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Mexique: La révolte des indiens du Chiapas

Publié le 22/02/2012

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1er janvier 1994 - Déconcerté par l'ampleur de la rébellion des Indiens du Chiapas, qui s'étaient emparés de plusieurs petites villes de cet Etat au cours du week-end dernier et contrôlent encore quelques villages, le gouvernement mexicain a fait appel à l'Eglise catholique pour convaincre les quelques centaines d'insurgés de déposer les armes et de relâcher l'ancien gouverneur du Chiapas, le général Absalon Castellanos, accusé par les rebelles d'avoir organisé des " massacres " d'Indiens et de paysans. Les trois évêques du Chiapas, réunis depuis dimanche 2 janvier, dans la capitale de l'Etat, Tuxtla-Gutierrez, attendent une réponse à l'offre de médiation faite aux dirigeants de l'Armée zapatiste de libération nationale (AZLN). " La lutte armée n'est pas la solution aux graves injustices sociales vécues par les indiens du Chiapas, nous a déclaré l'évêque de Tapachula, Felipe Arizmendi. C'est un acte de désespoir de la part d'un secteur qui ne voyait plus d'autre issue pour sortir de la misère ". Commentant l'effet de surprise créé par les rebelles, Mgr Arizmendi estime que les autorités avaient sous-estimé la gravité de la situation dans cet Etat frontalier avec le Guatemala, à plus de 700 kilomètres au sud de Mexico. " Les guérilleros disent eux-mêmes qu'ils se préparaient depuis quinze ans ", souligne-t-il. En mai dernier, des incidents avaient opposé les troupes régulières à des " hommes armés ". Deux militaires avaient été tués et une dizaine de paysans arrêtés, dont deux Guatémaltèques. Cela avait contribué à alimenter la rumeur que les groupes armés signalés à l'occasion dans la jungle du Chiapas appartenaient à l'URNG (Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque), qui utilise le Mexique comme sanctuaire depuis une trentaine d'années. En fait, bien que l'on ne dispose pour l'instant d'aucun élément permettant de le confirmer clairement, tout porte à croire que les héritiers d'Emiliano Zapata, le héros de la révolution mexicaine de 1910, entretiennent des relations avec les rebelles de l'URNG. Au cours des quinze dernières années en effet, des dizaines de milliers de paysans guatémaltèques ont trouvé refuge dans les montagnes du Chiapas, où ils ont été accueillis par une population d'origine maya, comme eux, qui fait face aux mêmes injustices sociales, à l'analphabétisme et au racisme. Une terrible répression contre les indigènes Comme au Guatemala, les grands propriétaires terriens du Chiapas avaient encore tout récemment droit de vie et de mort sur les petits paysans qu'ils recrutaient, au plus bas salaire possible, pour récolter les bananes ou le café. Alors que les massacres de paysans au Guatemala étaient largement couverts par la presse internationale et mettaient ce pays au ban des nations, la terrible répression exercée au Chiapas et dans quelques autres Etats mexicains à forte composante indigène, comme le Guerrero, passaient largement inaperçus. Malgré les rapports sévères d'Amnesty International ou d'America's Watch, les violations systématiques des droits de l'homme par les autorités mexicaines ne semblaient pas émouvoir la communauté internationale. Du moins jusqu'à l'ouverture des négociations pour la signature d'un traité de libre-échange avec les Etats-Unis et le Canada, l'ALENA. Pour entrer dans le club des pays industrialisés, le Mexique devait améliorer son image. Ce qu'il entreprit de faire, créant notamment une commission officielle des droits de l'homme et nettoyant la police de ses éléments les plus corrompus. Le président Carlos Salinas, au pouvoir depuis 1988, sous-estima cependant les effets dévastateurs de la " modernisation " économique sur les secteurs sociaux les plus pauvres, la majorité des quatre-vingt-cinq millions d'habitants et la quasi-totalité des quelque huit millions d'Indiens. En particulier le monde rural qui, contrairement à une légende bien ancrée, ne put jamais réellement bénéficier d'une véritable réforme agraire comme l'avait souhaitée Zapata, assassiné en 1919, sur ordre du gouvernement, avant d'avoir pu mener à bien ses projets. Ceux qui se réclament aujourd'hui de Zapata ne font aucune différence entre la dictature pré-révolutionnaire de Porfirio Diaz et la situation actuelle. Le communiqué diffusé par le " commandant " Marcos au moment où il occupait la ville de San-Cristobal-de-las-Casas révèle cet état d'esprit. Sous le titre " Aujourd'hui, nous disons : cela suffit ! ", les rebelles affirment " qu'ils ne cesseront pas le combat tant que les besoins fondamentaux de (leur) peuple ne seront pas satisfaits ". En choisissant le 1 janvier pour déclencher leur mouvement, les insurgés du Chiapas ont sans doute pensé au trente-cinquième anniversaire de la révolution cubaine qui, malgré sa décomposition, reste une référence pour la gauche latino-américaine. Mais le Jour de l'an était aussi la date d'entrée en vigueur de l'ALENA, et les héritiers de Zapata ont réussi à gâcher la fête qui devait se célébrer à leurs dépens. BERTRAND DE LA GRANGE Le Monde du 5 janvier 1994

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