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« Un seul numéro, le numéro un »

Publié le 17/01/2022

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21 avril 2002 LE Front national est une organisation politique au sein de laquelle le pouvoir de décision a toujours été confisqué par Jean-Marie Le Pen. Ce parti de militants n'a jamais réussi à devenir un parti de masse. Son bureau politique en constitue l'instance principale. Le comité central, élu lors des congrès, est censé se réunir deux à trois fois par an. La gestion quotidienne est assurée par un appareil qui comprend : le « cabinet du président » « les services rattachés au président », le « secrétariat général », la « délégation générale » et les « autres services ». Ces services sont regroupés dans un long bâtiment appelé « le Paquebot ». A quelques minutes à pied, située sur les hauteurs de Saint- Cloud, la villa de Montretout, où vit Jean- Marie Le Pen, domine, en une sorte de symbole topographique, le siège du parti. Dans chaque département, le secrétaire départemental dirige la fédération. Des cercles nationaux assurent l'action du front soit dans des secteurs professionnels, soit sur des thématiques particulières. La plupart d'entre eux sont en sommeil et n'ont jamais mené d'activité militante régulière. A ses débuts, de 1972 à 1982, le FN ne comptait guère plus d'un millier d'adhérents. Le flux d'adhésions qui a accompagné la percée du Front national en 1984 en a multiplié le nombre, qui a atteint près de 50 000 au cours des années 1990. Mais, comme l'a souligné Jean-Marie Le Pen lui-même, les adhérents ne représentaient guère qu'un électeur sur cent. Pour gérer sa rapide « transcroissance », le FN s'est construit une culture d'organisation que reflète la collection de brochures intitulées « Le Guide du responsable ». Ces outils de facture très professionnelle abordent tous les aspects de la vie du parti. Ils apportent en plus de 1 200 pages un succédané d'expérience militante. Les responsables locaux y trouvent des indications pour toutes les circonstances : tenue des réunions, techniques de prise de contact, organisation des manifestations, assurance des locaux. Tout est prévu, du bouquet de fleurs (bleu blanc rouge) offert à l'orateur principal des meetings jusqu'à l'expulsion des perturbateurs. Exemples : ne jamais utiliser de lacrymogènes dans une salle, « à l'égard des individus dangereux préférer les appareils déclenchant une décharge électrique », prendre en photo des contre-manifestants... La vie du Front national se singularise par l'absence de débat politique. Il se distingue sur ce point non seulement des autres partis français, mais aussi de la plupart des mouvements d'extrême droite étrangers. L'explication tient d'abord au rôle de Jean-Marie Le Pen. D'autre part, le mouvement fédère différentes cultures politiques d'extrême droite. Les passages de l'une à l'autre sont peu probables. En revanche, chaque sensibilité exprime une culture politique différente et dispose, mais indépendamment des structures du FN, de ses propres publications et structures de formation. Au sommet, « il n'y a qu'un seul numéro, le numéro un, élu à l'unanimité par le congrès », affirme Jean-Marie Le Pen. Le bureau politique n'a jamais été qu'une chambre d'enregistrement des décisions du chef. Celui-ci consulte parfois, en tête à tête ou par téléphone, il s'informe de l'avis de ses interlocuteurs, mais ne discute pas pour autant avec eux. Une école de formation a fonctionné plusieurs années, où cadres et proches compagnons de route s'employaient à parfaire la formation politique des militants. Le Front national a construit un appareil technique efficace, capable d'éditer et d'envoyer du jour au lendemain les tracts et les affiches. Le FN rassemble ses militants deux fois par an, à Paris. En septembre, à l'occasion de la fête des Bleu-blanc-rouge. Elle réunissait des dizaines de milliers de personnes. Depuis la scission, la fréquentation a chuté, les stands des fédérations se limitent à la vente des frites et saucisses, alors qu'ils reflétaient précédemment la vie des fédérations en présentant les bulletins et tracts départementaux. Le 1er mai, les fédérations de tous les départements viennent à Paris défiler devant la statue de Jeanne d'Arc. La presse du parti se limite à National Hebdo, vendu en kiosque, et à Français d'abord, servi tous les quinze jours aux adhérents. La revue théorique Identité a cessé de paraître après la scission de 1998. Les bulletins locaux ne dépassent pas le statut soit de bulletin interne, soit de tracts périodiques. Seul celui du Var a été un temps diffusé en kiosque. Le FN a perdu avec Mégret plusieurs de ses éditorialistes, en particulier Martin Peltier et François Brigneau, de National Hebdo. Toutes les générations militantes de l'extrême droite sont représentées dans l'encadrement. Des militants formés dans les partis collaborationnistes, voire d'anciens SS, contribuaient à l'encadrement du premier FN aux côtés d'anciens poujadistes et de la génération encore très présente aujourd'hui des guerres coloniales. La sociologie de l'encadrement du Front ne coïncide pas avec celle de son électorat. L'encadrement est assuré par des petits patrons, des commerçants et des cadres. Les jeunes militants sont tous passés par les courants les plus radicaux de l'extrême droite. En revanche on n'y trouve quasiment pas d'ouvriers ni de militants venus de la gauche. Le Front national ne dispose pas de relais militants. La construction de structures pseudo- syndicales dans les entreprises, en 1996 et 1997, s'est soldée par un échec complet. Le FN n'anime aucun courant d'organisations de masse, et il n'a pas réussi à construire les siennes. Les structures professionnelles ou thématiques n'existent que sur le papier. Le Cercle national des combattants est surtout actif dans le Sud-Est, le Cercle national des femmes d'Europe mène une activité épisodique, et le service d'ordre, la Direction protection sécurité, est une structure très active présente dans tous les départements. Le Front national de la jeunesse n'a pu s'imposer dans les universités. Enfin le FN compte dans ses rangs très peu de notables, à l'exception de l'imprimeur Fernand Le Rachinel en Normandie, du négociant en vin Pierre Jaboulet-Vercherre en Bourgogne et du maire d'Orange, Jacques Bompard. Le FN est un parti sans autonomie, un appareil radical coincé entre un Le Pen qui l'ignore et l'a cassé et une base avec laquelle il n'a pas su nouer de liens étroits. Il n'est pas pour autant un parti fragile. Car il est à la fois l'émanation contemporaine d'une droite révolutionnaire séculaire et d'une attitude de révolte xénophobe alimentée par une crise durable de la confiance en la capacité de la société française à progresser. RENE MONZAT Le Monde du 29 avril 2002

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