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Zimbabwe : la fuite en avant de Robert Mugabe

Publié le 17/01/2022

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4 Avril 2000 Héros incontesté de la guerre d'indépendance du Zimbabwe, chantre reconnu de la lutte anti-apartheid et, avec l'ancien président zambien Kenneth Kaunda, animateur virulent de l'organisation des pays de la ligne de front contre le régime de Pretoria, Robert Mugabe n'est plus aujourd'hui qu'un personnage anachronique. Desmond Tutu, l'ancien archevêque anglican du Cap, Prix Nobel de la paix en 1984, le décrit comme "la caricature de ce que le monde pense que les dirigeants africains noirs sont". Les propos du prélat reflètent la déception des dirigeants sud-africains. Ils résument aussi l'opinion publique du Zimbabwe, où le président Mugabe vient d'essuyer deux camouflets successifs. La population consultée par référendum, le 12 et le 13 février, sur de substantielles modifications de la Constitution, qui avaient pour objectif essentiel de consolider les pouvoirs présidentiels, a répondu "non" - à 54,6 % - aux questions qui lui étaient posées. Supportant difficilement la dérive autocratique du régime, les Zimbabwéens ont, en fait, dit "non" à Robert Mugabe, plutôt qu'à une nouvelle Constitution dont le texte avait été assez peu commenté publiquement. La publication, un mois plus tard, le 10 mars, des résultats d'un sondage réalisé par Probe Market Research, un institut reconnu, lié à Gallup International, pour le compte de la fondation sud-africaine Helen Suzman pour la promotion de la démocratie, confirme le ras-le-bol des Zimbabwéens, dont 65 % souhaitent le retrait de la vie publique du président, qui vient de fêter ses soixante-seize ans. Ils espèrent aussi, à 63 %, un changement de gouvernement et cela jusque dans les zones rurales, où l'Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF), le parti au pouvoir, est solidement implantée. DISCOURS POPULISTE Le sondage indique clairement que les Zimbabwéens sont avant tout préoccupés par le chômage, la flambée des prix, les vicissitudes de leur quotidien, et qu'ils restent insensibles, à 80 %, aux arguments du chef de l'Etat accusant les Blancs restés au pays après l'indépendance d'être responsables des difficultés économiques actuelles. Seule une petite minorité des sondés (9 %) estime que la réforme agraire, présentée comme primordiale par le gouvernement, est un dossier essentiel. L'opinion publique ne blâme pas les fermiers blancs pour le blocage de la réforme, mais le gouvernement lui- même (74 %). Etrange paradoxe, puisque, dans le même temps, le mouvement d'occupation des propriétés appartenant à des fermiers blancs par les anciens combattants de la guerre d'indépendance, les "vétérans", lancé le 28 février à l'instigation du président Mugabe, continue de s'étendre. Les "vétérans", soutenus par la Zanu, affirment qu'ils ne font que reprendre les terres volées à leurs ancêtres par les Blancs au siècle dernier, dans cette ancienne colonie britannique. L'opposition politique accuse le président Mugabe d'avoir organisé l'occupation des terres pour "punir" les Blancs, qu'il rend responsables du rejet de la nouvelle Constitution lors du dernier référendum. Plusieurs personnes ont trouvé la mort au cours des dernières semaines. Avec la complicité passive de la police zimbabwéenne, les "vétérans" ont assassiné deux fermiers blancs ainsi que deux militants noirs du Mouvement pour le changement (MDC), principale formation de l'opposition, brûlés vifs dans l'incendie de leur voiture, et un policier en civil. Ils ont également violé deux femmes blanches, parentes d'un responsable influent du Syndicat des fermiers commerciaux (CFU). Robert Mugabe continue néanmoins de soutenir fermement les anciens combattants. La Haute Cour de justice a, par deux fois, déclaré les occupations des fermes illégales et ordonné leur évacuation. Par deux fois, le président a refusé de faire appliquer les décisions de justice, interdisant même aux forces de police d'intervenir. Dans sa fuite en avant, M. Mugabe a choisi encore une fois de prendre la minorité blanche comme bouc émissaire. Le procédé n'est pas nouveau. Il constitue depuis vingt ans un des thèmes récurrents de son discours populiste. Il a traité les fermiers blancs d' "ennemis du Zimbabwe" le jour même où l'un d'entre eux était lâchement assassiné. L'an dernier, à l'occasion de son soixante-quinzième anniversaire, il avait estimé que les Blancs zimbabwéens devaient "demander pardon pour leurs péchés passés". "Il ne faut pas leur laisser le sentiment, parce qu'ils contrôlent l'économie, qu'ils sont nos maîtres. Le combat est clair, c'est Noirs contre Blancs", avait-il ajouté. Le problème foncier est crucial au Zimbabwe, où Robert Mugabe promet aux "vétérans" une redistribution équitable des terres depuis l'accession officielle du pays à l'indépendance, le 18 avril 1980. Les accords de Lancaster House, signés à Londres le 21 décembre 1979, portaient sur les conditions d'un cessez-le-feu et sur les modalités d'accession au pouvoir de la majorité noire. Ils ont mis un terme à sept ans d'une guerre sanglante entre le régime blanc de Ian Smith - qui avait déclaré unilatéralement l'indépendance de la Rhodésie en 1965, pour prévenir l'avènement d'un pouvoir noir - et les nationalistes conduits par Robert Mugabe et Joshua Nkomo, co-dirigeants du Front patriotique. Mais ces accords prévoyaient également une aide internationale à la réforme agraire pouvant atteindre 2 milliards de dollars. De l'aveu même de Robin Cook, le ministre britannique des affaires étrangères, la Grande-Bretagne - ancienne puissance coloniale - n'y a contribué qu'à hauteur de 70 millions de dollars. M. Mugabe avait fait adopter, le 19 mars 1992, par le Parlement, une loi permettant d'exproprier les riches fermiers blancs pour installer sur leurs vastes propriétés un grand nombre de petits paysans noirs. Poursuivant son dessein, il avait fait publier, le 28 novembre 1997, la liste officielle des 1 500 propriétés que le gouvernement souhaitait "nationaliser" pour les redistribuer. L'expropriation portait sur quelque 5 millions d'hectares, la moitié des terres exploitées par des fermiers blancs, et ne devait donner lieu à aucune indemnisation. Cependant, au cours des vingt dernières années, les quelques propriétés rachetées ou réquisitionnées par les autorités ont été redistribuées non pas à de petits paysans noirs comme elles auraient dû l'être, mais à des membres de la nomenklatura, dirigeants de la Zanu ou proches de la famille Mugabe. NÉPOTISME ET CORRUPTION Le népotisme et la corruption sont deux des principaux reproches adressés par l'opposition et la population au régime de M. Mugabe, qui subit, depuis décembre 1997, une pression populaire croissante. Le régime fait le choix de l'autoritarisme et la dérive personnelle du pouvoir devient évidente lorsque, en août 1998, Robert Mugabe décide, sans consulter ni le Parlement ni le gouvernement, d'envoyer un corps expéditionnaire en République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre) pour voler au secours de Laurent- Désiré Kabila, menacé par une rébellion interne et ses voisins ougandais et rwandais. Les Zimbabwéens s'interrogent sur la nécessité d'engager ces 11 000 soldats dans un conflit lointain, qui coûte quelque 30 millions de dollars chaque mois à un pays en plein marasme économique. C'est dans ce contexte peu favorable, somme toute, que le président Mugabe entend conduire la Zanu aux élections législatives prévues en mai. Et pour la première fois depuis l'indépendance, la Zanu - qu'il voulait transformer en parti unique en 1990, alors que le multipartisme bourgeonnait partout sur le continent - risque fort d'être bousculée par l'union possible de l'opposition autour du MDC, fondé par l'ancien dirigeant syndicaliste Morgan Tsvangirai. FREDERIC FRITSCHER Le Monde du 28 avril 2000

