des factieux en fuite, cette organisation prétend poursuivre à sa manière le combat pour l'Algérie française, contre le FLN et contre ceux qui se prêtent à la négociation avec les nationalistes algériens (les accords d'Evian datent de mars 1962). Attentats, exécutions, coups de main, sabotages, le terrorisme des uns s'inspire de celui des autres sous la houlette du général putschiste Raoul Salan, puis, après son arrestation, sous celle de Georges Bidault, ex-ministre, ancien président du Conseil national de la Résistance. C'est à la suite d'une manifestation populaire de protestation contre l'OAS que huit personnes périssent au métro Charonne le 8 février 1962. Tandis que Tixier-Vignancour met son talent d'avocat et sa voix de bronze au service des « soldats perdus », en particulier Salan et Bastien-Thiry, auteur de l'attentat du Petit-Clamart contre de Gaulle, les réseaux se reforment, les agitateurs complotent, les groupuscules se reforment aussitôt qu'ils sont dissous. Ce sont, par exemple, Europe-Action, Occident, Ordre nouveau : on y retrouve les mêmes noms, tels ceux de Sidos, de Dominique Venner, de François Duprat, qui rejoindra Le Pen au Front national et périra dans un attentat en 1978, de journalistes de Minute et de Rivarol ; d'autres visages plus nouveaux, aussi, ceux d'Alain Madelin, de Patrick Devedjian, de Gérard Longuet, de William Abitbol, qui militaient à Occident, interdit en novembre 1968. Ces derniers se feront, plus tard, un nom au sein de la droite classique, les autres s'effaceront ou rallieront le Front national, lorsqu'il apparaîtra plus gratifiant d'occuper le terrain électoral. ANDRE LAURENS Le Monde du 29 avril 2002

Liens utiles