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Suger, Vie de Louis VII (extrait)

Publié le 13/04/2013

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suger

Faisant suite à la Vie du roi Louis le Gros, la Vie de Louis VII de Suger demeure inachevée, même si elle prend place dans les Chroniques royales de Saint-Denis dont l’abbé Suger a initié la conservation. Afin de consolider et d’étendre le domaine royal, le jeune roi Louis VII le Jeune, encouragé par Suger, son précepteur et principal conseiller, veille au respect de l’intégrité de la couronne. L’extrait relatant la reddition de Poitiers est exemplaire de la mansuétude royale inculquée et glorifiée par le grand abbé de Saint-Denis.

Vie de Louis VII par Suger

 

L’année suivante, alors qu’au décès de son père il n’avait pas achevé de soumettre le duché d’Aquitaine, il lui fut rapporté [printemps 1138] que les citains de Poitiers s’étaient érigés en commune, avaient fortifié la ville d’un retranchement palissadé, avaient occupé le château et, bien plus, avaient confédéré sous leur autorité les autres villes, châteaux et forteresses du Poitou. Le bruit étant confirmé, le roi, dans son ressentiment, se hâtait de tirer vengeance d’une telle faction. [...] Alors nous avons conseillé au seigneur roi de réunir, à la façon d’un simple particulier, un contingent de deux cents chevaliers, avec des archers et des arbalétriers, et de se diriger vers Poitiers. Il convoqua aussi les barons de cette terre et, sans effusion de sang, il contraignit la population poitevine à se rendre. Il dissout la commune, força les communiers à abjurer leur serment et prit chez les notables des otages, tant filles que garçons, pour les disperser à travers toute la France. [...] Le surlendemain, alors qu’à mon sens le cœur des misérables citains était déjà tout contrit, charrettes et bêtes de somme, ânes et chariots, préparés par les parents, commencèrent à se rassembler sur la place du palais, de bon matin, selon les ordres, pour emporter filles et garçons dans divers pays éloignés. Sans contredit, on aurait cru entendre le hurlement de victimes sacrificielles plutôt que tout autre son pouvant parvenir à une oreille longuement attentive. Le vacarme de cette terrible clameur montait jusqu’au ciel. Il n’épargna les oreilles de personne, ni les nôtres, ni celles du roi et des grands. Aussitôt, nous précipitant aux fenêtres du palais, nous éprouvâmes, tout stupéfaits, ce que pouvaient avoir d’infernal ces lamentations douloureuses, ces explosions de larmes, ces respirations précipitées. Le roi, qui était bon, nous prenant à part, s’interrogeait anxieusement sur ce qu’il devait faire, tourmenté qu’il était par l’alternative ou de gracier les coupables au détriment de la cité et de la patrie ou, s’il maintenait sa décision, de porter atteinte par sa cruauté à la majesté royale. Au milieu de l’embarras général, nous avons hardiment et publiquement conseillé ce qui nous semblait bon : « Seigneur, dis-je, le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs qui te gouverne, toi et ton royaume, gardera miséricordieusement ta personne et, dans sa pitié, te soumettra cette ville et toutes les autres cités d’Aquitaine si tu daignes te montrer pitoyable envers une si grande détresse et des tourments si imprévus. Sois-en assuré ! Moins tu seras cruel et plus la divine puissance augmentera l’honneur de ta royale majesté. « Et lui, aussitôt mû par une inspiration divine : « Venez avec moi à la fenêtre, dit-il, et par une grâce de la libéralité royale, proclamez le pardon du forfait de la commune et rendez-leur en toute paix et liberté leurs enfants. Mais, afin qu’ils ne retombent pas dans leur faute, menacez-les avec vigueur en leur faisant entrevoir de plus grands malheurs ! « Ceci étant connu — c’est merveille de le dire —, l’immense tristesse se changea en joie, l’affliction en exultation et l’intolérable douleur en un parfum d’aromate précieux. Ne s’impose-t-elle pas, cette comparaison qui rapproche la douleur de la mort, la joie et l’exultation de la vie ? Il ne vit pas encore, celui qui vit dans la détresse. Par cet acte de clémence, tout empreint de noblesse et de bonté, le roi s’attacha l’amour et le service de tous les Pictaves, au point qu’ensuite il ne fut plus jamais question de commune ni de conspiration.

 

 

Source : la Geste de Louis VI et autres œuvres, prés. par Michel Bur, Paris, Imprimerie nationale, 1994.

 

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