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Permanence de la morale André MAUROIS

Publié le 24/03/2020

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morale

Permanence de la morale

André MAUROIS

1885 - 1967

Lettre ouverte à un jeune homme (1966)

J’ai quatre-vingts ans; vous en avez vingt. Tous ceux qui vous connaissent me parlent de vos mérites. Or vous me demandez de vous donner quelques conseils sur la conduite de la vie, bref une «lettre d’apprentissage», comme celle que, dans Balzac, Madame de Mortsauf écrit pour Félix de Vandenesse1 ou celle que Goethe composa pour Wilhelm Meister2. Je vous avoue que votre requête m’a fait plaisir. Par choix délibéré, j’ai refusé de me plier aux modes intellectuelles; j’ai renoncé aux faciles prestiges des jargons pseudo-philosophiques. C’était, croyais-je, me priver des suffrages d’adolescents facilement éblouis par le clinquant des mots. Votre appel me touche et me rassure. Je vais essayer de faire avec vous un tour d’horizon.

Et d’abord je vous prie de balayer et d’écarter de vos pensées le pessimisme néo-romantique5, tout artificiel, qui a empoisonné une génération. On vous a dit que le monde est absurde. Qu’est-ce que cela signifie? Une proposition est absurde quand elle est contraire à la raison. Une loi est absurde quand elle offense le sens commun. Mais que tout soit absurde est absurde. Le monde est ce qu’il est. Il ne relève ni de la raison, ni du sens commun. Il constitue une base de départ, une donnée. Que voudrait-on? Que le monde eût été construit pour nous satisfaire ? Ce serait le plus surprenant des miracles. Le monde ne vaut rien. Il n’est ni favorable, ni hostile. On vous a dit que l’homme est un être né pour la mort et que vous devez en éprouver une constante angoisse. Pourquoi ? La mort n’est pas une pensée. « Le propre des pensées sur la mort», a écrit Montherlant4, «c’est quelles ne contiennent pas de pensée». Le mort de ceux que nous aimons nous bouleverse. Mais la nôtre? La craindre, c’est nous représenter à la fois un monde où nous sommes et un monde où nous constatons notre absence. Ces deux idées ne peuvent coexister.

On vous a dit que nous vivons au-dessus d’un abîme et qu’au moment où nous prenons conscience de ce péril, nous ne sommes plus que vertige. Mais les hommes ont toujours vécu au-dessus d’un abîme, et ils ont aimé, travaillé, créé. Rien ne s’oppose à ce que vous les imi

morale

« ÉTHIQUES ET CITOYENNETÉ 1 tiez.

On répondra: «Tout a changé.

Les hommes du temps jadis s'ap­ puyaient sur une foi.

Et ils n'étaient pas, comme nous, sous la menace 35 d'une destruction totale de la planète.» Qui vous empêche d'avoir une foi? Les dieux sont morts? Disons que les images de Dieu ont pris des formes nouvelles.

Mais vous savez qu'il y a en vous quelque chose de plus grand que vous; vous savez que cette grandeur existe en chaque homme et que le lâche se juge lui-même; vous savez que les catas- 40 trophes qui menacent l'humanité seraient l' œuvre de l'humanité et qu'une volonté commune, tenace, pourrait les détourner; vous savez que, si nous longeons un abîme, rien ne nous force à y tomber.

On vous a dit que les vieilles valeurs morales ont rejoint les vieilles lunes.

C'est faux.

Si VOUS décapez l'humanité présente des mots qui la 45 masquent, vous retrouverez l'homme éternel Des écrivains nous annon­ cent la fin des civilisations classiques.

« Il faut bien se rendre à l'évidence, disent-ils; ce xx:e siècle met le point final à une période de cinq mille ans d'humanité -l'Ère des grandes civilisations classiques -et nous allons entrer dans une autre ...

Ce qui va venir n'aura plus aucune analogie avec so ce groupe; ce n'est pas une nouvelle variante de l'âme qui doit s'accom­ plir dans un corps historiquement préfiguré 5 ; c'est une âme nouvelle dans un corps nouveau».

Une âme nouvelle dans un corps nouveau? Je n'en crois rien.

Il n'est pas vrai que le corps soit nouveau.

N'avons-nous pas un cœur, un foie, des artères, des nerfs comme les hommes de Cro- ss Magnon? Quant à l'âme, les valeurs morales n'ont pas été inventées gra­ tuitement par des moralistes séniles.

Elles sont des valeurs parce que sans elles, ni une société, ni un bonheur ne peuvent survivre.

Lettre ouverte à un jeune homme sur la conduite de la vie, Éd.

Albin Michel.

1.

Personnages du Lys dans la vallée, roman de Balzac (1835).

- 2.

Wilhelm Meister: roman de Goethe (1796).

- 3.

Allusion aux philosophes de l'absurde: Sartre, Camus.

-4.

Montherlant: écrivain français (1895-1972).

- 5.

Donc les caractères sont immuables.

r • Rrécisez les statuts respectifs de «je», de «vous» et de «on» dans les deux pre- miers paragraphes.

• Quelle figure de style identifiez-vous dans le troisième paragraphe? Quelle est sa ~a leur argumentative? • Reformulez de manière concise les thèses d'André Maurois dans le dernier para­ graphe.

l > Groupement de textes: voir 65 - 67 -69 -73.

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