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Pierre Laval l'Auvergnat

Publié le 22/02/2012

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22 octobre 1940 - " Je ne suis ni sidi, ni juif, ni franc-maçon. [...] Je vous dois un aveu j'ai une tare : je suis auvergnat. " Le candidat député Pierre Laval obtenait un succès assuré à Rosny-sous-Bois, en avril 1924, auprès d'un auditoire qu'encadraient des ferrailleurs et des limonadiers. Il était bien né en 1883 à Châteldon, à une vingtaine de kilomètres de Vichy, à la limite du Bourbonnais et de l'Auvergne. Il retrouvait Vichy, en juin 1940, au sortir d'un purgatoire de cinquante-trois mois artisan décisif du hara-kiri parlementaire, il était désormais lié à Pétain pour une série de brouilles et de retrouvailles, avant de devenir, à compter de 1943, l'un des hommes les plus hais de France. La légende noire tient en deux surnoms : " le Louis XI de grande banlieue ", " le maquignon de Châteldon ". Le premier est d'Anatole de Monzie, caricaturant l'homme à l'influence souterraine, voire le comploteur, l'enrichi des caisses noires. Quant au maquignon, le mot est de Léon Blum, très sévère au moment de la question éthiopienne, en 1935 : " Vous avez procédé dans les grandes affaires du monde comme nous vous avons vu dans vos petites affaires. [...] Vous avez tout altéré par la combinaison, l'intrigue et l'entregent. " Il est exact que cet homme âpre au gain pourra faire montre d'une grande insensibilité dans les négociations : qu'on songe aux enfants juifs bradés aux nazis dans l'été 1942. Certains se sont étonnés qu'il ait pu parvenir si haut. Sa trajectoire, à dire vrai, est relativement classique dans la France de la Troisième République. Trois facteurs permettront à Pierre de sortir de Châteldon l'école, d'abord, où l'on remarque son intelligence. Il s'entête et veut continuer ses études : à quinze ans, il rattrape le lycée et obtient son baccalauréat pour vivre, il est " pion ", et décroche une licence de sciences naturelles et une autre de droit. Cette dernière lui permet, en 1908, d'entrer au barreau, la deuxième voie de l'ascension sociale il réussit assez bien, plaidant d'abord pour les syndicalistes, le peuple, puis élargissant sa clientèle. Enfin, il épouse la fille d'un médecin, maire de Châteldon et son beau-frère va le pousser vers la politique. Il sera d'abord député socialiste. Car Laval appartient à cette cohorte assez nombreuse des hommes de la Troisième qui débutent à l'extrême-gauche, se replient sur le centre gauche et terminent à droite. Le jeune Laval était blanquiste en 1903, il devient membre de la SFIO en 1905, lors du congrès de réunification, et il demeurera dix-sept ans socialiste, avec des professions de foi rétrospectivement savoureuses : " La bourgeoisie n'a plus d'hommes, elle va les chercher dans les poubelles où le mouvement ouvrier jette ses renégats. " Battu aux élections de 1919, c'est au congrès de Tours qu'il prit ses distances et avec les communistes, qui ne lui disaient rien qui vaille, et avec la " vieille maison ", la SFIO, qu'il quitta discrètement en 1922. Elu en 1924 sur une liste du cartel des gauches et des intérêts de la banlieue, il devint ministre mais après le renversement d'un gouvernement Briand, il se séparait définitivement de la gauche et préférait se faire élire sénateur en 1927 sur une liste d'union nationale républicaine, donc à droite. L'un des disciples de Briand Cet homme de droite, soulignons-le bien, ne fut pas à proprement parler un factieux : il ne participa pas au 6 février 1934, ne fut jamais un homme lige des Ligues. Il passait pour républicain. Ses adversaires lui reprochaient plutôt son enrichissement rapide. Sans nul doute, ce fut un homme d'affaires avisé, veillant à faire tourner son argent, qui bénéficia de prêts opportuns consentis par de nouveaux amis. Il acheta en 1925 un bel appartement parisien, villa Saïd, de la terre dans le Perche, puis le château de Châteldon. Il acquit aussi des journaux et une imprimerie à Clermont-Ferrand. Pour devenir un homme politique de premier plan, il fallait encore disposer d'un fief local et de l'appui de quelques journaux " amis ". Le fief, ce sera la mairie d'Aubervilliers, en pleine banlieue rouge élu en mars 1923, sur une liste où coexistent anciens communistes, anciens socialistes et nouveaux amis, il gardera jusqu'au bout ce mandat, en s'en occupant très sérieusement. Quant à la presse, il acheta en 1927 le Moniteur du Puy-de-Dôme, Lyon républicain et la station de radio Paris-Lyon surtout, il disposa de l'appui bienveillant, au moins jusqu'en 1935, de Raymond Pâtenotre, qui contrôla pendant longtemps le Petit Journal. Il lui fallait, lui qui n'était encore qu'un second rôle, quelques locomotives pour le hisser au premier rang. Il usa avec efficacité du soutien de Caillaux, qui le fit nommer, en 1925, ministre des travaux publics, son premier poste ministériel. Il fut ensuite l'un des disciples de Briand, qui le fit notamment garde des sceaux dans trois de ses ministères il en vint à l'imiter, traînant les