« étrangères, la Grande-Bretagne - ancienne puissance coloniale - n'y a contribué qu'à hauteur de 70 millions de dollars. M.

Mugabe avait fait adopter, le 19 mars 1992, par le Parlement, une loi permettant d'exproprier les riches fermiers blancspour installer sur leurs vastes propriétés un grand nombre de petits paysans noirs.

Poursuivant son dessein, il avait fait publier, le28 novembre 1997, la liste officielle des 1 500 propriétés que le gouvernement souhaitait "nationaliser" pour les redistribuer.L'expropriation portait sur quelque 5 millions d'hectares, la moitié des terres exploitées par des fermiers blancs, et ne devaitdonner lieu à aucune indemnisation. Cependant, au cours des vingt dernières années, les quelques propriétés rachetées ou réquisitionnées par les autorités ont étéredistribuées non pas à de petits paysans noirs comme elles auraient dû l'être, mais à des membres de la nomenklatura, dirigeantsde la Zanu ou proches de la famille Mugabe. NÉPOTISME ET CORRUPTION Le népotisme et la corruption sont deux des principaux reproches adressés par l'opposition et la population au régime de M.Mugabe, qui subit, depuis décembre 1997, une pression populaire croissante.

Le régime fait le choix de l'autoritarisme et ladérive personnelle du pouvoir devient évidente lorsque, en août 1998, Robert Mugabe décide, sans consulter ni le Parlement ni legouvernement, d'envoyer un corps expéditionnaire en République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre) pour voler ausecours de Laurent- Désiré Kabila, menacé par une rébellion interne et ses voisins ougandais et rwandais.

Les Zimbabwéenss'interrogent sur la nécessité d'engager ces 11 000 soldats dans un conflit lointain, qui coûte quelque 30 millions de dollars chaquemois à un pays en plein marasme économique. C'est dans ce contexte peu favorable, somme toute, que le président Mugabe entend conduire la Zanu aux élections législativesprévues en mai.

Et pour la première fois depuis l'indépendance, la Zanu - qu'il voulait transformer en parti unique en 1990, alorsque le multipartisme bourgeonnait partout sur le continent - risque fort d'être bousculée par l'union possible de l'opposition autourdu MDC, fondé par l'ancien dirigeant syndicaliste Morgan Tsvangirai. FREDERIC FRITSCHERLe Monde du 28 avril 2000 CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés. »

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