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« Loft Story » : enquête sur les coulisses de la première émission de télé-réalité

Publié le 17/01/2022

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21 mai 2001 L'ÉQUIPE de « Loft Story » explosera-t-elle après le départ précipité et inattendu, mardi 1er mai, de David ? Jeudi 3 mai, à quelques heures de l'émission spéciale programmée sur M 6 pour faire le bilan de la première semaine de ce « divertissement » d'un genre encore inédit en France, la question hantait salons, cafés, bureaux, cours de collèges et de lycées. Critiqué, dénoncé, le phénomène télévision de l'année n'en fascine pas moins le pays. Depuis son lancement, jeudi 26 avril, à 20 h 50 sur M 6, plus de cinq millions de téléspectateurs se passionnent en effet pour la vie quotidienne des onze « cobayes » - six hommes et cinq femmes, âgés de vingt à vingt-huit ans - reclus volontaires dans un appartement spécialement construit à La Plaine-Saint- Denis, en banlieue parisienne. Ce jeu de « télé-réalité » (la chaîne préfère parler de « fiction réelle » ) est un avatar français de l'émission d'origine hollandaise « Big Brother ». Son but est de former un couple, derniers « survivants » après l'élimination progressive des participants par un vote conjoint des candidats et des téléspectateurs. Le jeune homme et la jeune femme qui resteront en lice remporteront une maison « d'une valeur de 3 millions de francs », à la condition d'y vivre ensemble six mois, et toujours sous le regard des caméras. PROVOQUER DES CRISES Trente-huit mille personnes « célibataires et sans enfants » s'étaient portées candidates. Après de nombreux tests médico-psychologiques, les responsables de la production, aidés par une équipe de psychologues et de « psychanalystes diplômés », en ont retenu vingt- deux. Onze ont passé, le 26 avril, les portes du loft et les autres sont « en réserve », prêts à remplacer des candidats qui craqueraient et décideraient d'eux-mêmes d'abandonner la partie. « Mon rôle a été de conseiller la production au cours des différentes étapes de sélection, explique Didier Destal, psychiatre au service d'hospitalisation publique en Seine-Saint-Denis. Il fallait être attentif, étudier la personnalité et le parcours des candidats, afin d'éviter de sélectionner des gens que la pression du jeu aurait pu mettre en danger. » Sa « vigilance » n'a toutefois pas empêché un candidat - David - d'abandonner le loft, six jours après le démarrage. Et plusieurs autres candidats semblent avoir déjà les nerfs à fleur de peau. Mais, commente froidement le docteur Destal, « les réactions émotionnelles sont créées par le phénomène de groupe ». Le casting qui a présidé au choix des candidats a joué un rôle déterminant dans la création des situations qui ne doivent pas manquer d'avoir lieu dans l'appartement. Parmi les critères retenus, la chaîne a demandé à ce qu'ils soient « télégéniques ». Les épreuves de sélection ont clairement privilégié des jeunes gens qui ne craignent pas l'exhibitionnisme, chacun représentant un type « sociétal » bien particulier, du beur sportif à la petite bourgeoise en passant par l'intello. Bref, un véritable générique de la série « Friends », mâtiné d'« Hélène et les garçons », transposé dans un loft équipé façon Galeries Barbès des années 1960-1970. Le « loft » dans lequel sont parqués les candidats est une construction en préfabriqué de 225 mètres carrés, avec salon, salle à manger, cuisine américaine, deux chambres-dortoirs comptant respectivement cinq et six lits. Ce choix de chambres collectives permet de favoriser les confidences nocturnes. Tout est calculé pour pousser les occupants à une promiscuité permanente. Le but est évident : cette intimité doit faciliter les éventuels rapports sexuels entre les candidats. Parmi ces dispositifs, qui transforment le loft en une sorte de laboratoire où les réactions des participants sont largement prévisibles, il a été prévu une salle de bain avec douche unique (et caméra au-dessus du pommeau). L'eau chaude n'est disponible qu'une heure par jour. L'absence de machine à laver le linge et de machine à laver la vaisselle oblige les jeunes gens à partager ces corvées ménagères, et ne devrait pas manquer de provoquer des situations de crise. Un jardin de 380 mètres carrés avec piscine chauffée, potager, lavoir et poulailler, fermé par de hauts murs, jouxte la maison. L'ensemble, enfin, est noyé en permanence sous les projecteurs - contraignant certains « cobayes » à porter des lunettes de soleil - et protégé des incursions extérieures par des vigiles. GLACES SANS TAIN Vingt-six caméras (dont trois infrarouges permettant de filmer la nuit dans les chambres) et plus de cinquante micros sont placés partout, sauf dans les toilettes, et enregistrent en permanence les faits, captent le moindre des gestes et des paroles de la maisonnée, autour de laquelle s'affaire, dans l'ombre, une centaine de techniciens. En plus des caméras automatiques, d'autres sont dirigées par des cadreurs placés derrière les glaces sans tain qui couvrent les murs de quasiment toutes les pièces et du jardin. Les producteurs campent derrière les parois de l'appartement. De temps en temps, ils sont interpellés par les participants qui peuvent faire entendre leur voix par-dessus les murs d'enceinte du jardin. La production transmet aux candidats des défis à relever (par exemple, l'organisation d'une chorégraphie sur le modèle d'une scène du film Grease ). S'ils échouent, le budget quotidien alloué pour commander vivres, nécessaires de toilette, etc., est amputé. « On m'a assuré que rien n'était scénarisé à l'avance », affirme Didier Destal, en contact téléphonique régulier avec les candidats, via le « confessionnal », seul lieu où il est possible de s'isoler - mais toujours sous le regard des caméras. Pourtant, les candidats donnent souvent l'impression d'être manipulés comme des marionnettes contraints de se prêter à des jeux humiliants. S'il ne semble pas y avoir de scénarisation de la vie dans le loft, en revanche, les résumés diffusés chaque soir à 18 h 15 par M 6 sont l'objet d'un choix d'un rédacteur en chef. Dans ces sélections, montages et coupes mettent donc en scène la « réalité » de la vie du loft. Ces découpages ne respectent pas forcément la chronologie de la vie des occupants, laissant parfois une impression de trucage aux téléspectateurs. La chaîne ne diffuse en effet que quelques secondes de « direct » par jour. Une fois par semaine, le jeudi, une émission spéciale est organisée à 20 h 50. Ceux qui veulent en savoir plus sur les reclus peuvent, pour 70 francs par mois, suivre leur vie en continu sur TPS qui a ouvert un canal spécial, se brancher sur le site de l'émission, ou encore écouter 24 heures sur 24 par téléphone ce qui se passe dans le loft. La volonté affichée par M6 de diffuser par ces canaux, un « direct » sans aucune interruption est-elle pour autant respectée ? Mardi soir, lors de l'annonce du départ de David, qui semble avoir semé un certain trouble dans l'équipe, les caméras se sont curieusement éteintes durant plusieurs minutes. La chaîne n'a fourni aucune explication à cette rupture de la diffusion. Contrat avec les participants (lire ci-contre), casting et contraintes dans la vie quotidienne : tout a été calculé pour provoquer les scènes que la chaîne entend offrir aux téléspectateurs. Avec succès, puisque la première relation sexuelle a eu lieu dès le samedi soir, entre Loana et Jean-Edouard. Les scènes les plus osées ont été toutefois expurgées des résumés proposés par M6 ainsi que du choix de plans proposés sur le câble.

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