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CONDILLAC (Étienne BONNOT de)

Publié le 02/04/2015

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CONDILLAC (Étienne BONNOT de)

Né à Grenoble en 1715 d'une famille de parlementaires, d'abord destiné à la prêtrise, y renonce en 1740, et fréquente Rousseau, Fontenelle, Diderot. Il publie en 1746 l'Essai sur l'origine des connaissances humaines, en 1749, le Traité des systèmes, en 1754, le Traité des sensations ; de 1758 à 1767, précepteur du duc de Parme, il rédige pour son élève un Cours d'études (contenant notamment une Grammaire et un Art de penser), qui paraît en 1775 ; il publie encore un Traité du commerce et du gouvernement considérés relativement l'un à l'autre, 1776. Après sa mort (1780), paraissent une Logique, 1780, et la Langue des calculs, 1798, où il s'efforce de montrer la genèse de l'arithmétique et de l'algèbre qu'il considère comme des langues.

L'Encyclopédie reprend des passages de son oeuvre qui, à la fin du siècle et au début du suivant, inspire le groupe des idéologues (Destutt de Tracy, Cabanis). Contemporaine et instigatrice d'une violente attaque contre le cartésianisme, critiquée pour n'avoir pas reconnu le rôle de la conscience par Maine de Biran (1766-1824), sa

pensée subira une éclipse au cours du XIXe siècle, due à l'essor de l'idéalisme allemand, et à la réhabilitation en France du cartésia­nisme par l'éclectisme de Victor Cousin (1792-1867).

1. Condillac s'est lui-même présenté comme le disciple français de Locke, dont il entend reprendre les thèses empi­ristes, en pensant l'origine des connaissances dans la sen­sation. Le philosophe anglais est le premier à accorder une place importante au langage dans la théorie de la connais­sance, mais c'est Condillac qui en fait la pièce essentielle. Locke expose la genèse empiriste des idées, mais Condillac va plus loin en exposant la genèse de nos facultés.

2. Si on considère un homme dans l'état de nature, c.-à-d. un individu réduit à ses besoins et facultés organiques, cet homme perçoit différentes choses selon l'action du milieu externe ; il se différencie de l'animal en ce que la complexité de son appareil corporel complexifie ses sensations. Comme l'animal, son rapport au monde externe se traduit par des signes. Une chose peut réveiller en lui une sensation qu'il a dejà eue et en devenir le signe accidentel ; selon les montages organiques de sa constitution physique, il réagit à certaines sollicitations externes en éprouvant certains sentiments, tandis qu'il effectue certains gestes ou pousse certains cris, qui en sont les signes naturels et lui font éprouver ces mèmes sentiments lorsque ses semblables les émettent. L'homme est alors agi par l'extériorité de son milieu. II n'est libre que lorsqu'il possède des signes arbitraires, c.-à-d. des signes qu'il

peut émettre à son gré. Il vient en possession d'un système de signes arbitraires par habitude, à partir d'un langage naturel constitué des gestes, des mimiques et des cris de l'action.

C'est par la constitution du langage que naissent la raison et la liberté. Par la possession de signes arbitraires, l'homme peut analyser ses pensées, les composer et les décomposer, leur donner des noms et les grouper de façon originale ; il peut constituer des idées générales qui sont abstraites à partir des données particulières des sens. La philosophie de Condillac est un nominalisme tout à fait particulier, qu'on pourrait nommer un conceptualisme linguistique. La thèse fondamentale du sensualisme est qu'on ne peut penser qu'au contact de la réalité externe ; comme celle-ci n'est composée que d'individus, pour penser à des idées générales, c.-à-d. aux parties communes à un certain nombre d'idées particulières, il faut nécessairement la présence des noms : sans le langage, les idées générales ne sont rien pour l'esprit. La raison ne peut exister sans le langage, dont la signification est l'ensemble de nos connaissances. Mais une langue peut être construite selon des généralisations hâtives, sans analogie avec les choses ; il importe que nos langues soient bien faites, c.-à-d. que leur construction suive l'ordre des besoins naturels par lesquels nous en venons à analyser la réalité. Toute langue bien faite exprime une connaissance exacte du monde, la science n'est donc qu'une langue bien faite.

3. Dans l'Essai, Condillac n'étudie pas précisément la genèse des facultés, et aux dires de Diderot, il ne repousse pas de façon convaincante l'idéalisme de Berkeley. Le Traité des sensations comble ces lacunes. L'homme originel y est remplacé par une hypothétique statue (dont l'idée vient probablement de Buffon) qui acquerrait successivement chacun des cinq sens. La conscience de la statue bornée au sens de l'odorat est tout entière dans la sensation qu'elle éprouve : devant une rose, elle n'est qu'odeur de rose, devant du jasmin, odeur de jasmin. La présence d'une première sensation est l'attention, la persistance de cette sensation, la mémoire, l'attention à la sensation présente et à la sensation passée, la comparaison, etc. Condillac entreprend ainsi d'engendrer chacune de nos facultés à partir de la sensation originaire, de telle sorte que chacune d'elle apparaisse comme une transformation de la sensation initiale. Si chacun des cinq sens permet d'engendrer toutes nos facultés, c'est non seulement la coexistence de nos sensations tactiles, mais surtout l'épreuve dans le toucher de la résistance des corps, associée aux autres sensations qui nous procure la connais­sance de l'extériorité. Le génétisme de Condillac est complet : il n'est donc pas étonnant sue sa philosophie s'ouvre à une pédagogie dont le Cours d études programmé pour l'infant de Parme est le modèle ; elle servira aussi au docteur Itard pour éduquer Victor, l'enfant sauvage trouvé dans l'Aveyron (cf. L. Maison, Les Enfants sauvages, 1964).

Le plus grand mérite de Condillac est peut-être d'avoir fait avant Kant l'épistémologie de la physique de Newton. Les grandes métaphysiques classiques (Leibniz, Malebranche, Spinoza) sont liées au cartésianisme en ce qu'elles en acceptent le rationalisme : la science se réduit à un discours développant synthétiquement ses propositions à partir de principes premiers. La physique newtonienne a sa source dans l'expérimentation et le refus des hypothèses abstraites ; elle accepte même l'existence de forces (la gravi­tation) dont on ne peut expliquer la nature, contredisant au principe cartésien, selon lequel on ne doit affirmer d'une chose que ce que l'on en conçoit clairement et distinc­tement. Prenant la science expérimentale comme modèle, Condillac, en montrant comment les systèmes, reposant sur des principes abstraits ou sur des hypothèses, doivent être rejetés au profit des systèmes reposant sur les faits, produit une critique des métaphysiques classiques, qùi est une véri­table critique de la raison pure et.abstraite. L'homme est devant la nature comme devant une machine dont il s'agit de comprendre le fonctionnement en montrant le rapport qu'ont les différentes pièces les unes aux autres ; il s'agit d'analyser l'expérience non de bâtir des chimères, d'expliquer comment les Phénomènes se causent les uns les autres, non de prétendre trouver le pourquoi de cet ordre phénoménal en se réfugiant dans le rêve.

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