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tranchées, guerre de

Publié le 23/02/2013

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1   PRÉSENTATION

tranchées, guerre de, expression désignant, pendant la Première Guerre mondiale, la guerre d’usure (par opposition à la guerre de mouvement) dans laquelle les armées sont demeurées retranchées derrière des positions enterrées et fortifiées.

2   L’IMMOBILISATION DES FRONTS

Lors du déclenchement de la guerre en août 1914, les belligérants adoptent des stratégies différentes : la France met au point une importante défense à l’Est, tandis que l’Allemagne envisage une invasion rapide de la Belgique, suivie d’une attaque de la France par le Nord. Le plan et la puissance allemands s’avèrent finalement plus efficaces, puisque la « bataille des frontières « est une sanglante défaite française : après la bataille des Ardennes (22 août), les Français reculent pour ne pas être encerclés. La bataille de la Marne (5-13 septembre) permet toutefois au maréchal Joffre de redresser la situation et de repousser les troupes de von Moltke jusqu’à l’Aisne, afin d’y établir un front fixe.

Devant ses très lourdes pertes, l’état-major allemand commence à prévoir une guerre de tranchées. Une campagne de creusement de positions fortifiées le long de l’Aisne est lancée. Les Français se mettent également à creuser.

À défaut d’une guerre éclair, les Allemands (épuisés comme leurs adversaires) se résignent donc à une guerre de position, interminable succession d’offensives et de contre-offensives. Dans cette « course à la mer «, chacune des deux armées essaie de trouver une ouverture pour encercler l’autre par le nord. À l’issue de la principale de ces offensives (bataille d’Ypres, octobre-novembre 1914), les deux camps atteignent Nieuport, au nord-est de Dunkerque, et se retrouvent face à face. Dès lors, le front courant se stabilise et s’étale de la mer du Nord à la Suisse.

3   LA GUERRE S’ENTERRE ET S’ENLISE

Entre l’automne et décembre 1914, 700 kilomètres de tranchées sont creusés, entaillant la zone de contact entre les lignes ennemies. Quoiqu’aucun état-major ne la souhaite, désormais, la guerre d’usure s’impose. Les soldats français, qui imaginaient fêter Noël 1914 dans leurs foyers, le passent, pour la plupart, dans les tranchées.

D’un côté, les Allemands construisent des blockhaus et des abris selon une technique préétablie, avec des zones dédiées aux munitions, au couchage et aux magasins de vivres. De l’autre, parant au plus pressé, les Français creusent des fosses, souvent à la main. Les hommes s’enterrent un à un, formant progressivement des tranchées rudimentaires. En attendant des techniques plus appropriées, la propagande fustige les Allemands, accusés d’être des pleutres par le général Cherfils dans l’Écho de Paris : l’Allemand s’est « terré comme une taupe peureuse « en refusant le duel à l’arme blanche et à la loyale, si cher au « poilu «.

La guerre s’enlise donc, et l’état-major français tente vainement de sortir du bourbier. Joffre veut ouvrir d’autres fronts pour relancer une guerre de mouvement, notamment avec la campagne des Dardanelles, à partir de février 1915. Mais la tactique dominante du « grignotage « est peu payante (il s’agit de gagner du terrain par à-coups). Quant aux tentatives pour percer le front adverse, elles se soldent par des gains dérisoires : les quatre offensives de Champagne et d’Artois (février-octobre 1915) permettent d’avancer de quatre kilomètres seulement.

Devant ses insuccès, dans les deux camps, la guerre d’usure s’installe durablement, jusqu’en 1917. Dès 1915, plus de 2 000 000 Français sont enterrés sur la ligne de front ; ils sont 2 500 000 en 1916.

4   ARCHITECTURE ET PAYSAGE DES TRANCHÉES

Les tranchées ne tardent pas à être plus élaborées, plus profondes. Elles constituent un réseau de « parallèles « : deux ou trois lignes proches du front, suivies, 3 à 5 km en arrière, de lignes de soutien et de repli. Les premières lignes françaises sont séparées des premières lignes ennemies par un no man’s land, de quelques dizaines de mètres à un kilomètre.

