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THIERS (1797-1877). Arrivée de l'armée française devant Moscou

Publié le 17/01/2022

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Adolphe Thiers est né à Marseille. Il travailla d'abord à l'Histoire de la Révolution, commencée par Félix-Bodin, en 1823. Les dix volumes de cet important ouvrage, le premier où l'on ait envisagé dans l'ensemble et sans esprit de parti, les grands événements de la veille, parurent de 1823 à 1827. Thiers s'associa avec son compatriote Mignet et avec A. Carrel, pour fonder le National; et la Révolution de 183o le lança, lui aussi, dans la politique. Sorti du ministère en 1845, il entreprit l'Histoire du Consulat et de l'Empire, dont les vingt volumes parurent de 1845 à 1863.
Thiers apporte dans l'histoire des qualités d'exactitude, de probité et d'intelligence, qui, sans le mettre au niveau de Guizot et de Michelet, lui assurent un rang éminent. D'abord, il se documente à merveille. Il mène de front, avec une sage économie, l'histoire intérieure et extérieure. Il suit, en politique, la corrélation des affaires financières, diplomatiques, commerciales, avec les grands exploits, qui, d'ordinaire, attirent trop exclusivement l'attention. Tous ces éléments si divers, Thiers les soumet à l'intelligence, qui, selon lui, est la qualité maîtresse de l'historien (Le Consulat et l'Empire, t. XII).
Le style de Thiers est clair et aisé. Les qualités que l'homme d'État apportait à la tribune, l'écrivain les possède au plus haut point. En le lisant, on a la satisfaction de comprendre.

Arrivée de l'armée française devant Moscou (1830).


Le 14 septembre 1812, l'armée française arriva devant Moscou. Elle avait remporté, sur les bords de la Moskowa, une victoire pénible et sanglante. Mais enfin, elle croyait toucher au terme de ses peines. Il y a trois parties dans ce morceau : 1° Description de la ville aperçue des hauteurs; ici l'historien énumère tout ce qui caractérise Moscou, tout ce qui la différencie des autres villes, afin d'expliquer les sentiments qui vont suivre; 2° joie des soldats; 3° impressions de l'Empereur.
On pourra comparer cette page au passage où Villehardouin raconte l'étonnement des Croisés à la vue de Constantinople.
Le temps était beau ; on hâtait le pas, malgré la chaleur, pour gravir les hauteurs d'où l'on jouirait enfin de la vue de cette capitale tant annoncée et tant promise. Arrivée au sommet d'un coteau, l'armée découvrit tout à coup au-dessous d'elle, et à une distance assez rapprochée, une ville immense, brillante de mille couleurs, surmontée d'une foule de dômes dorés resplendissants de lumière, mélange singulier de bois, de lacs, de chaumières, de palais, d'églises, de clochers, ville à la fois gothique et byzantine, réalisant tout ce que les contes orientaux racontent des merveilles de l'Asie. Tandis que des monastères flanqués de tours formaient la ceinture de cette grande cité, au centre s'élevait sur une éminence une forte citadelle, espèce de capitole où se voyaient à la fois les temples de la divinité et les palais des empereurs, où au-dessus de murailles crénelées surgissaient des dômes majestueux, portant l'emblème qui représente toute l'histoire de a Russie et toute son ambition, la croix sur le croissant renversé. Cette citadelle, c'était le Kremlin, ancien séjour des tsars.
A cet aspect magique, l'imagination, le sentiment de la gloire, s'exaltant à la fois, les soldats s'écrièrent tous ensemble : Moscou! Moscou! — Ceux qui étaient restés au pied de la colline se hâtèrent d'accourir; pour un moment tous les rangs furent confondus, et tout le monde voulut contempler la grande capitale où nous avait conduits une marche si aventureuse. On ne pouvait se rassasier de ce spectacle éblouissant, et fait pour éveiller tant de sentiments divers.
Napoléon survint à son tour, et, saisi de ce qu'il voyait, lui qui avait, comme les plus vieux soldats de l'armée, visité successivement le Caire, Memphis, le Jourdain, Milan, Vienne, Berlin, Madrid, il ne put se défendre d'une profonde émotion. Arrivé à ce faîte de sa grandeur, après lequel il allait descendre d'un pas si rapide vers l'abîme, il éprouva une sorte d'enivrement, oublia tous les reproches que son bon sens, seule conscience des conquérants, lui adressait depuis deux mois, et pour un moment crut encore que c'était une grande et merveilleuse entreprise que la sienne, que c'était une grande et heureuse témérité justifiée par l'événement, que d'avoir osé courir de Paris à Smolensk, de Smolensk à Moscou! Certain de sa gloire, il crut encore à son bonheur, et ses lieutenants, émerveillés comme lui, ne se souvenant plus de leurs mécontentements fréquents dans cette campagne, retrouvèrent pour lui ces effusions de la victoire auxquelles ils ne s'étaient pas livrés à la fin de la sanglante journée de Borodino. Ce moment de satisfaction, vif et court, fut l'un des plus profondément sentis de sa vie. Hélas ! il devait être le dernier!
 

