Devoir de Philosophie

Timor Dans le camp de l'ONU, pris au piège de la terreur

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

20 septembre 1999 Une journaliste du "Sunday Times" raconte une semaine de siège LE SIÈGE du camp des Nations unies a commencé, lundi 6 septembre, jour où toute la ville de Dili se terrait. Pas de voitures dans les rues sauf les véhicules militaires, les motos et les fourgonnettes de la milice. Les maisons s'étaient enflammées d'un jour à l'autre et la milice écumait les quartiers résidentiels, tirant à tout bout de champ, menaçant de mort tous ceux qu'elle rencontrait. A 11 h 30, des soldats en treillis bariolés, des miliciens au regard fou, les chemises noires de la milice Aitarak ("l'Epine") avec leurs bandanas, envahissaient le camp. Ils tiraient en l'air, hurlant des ordres et des injures. Je me trouvais à l'hôtel Turismo, tout à côté. Un chaos de vociférations et de hurlements montait du camp. Evitant les patrouilles de soldats qui parcouraient l'hôtel en courant, le fusil en avant, j'atteignis un balcon pour découvrir un spectacle épouvantable. Des femmes se roulaient par terre, épouvantées, en serrant leurs enfants. Un soldat se tenait au centre, menaçant une femme de son fusil d'assaut, hurlant et gesticulant, tandis qu'elle se couvrait la tête des bras. D'autres femmes, qui rampaient vers leurs enfants, étaient frappées à coups de crosse. Les miliciens écumaient la cour. Tout fut terminé en une demi-heure. Femmes, hommes et enfants furent emmenés dans la rue à la pointe du fusil, tandis qu'on escortait le personnel de la Croix-Rouge internationale, sous bonne garde, pour l'évacuer à l'aéroport vers l'Australie. Deux cents personnes environ, surtout des hommes, furent séparés du millier qui s'était trouvé dans le camp et emmenés vers l'est et la plage, en direction de l'immense statue du Christ juchée sur les falaises qui dominent la ville. On n'en a plus eu de nouvelles depuis. Leurs familles ont eu la permission de revenir au camp chercher leurs biens. Des femmes en larmes ont ramassé casseroles et vêtements dans des couvertures avant de s'enfuir. Le mardi, les réfugiés affluèrent en flot continu, racontant des histoires terrifiantes. Le camp continuait à se remplir. Le personnel de moins en moins nombreux de l'ONU occupait des maisons d'un étage coiffées de zinc. Des colonnes de fumée s'élevaient de la ville, juste en contrebas du camp. Avec la nuit, des incendies spectaculaires jaillissaient sur plusieurs dizaines de mètres dans le ciel. Le camp de transit de l'ONU avait été incendié et la milice parcourait les rues dans des camions des Nations unies. SPECTACLE APOCALYPTIQUE Le jeudi matin, je me glissai à l'extérieur du camp. Pas très loin du portail, la milice Aitarak régnait dans les rues, circulait en motos ou en camions avec des fusils d'assaut pointés par les fenêtres. Un milicien aux yeux injectés de sang, muni d'une machette, me dit de ne pas aller plus loin, c'était dangereux. Il se passa le doigt sur la gorge pour illustrer son propos. Deux soldats arrêtèrent leur camion et m'invitèrent à rencontrer leur chef, un lieutenant qui s'avéra sensé et professionnel. "Nous étions venus ici par civisme. Nous avons échoué. Nous n'avons pas réussi à gagner le coeur et l'esprit des Timorais." Je prétendis que j'essayais de regagner mon hôtel où j'avais dû laisser tous mes bagages. "Je sais que vous êtes une journaliste", me répondit-il. "Peu importe. Mangez quelque chose et ensuite je vous conduirai. J'ai ordre de protéger les étrangers." Autour d'un plat de nouilles et une omelette - mon premier repas chaud depuis des jours - nous avons parlé de son ambition d'aller étudier à West Point, l'école militaire américaine. Il est clair que ses ordres de ne pas tirer sur la milice lui pesait. Puis nous avons parcouru la ville dévastée dans son camion : quatre soldats ont pris place sur la plate-forme pour notre protection. Le spectacle était apocalyptique. Des centaines de miliciens rodaient dans les rues, certains à pied, d'autres à trois sur une moto, l'un portant des biens pillés, le second un fusil d'assaut, le troisième conduisant. C'était une orgie de pillage. La poste brûlait encore mais la plupart des autres bâtiments n'étaient que des squelettes noircis. Des coups de feu retentissaient sans cesse, tout près. Le lieutenant conduisait, l'air lugubre. Pas de civils ni de voitures dans les rues. C'était comme si les barbares avaient gagné. Une moto nous dépassa, le milicien de l'arrière pointant son revolver vers nous, un sourire de dingue aux lèvres, sans la moindre peur du véhicule militaire ou de ses occupants. L'évacuation du camp de l'ONU commença vendredi matin. Beaucoup d'entre nous s'étaient demandés toute la nuit s'il fallait monter dans l'avion. A 5 heures du matin, 120 membres des Nations unies, 160 fonctionnaires locaux et leurs proches, 23 journalistes grimpèrent à l'arrière des camions ouverts qui allaient à l'aéroport, entourés dans chaque camion par les soldats indonésiens droits comme des "I". Ceux qui restaient regardaient d'un air sombre. Un policier australien qui avait voulu rester remarqua : "Putain de réussite, cette mission internationale - se tirer en rampant sur son ventre comme un chien !" MARIE COLVIN Le Monde du 14 septembre 1999

Liens utiles