Au front, la « première ligne « sous le feu est renforcée par une barrière de barbelés posés sur des « chevaux de frise «. Elle est reliée à la deuxième et à la troisième ligne par un lacis de boyaux de 200 / 300 mètres, par lequel transitent munitions, ravitaillement, blessés, relèves. Ces lignes secondes accueillent les blockhaus, où est entreposée l’artillerie. L’ensemble des lignes, réparties en secteurs et sous-secteurs, sont reliées par téléphone, de PC (poste de commandement) en PC.

Le mot « parallèle «, qui désigne ces doubles ou triples lignes, renvoie plus exactement à une tranchée façonnée le plus secrètement possible devant la première ligne. En vue d’une attaque, on y rassemble au dernier moment les troupes d’assaut. À l’avant encore, les « sapes « sont des boyaux creusés perpendiculairement aux lignes ennemies. Surprotégées sous un amoncellement de sacs de terre et d’arbres abattus, ce sont des postes de guet ou d’écoute, à portée de voix des ennemis.

La tranchée est protégée par un parapet, sorte de bourrelet de terre ou de sacs de sable (« pare-éclats «), destiné à amortir les tirs ; de minuscules meurtrières y sont ménagées. Au dos de la tranchée, une seconde protection, le « parados «, doit éviter aux soldats de recevoir les éclats d’obus tombés en arrière de la tranchée et les shrapnells (balles libérées par les obus).

Les plus élaborées des tranchées mesurent 2 mètres à 2,50 mètres et sont étayées par des planches de bois, leur fond garni de caillebotis, de branchages. Elles comprennent des casemates souterraines étayées et placardées de claies dans les terrains les plus humides. Elles permettent le repos — très relatif — des soldats. Quand la ligne traverse un village, les caves et parfois les tombes (à Neuville-Saint-Vaast en Artois) servent de refuge aux poilus.

La circulation s’effectue dans des boyaux serpentant de rentrants en saillants — les zigzags limitent les dégâts des tirs en enfilade. Les boyaux sont rétrécis par des « chicanes «, qui empêchent les infiltrations ennemies en nombre. Enfin, ils sont parsemés de banquettes de tirs prêtes à servir en cas d’attaque.

5   L’UNIVERS INFERNAL DU POILU

La vie des tranchées se caractérise par une précarité extrême. Le surnom de « poilu « donné aux combattants français traduit l’absolue absence d’hygiène durant les trois semaines où ils sont en première ligne ; il symbolise la terrifiante existence que les soldats mènent.

Depuis les tranchées, le paysage entr’aperçu est désertique, hérissé de barbelés, troué par les cratères d’obus et les entonnoirs des mines, encombré d’une végétation calcinée. L’intérieur des tranchées est à peine moins chaotique, d’autant que les attaques imposent fréquemment de vivre dans les éboulis, de reconstruire sans cesse.

« Il faut les avoir approchées ces tranchées du premier hiver […], on trempait à même une gadoue qui prenait aux pieds comme la glu ; point d’abris : des niches dans la boue dont un chien n’aurait point voulu. «. Ces mots de Michel Leclerc, publiés dans la Passion de notre frère poilu (1920), soulignent les conditions inhumaines de la vie au front. En dépit de leur progrès, les tranchées restent des fosses communes virtuelles. La mort et l’angoisse y sont de quotidiennes compagnes.

Avec ses tours de garde, ses missions d’observation à vue et son cortège de peurs, la nuit est le moment le plus pénible. L’insomnie règne, même si les poilus arrangent les casemates en ersatz de « chez soi «, prenant grand soin de ce qui leur rappelle l’arrière (objets personnels, colis, lettres, photographies), installant avec les moyens du bord tables et paillasses dans des gourbis mal éclairés par les bougies. Certaines tranchées offrent des nuits plus rassurantes ; dix mètres sous terre, les hommes se lovent dans des abris protecteurs. Mais la plupart des casemates, à deux ou trois mètres sous le sol, résonnent des tirs d’artillerie. Le bruit est terrifiant. Le silence ne l’est pas moins.