pieds, dos courbé, s'entourant d'un nuage de fumée. Il sut ensuite séduire Tardieu, qui le fait ministre du travail en mars 1930. On ne s'étonnera pas qu'il ait pu chercher à utiliser Philippe Pétain. C'était donc une carrière prometteuse : à quarante-huit ans, il est président du conseil pendant près de treize mois, en 1931-1932, et, à défaut de régler les problèmes des réparations, il fait un voyage aux Etats-Unis qui est un succès personnel. Il entre encore dans le ministère Doumergue, chargé des colonies. Surtout, il devient le maître des affaires étrangères en octobre 1934, après l'assassinat de Barthou, en même temps qu'il redevient président du conseil en juin 1935 dans ce qu'il a toujours considéré comme son " grand ministère ", il entendait sortir la France de la crise qui l'atteignait tardivement et sauver la paix. Reste qu'il continuait de détonner parmi les grands de la Troisième. Il demeurait l'homme mal dégrossi de Châteldon, lui-même jouait volontiers au paysan-châtelain, entre son donjon et demeure de maître côté jardin, avec une scierie, un moulin à papier et sa production d'eau de Sargantale, qu'il prétendra vendre à la France entière. En 1935, déjà, il était devenu un repoussoir : non seulement les tenants du Front populaire le pendent en effigie le 14 juillet, mais une partie des modérés le trouve peu fiable on applaudira presque unanimement à sa chute. De cet échec, il tirera des leçons assez stupéfiantes et qui vont peser sur l'avenir. Il va estimer, en effet, que le destin de la France s'est scellé au moment où il aurait eu toutes les bonnes cartes en main. Le Laval de 1940 sera un homme de revanche sur tous ceux qu'il tient pour responsables de l'échec de 1935 : les diplomates, les journalistes, les politiques qui manquent de courage, la démagogie du Front populaire. Il se surestimait facilement ainsi pensait-il avoir gardé de bonnes relations avec Mussolini, qui le refusa pourtant, plusieurs fois, comme intermédiaire entre l'Italie fasciste et la France. Il pensera, de même, avoir mis Hitler dans sa poche, alors que le Führer, après Montoire, déclara à Mussolini que ce Laval était " un politicien malpropre, un marchand de tapis ". Cet homme allait mener la politique de collaboration d'Etat au long de l'année 1940 et redevenir le chef du gouvernement de la France d'avril 1942 à août 1944. Laval chercha tout de suite à utiliser Pétain sans sympathiser, les deux hommes s'étaient au moins connus dans le ministère Doumergue en 1939, on le sait, Pétain avait presque posé comme condition à son entrée dans le gouvernement, la nomination de Laval comme ministre des affaires étrangères, parce qu'il serait à même de nouer de bonnes relations avec l'Italie. Le 17 juin, sans l'opposition de Weygand, Pétain l'aurait chargé de ce ministère la politique étrangère. A la tête de la " commune de Bordeaux ", Laval avait joué un rôle décisif pour éviter le transfert du gouvernement en Afrique du Nord : il finit par entrer comme ministre d'Etat, le 23 juin, dans le gouvernement Pétain, et deviendra en juillet vice-président du conseil et surtout " dauphin " désigné. Mais, même s'ils étaient tous deux des terriens secrets, tenaces et rancuniers, Pétain et Laval n'avaient entre eux guère d'affinités, ayant de la vie des jugements et des pratiques bien différents. Du coup, après la guerre, les pétainistes de stricte obédience opposeront de façon systématique un bon Vichy, celui de Pétain, à un mauvais Vichy, celui de Laval, qui aurait manipulé un vieillard. Pareille thèse est tout à fait contestable, tout particulièrement pour l'année 1940. Pétain méprisait Laval, détestait sa fumée perpétuelle, lui reprochait de ne pas l'informer suffisamment. Mais ils avaient besoin l'un de l'autre. Dans ce nouveau gouvernement, Laval était un des rares hommes qui ait déjà l'expérience du pouvoir Pétain le savait utile, même s'il ne l'a jamais jugé indispensable. Le premier mouvement de Laval avait été de traiter Pétain comme une potiche, car il était convaincu que c'était lui qui disposait des bonnes cartes. Face à un entourage et à des ministres qui, ou le détestaient ou le méprisaient, lui reprochant d'être ancien parlementaire et de détonner dans cet aréopage bon genre, il pensait être en mesure de s'imposer. Ce qu'il voulait, c'était avoir les coudées franches à l'égard du Reich Pétain pouvait l'admettre, lui qui n'était pas obsédé par les relations franco-allemandes et s'occupait surtout de sa Révolution nationale. Laval, persuadé que la paix serait allemande, voulait la signer le plus vite possible, et avant que la Grande-Bretagne ne dépose les armes pour y parvenir, il lui fallait rencontrer Hitler, qu'il espérait " rouler " dans une négociation en tête à tête il était prêt à donner le maximum de gages pour retirer, malgré la défaite de la France, le maximum d'avantages de l'Europe allemande. De ce schéma, il ne démordra pas. JEAN-PIERRE AZEMA Le Monde du 15 août 1989
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« Reste qu'il continuait de détonner parmi les grands de la Troisième.