(Histoire du Consulat et de l'Empire, livre XXVI, Boivin et Cie, éditeurs.)


QUESTIONS D'EXAMEN


1. —L'ensemble. — Nature du sujet : un tableau d'histoire. — 1° D'où l'armée voit-elle Moscou? 2° Indiquez l'impression particulière produite par l'aspect de cette ville sur les soldats, — qui avaient vu bien d'autres capitales. (La ville n'est pas seulement immense, — elle est brillante de mille couleurs; elle est surmontée de dômes dorés resplendissants; elle apparaît comme une des villes merveilleuses dont parlent les contes orientaux. —Saisir aussi l'importance qu'a, ici, l'expression : tout à coup; l'armée découvrit tout à coup...); 3° Comment l'auteur qualifie-t-il l'aspect de Moscou? 4° Quels sentiments excite cette vue chez les soldats? (joie, enthousiasme...) ; 5° Napoléon lui-même n'est-il pas saisi du spectacle? 6° Son émotion profonde est-elle uniquement causée par l'aspect de la ville? (Sentiments qu'il éprouve à ce moment-là); 7° L'historien ne laisse-t-il pas entrevoir, après cette journée d'enthousiasme, de pénibles lendemains? 8° Dites si ce tableau vous paraît animé, vivant, — et s'il ne produit pas en vous une vive impression.
II. — L'analyse du morceau. — 1° Ce morceau est formé de trois alinéas; donnez un titre à chacun d'eux : a) Aspect général de Moscou; b)...; c)...; 2° Quels sont les traits saillants de la ville, vue des hauteurs? 3° Que marque le mot enfin, dans ce membre de phrase : l'on jouirait enfin de la vue de cette capitale tant annoncée et tant promise? 4° Quels reproches le bon sens de Napoléon pouvait-il lui adresser? 5° Quels mécontentements avaient pu éprouver ses lieutenants?
III. — Le style; -- les expressions. — 1° Essayez de faire ressortir les qualités dominantes du style, dans ce morceau (la clarté : — montrez-la, par un examen attentif de quelques passages bien choisis; la rapidité : — il n'existe aucune longueur, aucune digression; — l'aisance : il semble que ce style si alerte, si facile, n'ait coûté à l'auteur aucun effort; — le pittoresque (des monastères flanqués de tours...; arrivé à ce faîte de sa grandeur, il allait descendre d'un pas rapide vers l'abîme...); 2° Quel est le sens des expressions suivantes : des monastères flanqués de tours, — des murailles crénelées, — des dômes majestueux, — une ville à la fois gothique et byzantine?
IV. — La grammaire. — 1° Indiquez la composition de chacun des mots suivants : accourir, surmontée, confondus (rangs confondus), émerveillés; 2° Justifiez l'orthographe de avait conduits (deuxième alinéa); rappelez la règle d'accord du participe passé employé avec l'auxiliaire avoir; 3° Nature et fonction de chacun des mots suivants : les soldats, s'écrièrent tous ensemble.
Rédaction. — Décrire l'entrée de l'armée française à Moscou; — puis son départ de cette ville. — Sentiments que dut éprouver l'armée dans l'un et l'autre cas; — en marquer le contraste.

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