Pour l’essentiel, l’univers des tranchées est fait de sang, de feu et de boue. Dans la Mitraille, journal du front, on lit en 1915 que « L’Enfer, ce n’est pas le feu. Ce ne serait pas le comble de la souffrance. L’Enfer, c’est la boue. « Les pieds dans les ordures et dans la boue, dans une odeur pestilentielle, souffrant du manque d’hygiène (dysenterie, poux) et de la cohabitation avec la vermine, les puces et les rats, souvent mal nourris car le lien avec les cantines de l’arrière est difficile, le poilu subit une grande torture physique et psychologique. Cette épreuve entraîne, du simple soldat jusqu’au niveau des colonels, une mortalité importante et un renouvellement extrêmement fréquent des hommes.

Cette torture quotidienne se métamorphose en supplice lorsqu’il faut prendre la relève et marcher, de nuit, sans repère, avec un barda de 30 kilos, dans des boyaux glissants, étrillé par l’angoisse d’une attaque inattendue sur les kilomètres qui séparent de l’arrière. Moment qui annonce pourtant une libération momentanée, la relève est présentée dans tous les témoignages comme une horrible expérience. Elle n’a d’égale que la montée en ligne et son martyrat, lorsqu’au nom du « grignotage «, l’état-major lance des assauts qui s’apparentent souvent à des suicides collectifs. Les poilus n’ont alors qu’une peur, « sécher sur le fil « (entendons, mourir sur les barbelés).

6   MOURIR AUX TRANCHÉES

« Cette nuit, comme toujours, fusillade endiablée, course à travers les boyaux, battements de cœur. Et puis plus rien, plus rien. Chacun s’endort d’un œil dans son trou. « Hormis le quotidien difficile, les tranchées polarisent l’essentiel des affrontements.

Dès 1915, les stratèges revoient leurs options à la lumière de ce nouveau type d’affrontement. Aux uniformes traditionnels sont substituées des tenues moins repérables. En France, le « pantalon garance «, qui a occasionné de grands ravages en 1914 (les hommes en rouge étant des cibles vivantes) est remplacé par l’uniforme « bleu horizon «. Les Allemands adoptent l’uniforme feldgrau (vert-de-gris). On protège les têtes. Les Français abandonnent le képi pour le casque en 1915. Les Allemands délaissent le casque à pointe en cuir bouilli, trop voyant et peu protecteur, pour des casques en acier (1916).

Un nouveau type d’artillerie naît. Les canons de 75 français s’opposent en duels aux 77 allemands. Canons à tir courbe, mitrailleuses, fusils-mitrailleurs d’assaut, crapouillots et autres grenades d’assaut se répandent dès 1915. En avril 1915, les premiers gaz de combat sont expérimentés par les Allemands, in vivo, à Ypres (d’où le nom d’ypérite donné à ce gaz, également connu sous le nom de « gaz moutarde «). Les poilus s’en protègent avec des mouchoirs mouillés. Puis viennent les masques à gaz, lourds, incommodes qui n’atténuent pas l’inquiétude de celui qui en sait l’efficacité limitée.

Sur le plan stratégique, outre le pilonnage incessant des lignes adverses, la guerre des tranchées est faite d’assauts et de contre-assauts meurtriers. Jusqu’à la fin de 1916, la tactique principale demeure l’offensive de masse, plusieurs dizaines de milliers de soldats étant alors lancés contre la première ligne ennemie. Quand une attaque aboutit, la première ligne des vaincus devient la première ligne des vainqueurs, qui transforment alors en deuxième ligne leur ancienne ligne d’assaut. Mais les résultats de ces grignotages sont aussi minces que leur bilan humain est accablant. Ainsi, de mai à octobre 1915, bien qu’aucune des lignes allemandes ne soit enfoncée, 348 000 Français meurent et plus de 700 000 sont blessés.

