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PAUL VALÉRY: La fileuse.

Publié le 17/01/2022

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De tous les poètes vivants, Paul Valéry est aujourd'hui le plus célèbre, ne disons pas le plus populaire. Il a d'ailleurs publié peu de vers; un volume suffit à contenir Narcisse, la Jeune Parque, le Cimetière marin, le Serpent.... Réunissant en lui, comme eût dit Pascal, l'esprit de finesse et l'esprit de géométrie, il s'est préparé à la poésie par l'étude des mathématiques, c'est-à-dire qu'il a exigé de son intelligence une pénétrante connaissance du vrai en soi, et qu'il cherche, entre les mots qui expriment les idées, des rapports aussi exacts que ceux des signes algébriques dans une équation.
Paul Valéry est revenu aux formes traditionnelles (sauf quelques licences) de la versification française.
 

La fileuse.


Assise, la fileuse au bleu de la croisée
Où le jardin mélodieux se dodeline;
Le rouet ancien qui ronfle l'a grisée.
Lasse, ayant bu l'azur, de filer la câline
Chevelure, à ses doigts si faibles évasive,
Elle songe, et sa tête petite s'incline.
Un arbuste et l'air pur font une source vive
Qui suspendue au jour, délicieuse arrose
De ses pertes de fleurs le jardin de l'oisive.
Une tige, où le vent vagabond se repose,
Courbe le salut vain de sa grâce étoilée,
Dédiant magnifique, au vieux rouet, sa rose.
Mais la dormeuse file une laine isolée;
Mystérieusement, l'ombre frêle se tresse
Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.
Le songe se dévide avec une paresse
Angélique, et sans cesse, au doux fuseau crédule,
La chevelure ondule au gré de la caresse....
Derrière tant de fleurs, l'azur se dissimule,
Fileuse de feuillage et de lumière ceinte :
Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle.
Ta soeur, la grande rose où sourit une sainte,
Parfume ton front vague au vent de son haleine
Innocente, et tu crois languir.... Tu es éteinte
Au bleu de la croisée où tu filais la laine.
 

QUESTIONS D'EXAMEN


I. — L'ensemble. — Le sujet de ce petit poème est très simple : Par un jour d'été, près d'une fenêtre donnant sur un jardin, peu à peu, à son rouet, une fileuse s'est endormie; le soir tombe. — L'intérêt consiste à essayer de se rendre compte de quelle façon le poète a rajeuni ce sujet banal : Pensez-vous que l'auteur se soit efforcé de développer ce thème avec clarté, précision, simplicité? (Il semble au contraire qu'il se soit appliqué, par des complications voulues, des ellipses, des inversions, des changements dans les rapports syntaxiques, des transpositions dans le sens des mots, à ce que le lecteur ne comprenne pas du premier coup); Quel vous semble être le résultat de ce travail rare, subtil, parfois très artificiel de l'auteur? (préciosité, obscurité quelquefois, mais aussi, en revanche, grâce, délicatesse, exquisité...; nous avons plaisir à deviner d'habiles « correspondances «, à fournir à certaines phrases plusieurs interprétations possibles (Cf. le conseil de Verlaine. « Ne choisis pas les mots sans quelque méprise «); Qu'est-ce qui vous plaît dans ce poème? (L'impression de douceur et de calme qui se dégage des rimes féminines uniquement employées...; le charme de sentir, de strophe en strophe, l'assoupissement progressif de la fileuse; de suivre, par le rythme même des vers, dont la césure est placée de façon très diverse, comme la respiration un peu irrégulière de quelqu'un qui lutte contre l'engourdissement.... —Remarquer que, instinctivement, le lecteur prononce les derniers vers à voix basse, comme pour ne pas troubler la fileuse endormie.)


II. — Le détail de la poésie. — Le premier vers n'indique-t-il pas de façon très nette le cadre, le personnage, son attitude, sa fonction? (à préciser); Quelle remarque faites-vous sur l'expression : le jardin mélodieux? Quelles causes ont contribué à endormir la fileuse? (le jardin... se dodeline, le rouet qui ronfle l'a grisée..., lasse..., ayant bu l'azur.... Développez l'expression très elliptique : ayant bu l'azur; Dans la câline chevelure, n'y a-t-il pas une transposition de cause à effet? (ce n'est pas la chevelure qui est câline : c'est la main qui caresse la chevelure, c'est-à-dire la laine de la quenouille) ; Quel est le sens ici du mot évasive? Quelle remarque faites-vous sur la place de l'épithète dans : sa tête petite? Essayez de traduire en prose claire la 3e strophe; Relevez dans cette même strophe et dans la suivante, deux adjectifs employés à la place de l'adverbe (délicieuse, magnifique); Quelle recherche de style remarquez-vous dans le vers : Une tige... courbe le salut vain de sa grâce étoilée ? Remarquez qu'à la 5e strophe la fileuse est devenue la dormeuse. Comment expliquez-vous l'expression : file une laine isolée; Quel est le jeu très subtil de lumière et d'ombre que le poète a essayé de rendre dans les deux derniers vers de cette 5e strophe? Quel est l'effet produit par l'enjambement (avec une paresse Angélique), dans la 6e strophe? Comment peut-on expliquer l'expression doux fuseau crédule? Comment faut-il comprendre le 2° vers de la 7e strophe : Fileuse de feuillage...? (le poète s'adresse à la fileuse); Comment le poète rend-il les effets de couleurs du coucher de soleil ?  Comment essayerez-vous d'interpréter ce vers : Ta soeur, la grande rose où sourit une sainte? Quel est ici le sens de Tu es éteinte ?
 

III - La grammaire. — Quelle est la fonction de assise (1re strophe) et de lasse (2e strophe) ? A quel substantif se rapporte l'adjectif filée (5e strophe)?


Rédaction. — Dans une cuisine de campagne, par un soir d'hiver, au coin du feu où chante la bouilloire, près du chat qui ronronne, une vieille fileuse s'est assoupie. Décrivez la scène.

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