Travail et marginalité Emmanuel BOVE
Publié le 24/03/2020
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Travail et marginalité
Emmanuel BOVE
1898 - 1946 Mes amis (1921)
Le narrateur, gravement blessé lors de la Première Guerre mondiale, vit d’une modeste pension d’invalidité.
La propriétaire m’a donné congé.
Il paraît que les locataires se sont plaints de ce que je ne travaillais pas. Pourtant, je vivais bien sagement. Je descendais doucement l’escalier. Mon amabilité était très grande. Quand la vieille dame du troisième portait un filet trop lourd, je lui aidais1 à le monter. Je frottais mes pieds sur les trois tapis qui se succèdent avant l’escalier. J’observais le règlement de la maison affiché près de la loge. Je ne crachais pas sur les marches comme le faisait M. Lecoin. Le soir, quand je rentrais, je ne jetais pas les allumettes avec lesquelles je m’étais éclairé. Et je payais mon loyer, oui, je le payais. Il est vrai que je n’avais jamais donné de denier à Dieu2 à la concierge, mais, tout de même, je ne la dérangeais pas beaucoup. Seulement une ou deux fois par semaine, je rentrais après dix heures. Ce n’est rien pour une concierge de tirer le cordon. Cela se fait machinalement, en dormant.
J’habitais au sixième, loin des appartements. Je ne chantais pas, je ne riais pas, par délicatesse, parce que je ne travaillais pas.
Un homme comme moi, qui ne travaille pas, qui ne veut pas travailler, sera toujours détesté.
J’étais, dans cette maison d’ouvriers, le fou, qu’au fond, tous auraient voulu être. J’étais celui qui se privait de viande, de cinéma, de laine, pour être libre. J’étais celui qui, sans le vouloir, rappelait chaque jour aux gens leur condition misérable.
On ne m’a pas pardonné d’être libre et de ne point redouter la misère.
Le propriétaire m’a donné congé, légalement, sur papier timbré.
Mes voisins lui ont dit que j’étais sale, fier, et peut-être même, que des femmes venaient chez moi.
Dieu sait comme je suis généreux. Dieu sait toutes les bonnes actions que j’ai faites.

«
30
VISAGES DE !.:INCONNU 1
De même que je me rappelle un monsieur qui, quand j'étais petit,
me donna quelques sous, de même beaucoup d'enfants
se souvien
dront de moi lorsqu'ils auront grandi, car souvent je leur fais des
cadeaux.
C'est une joie immense de savoir que j'existerai toujours dans
ces
35 âmes.
Il va falloir quitter ma chambre.
Ma vie est-elle donc anormale au
point de scandaliser
le monde ? Je ne peux le croire.
Dans quinze jours, je serai ailleurs, je n'aurai plus la clef de cette
chambre
où j'ai vécu trois années, où mes habits de soldat sont tom-
40 bés, où, démobilisé, j'ai cru que j'allais être heureux.
Oui, dans quinze jours je vais partir.
Alors,
les voisins auront peut
être
du remords, car les changements touchent toujours, même les plus
insensibles.
Ils auront peut-être, une seconde seulement, la sensation
d'avoir été méchants.
Cela me suffira.
45 Ils viendront dans ma chambre vide et, comme il n'y aura plus de
meubles,
ils regarderont dans les placards.
Mais ils ne verront rien.
C'est fini.
Le soleil ne me dira plus l'heure sur le mur.
Le malade
qui habite sur
mon palier va mourir, quinze jours après mon départ,
car
il faut qu'il y ait du nouveau.
On repeindra quelque chose.
Des
5o ouvriers répareront le toit.
C'est curieux comme
tout change sans vous.
Mes amis, Éd.
Flammarion, 1977.
1.
A la place de: «je l'aidais»; cette faute est souvent commise par le narrateur.
-2.
Pedte somme versée par les catho
liques pour des œuvres de charité .
.'eQuels reproches les voisins, puis le propriétaire font-ils au narrateur? ' 1 ; • qomment expliquez-vous la différence entre l'image que les voisins se font du nar-
1 rrteur et le portrait qu'il brosse de lui-même ?
• quelles remarques faites-vous sur
la structure des phrases et l'enchaînement des
paragraphes ? Quelle tonalité cela confère-t-il
au texte?
1 ),,- Groupement de textes: voir 44 -49.
'-=-=· -=-=-=-=----==--=---=-=-:-=-:.....=-----= ..=::=..=---==---===----=.:_-=-==:::~-=-::::::::::---:::==:--=~~
90.
»
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