7   L’ÉCHEC DES TRANCHÉES

Fin 1917, le bilan des tranchées est lourd ; les batailles de Verdun (février-décembre 1916), de la Somme (septembre 1916) et du Chemin des Dames (avril 1917) ont démontré l’inanité de la guerre d’usure. Le retour à la guerre de mouvement est également stimulée par deux autres facteurs clefs : les mutineries de 1917 et l’évolution de l’armement.

En 1917, des mutineries liées à l’atrocité de la guerre éclatent de la France à la Russie, en passant par l’Allemagne. La répression sévit ; selon l’expression du général Pétain, vainqueur de Verdun et pacificateur des mutins français, elle associe la « carotte « (réduction des temps en première ligne, allongement des permissions, etc.) au « bâton « (soldats déférés devant le conseil de guerre, condamnations, exécutions). Il faut sortir de la logique de la guerre d’usure pour prévenir les rébellions.

Sur le plan technique et stratégique, les armes nouvelles transforment les conditions d’affrontement. L’aviation dès 1916, puis les chars d’assaut en 1918 — leur rôle est capital dans la seconde bataille de la Marne — rendent les protections des tranchées inopérantes. À la suite de la stratégie mise à l’ordre du jour fin 1917 avec les renforts américains, le rempart humain des tranchées est remplacé par le nouveau matériel.

Début 1918, l’état-major allemand de Ludendorff décide d’une nouvelle tentative de percée. Le front vole alors en éclats. En mars, les Allemands créent une poche profonde de 50 kilomètres à hauteur de Noyon, menaçante pour Paris, avant d’être bloqués quelques kilomètres à l’ouest d’Amiens. En mai, dans leur dernière offensive, ils traversent à nouveau l’Aisne à partir du Chemin des Dames et atteignent la Marne, à Château-Thierry. Mais, du 15 au 17 juillet, ils se heurtent à une violente contre-offensive alliée et sont contraints à la retraite. La fin de la guerre approche, acquise au prix d’une progression moyenne d’1,5 km par jour sur les lignes ennemies. L’armistice est signée le 11 novembre 1918, mettant fin à quatre année de calvaire pour les poilus.

8   LA CULTURE DE LA BOUE

Aspect le plus tragique de 1914-1918, la guerre des tranchées marque en profondeur les consciences et la mémoire collective, laissant les survivants affolés à la seule idée d’un nouveau conflit.

Durant le conflit, la vie des tranchées est difficilement compréhensible pour l’arrière, abreuvé de propagande anti-allemande et vantant les vraies comme les fausses victoires. L’incompréhension s’installe vite entre la presse civile et les préoccupations des poilus, ne se reconnaissant pas dans une propagande qui ne rapporte pas leur quotidien. Ils inventent alors leur propre presse, celle des tranchées (voir presse des tranchées) : feuilles éphémères — tels la Mitraille, Face à l’Est, On les aura, l’Écho des gourbis, le Bochofage, l’Artilleur déchaîné, etc. — ou d’envergure, comme le Crapouillot et le Poilu. Ces titres sous haute surveillance disent l’enfer de la boue, du feu. Même s’ils disparaissent avec la paix, ils soulignent l’existence d’une culture de guerre spécifique.

Cette culture de guerre particulière marque toute une génération d’écrivains et de penseurs de l’après-guerre. Roger Martin du Gard, Louis-Ferdinand Céline, Guillaume Apollinaire, Henri Barbusse, Roland Dorgelès ou Erich Maria Remarque célèbrent, tous à leur manière, la funeste mémoire des tranchées.

La découverte de la réalité des tranchées, longtemps retardée par le « bourrage de crâne « de propagande, mais devenue impossible à cacher avec le retour des soldats, déclenche un traumatisme collectif. Ce traumatisme abreuve un esprit contestataire et un refus de la barbarie qui traverse toute la société française, imprimant sa marque aussi bien sur le courant pacifiste des années 1920-1930 que sur la vie artistique et culturelle, ce dont témoigne la naissance du surréalisme, porté sur les fonds baptismaux par des hommes de lettres ayant eu directement à faire avec la boue des tranchées.

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