Il demeurait l'homme mal dégrossi de Châteldon, lui-mêmejouait volontiers au paysan-châtelain, entre son donjon et demeure de maître côté jardin, avec une scierie, un moulin à papier etsa production d'eau de Sargantale, qu'il prétendra vendre à la France entière. En 1935, déjà, il était devenu un repoussoir : non seulement les tenants du Front populaire le pendent en effigie le 14 juillet,mais une partie des modérés le trouve peu fiable on applaudira presque unanimement à sa chute.

De cet échec, il tirera desleçons assez stupéfiantes et qui vont peser sur l'avenir.

Il va estimer, en effet, que le destin de la France s'est scellé au moment oùil aurait eu toutes les bonnes cartes en main.

Le Laval de 1940 sera un homme de revanche sur tous ceux qu'il tient pourresponsables de l'échec de 1935 : les diplomates, les journalistes, les politiques qui manquent de courage, la démagogie du Frontpopulaire. Il se surestimait facilement ainsi pensait-il avoir gardé de bonnes relations avec Mussolini, qui le refusa pourtant, plusieurs fois,comme intermédiaire entre l'Italie fasciste et la France.

Il pensera, de même, avoir mis Hitler dans sa poche, alors que le Führer,après Montoire, déclara à Mussolini que ce Laval était " un politicien malpropre, un marchand de tapis ". Cet homme allait mener la politique de collaboration d'Etat au long de l'année 1940 et redevenir le chef du gouvernement de laFrance d'avril 1942 à août 1944. Laval chercha tout de suite à utiliser Pétain sans sympathiser, les deux hommes s'étaient au moins connus dans le ministèreDoumergue en 1939, on le sait, Pétain avait presque posé comme condition à son entrée dans le gouvernement, la nomination deLaval comme ministre des affaires étrangères, parce qu'il serait à même de nouer de bonnes relations avec l'Italie.

Le 17 juin,sans l'opposition de Weygand, Pétain l'aurait chargé de ce ministère la politique étrangère.

A la tête de la " commune deBordeaux ", Laval avait joué un rôle décisif pour éviter le transfert du gouvernement en Afrique du Nord : il finit par entrercomme ministre d'Etat, le 23 juin, dans le gouvernement Pétain, et deviendra en juillet vice-président du conseil et surtout" dauphin " désigné. Mais, même s'ils étaient tous deux des terriens secrets, tenaces et rancuniers, Pétain et Laval n'avaient entre eux guèred'affinités, ayant de la vie des jugements et des pratiques bien différents.

Du coup, après la guerre, les pétainistes de stricteobédience opposeront de façon systématique un bon Vichy, celui de Pétain, à un mauvais Vichy, celui de Laval, qui auraitmanipulé un vieillard.

Pareille thèse est tout à fait contestable, tout particulièrement pour l'année 1940.

Pétain méprisait Laval,détestait sa fumée perpétuelle, lui reprochait de ne pas l'informer suffisamment. Mais ils avaient besoin l'un de l'autre.

Dans ce nouveau gouvernement, Laval était un des rares hommes qui ait déjà l'expériencedu pouvoir Pétain le savait utile, même s'il ne l'a jamais jugé indispensable. Le premier mouvement de Laval avait été de traiter Pétain comme une potiche, car il était convaincu que c'était lui qui disposaitdes bonnes cartes.

Face à un entourage et à des ministres qui, ou le détestaient ou le méprisaient, lui reprochant d'être ancienparlementaire et de détonner dans cet aréopage bon genre, il pensait être en mesure de s'imposer.

Ce qu'il voulait, c'était avoir lescoudées franches à l'égard du Reich Pétain pouvait l'admettre, lui qui n'était pas obsédé par les relations franco-allemandes ets'occupait surtout de sa Révolution nationale.

Laval, persuadé que la paix serait allemande, voulait la signer le plus vite possible,et avant que la Grande-Bretagne ne dépose les armes pour y parvenir, il lui fallait rencontrer Hitler, qu'il espérait " rouler " dansune négociation en tête à tête il était prêt à donner le maximum de gages pour retirer, malgré la défaite de la France, le maximumd'avantages de l'Europe allemande.

De ce schéma, il ne démordra pas. JEAN-PIERRE AZEMALe Monde du 15 août 1989 CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés. »

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