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B) LA BEAUTÉ EN ARCHITECTURE Considérons maintenant l'architecture, au point de

Publié le 23/10/2012

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B) LA BEAUTÉ EN ARCHITECTURE Considérons maintenant l'architecture, au point de vue simplement artistique, abstraction faite de sa destination utilitaire ; car à ce dernier égard elle est au service de la volonté, non de la connaissance pure, par conséquent elle n'est plus de l'art dans le sens où nous l'entendons ; nous ne pouvons lui attribuer d'autre mission que celle de faciliter l'intuition claire de quelques-unes de ces Idées qui constituent les degrés inférieurs de l'objectivité de la volonté : je veux parler de la pesanteur, de la cohésion, de la résistance, de la dureté, des propriétés générales de la pierre, des représentations les plus rudimentaires et les plus simples de la volonté, des basses profondes de la nature ; j'ajouterai encore la lumière, qui, sur bien des points, contraste avec les qualités ci-dessus. Même à ce bas degré de l'objectité de la volonté, nous voyons déjà son être se manifester dans des conflits ; car, à vrai dire, c'est la lutte entre la pesanteur et la résistance qui constitue à elle seule l'intérêt esthétique de la belle architecture : faire ressortir cette lutte d'une manière complexe et parfaitement claire, telle est sa tâche. Voici comment elle s'en acquitte : elle empêche ces indestructibles forces de suivre leur voie directe et de s'exercer librement ; elle les détourne pour les contenir : elle prolonge ainsi la lutte et elle rend visible sous mille aspects l'effort infatigable des deux forces. Livrée à son impulsion naturelle, la masse totale de l'édifice ne serait qu'un amas informe qui s'efforcerait autant que possible d'adhérer au sol ; car elle est sans cesse pressée contre la terre par la pesanteur, qui représente ici la volonté, tandis que la résistance, qui correspond à l'objectité de la volonté, s'oppose à cet effort. Mais l'architecture empêche cette impulsion et cet effort de se donner librement carrière ; elle ne leur permet qu'un développement indirect et dérivé. Ainsi, par exemple, l'entablement ne peut peser sur le sol que par l'intermédiaire des colonnes ; la voûte doit se porter elle-même, et ce n'est toujours que par l'intermédiaire des piliers qu'elle peut satisfaire sa tendance vers la terre, etc. Aussi, grâce à ces détours forcés, grâce à ces obstacles, les forces immanentes aux pierres brutes se manifestent de la façon la plus claire et la plus complexe ; et c'est là tout ce qu'on peut demander à l'architecture sous le rapport esthétique. Voilà pourquoi la beauté d'un édifice consiste dans une convenance qu'on observe en chaque partie et qui réjouit les yeux ; je ne veux point dire la convenance de cette partie avec le but extérieur et volontaire de l'homme (à ce point de vue, l'oeuvre appartient à l'architecture pratique), j'entends la proportion que chaque partie doit avoir pour assurer le maintien de l'édifice ; or la place, la grandeur et la forme de chacune d'elles y coopèrent d'une manière tellement nécessaire, qu'il suffirait d'enlever une quelconque de ces parties à une place quelconque pour effondrer tout le bâtiment. Il faut que chaque partie supporte un poids exactement proportionné à sa résistance et qu'elle ne soit elle-même ni plus ni moins soutenue qu'il n'est nécessaire ; telle est la condition nécessaire pour donner carrière à cette réaction et à ce conflit entre la résistance et la pesanteur, conflit qui constitue la vie et le phénomène de la volonté dans la pierre ; ainsi arriveront à leur plus complète représentation, ainsi se manifesteront clairement ces degrés inférieurs de l'objectité de la volonté. De même, la forme de chaque partie doit être fixée, non par le caprice, mais par son but et par son rapport avec l'ensemble. La colonne, telle est la forme de support la plus simple de toutes ; elle n'est déterminée par aucune autre condition que son but : la colonne torse est une faute de goût ; le pilier quadrangulaire est moins simple, en réalité, que la colonne ronde, bien que par hasard il se trouve plus facile à construire. Les formes de la frise, de l'entablement, de l'arc et de la coupole sont également déterminées tout entières par leur but immédiat ; elles s'expliquent par elles-mêmes. Quant aux ornements des chapiteaux et autres ornements, ils appartiennent à la sculpture, non à l'architecture ; elle se borne à les admettre à titre de décoration accessoire et pourrait d'ailleurs s'en passer. D'après ce que nous avons dit, il est de première nécessité, pour comprendre une oeuvre architecturale et pour en jouir, d'avoir une connaissance immédiate et intuitive de sa matière sous le rapport de la densité, de la résistance et de la cohésion ; la joie que nous éprouvons à la contemplation d'une telle oeuvre serait subitement et singulièrement amoindrie, si nous venions à découvrir qu'elle est bâtie en pierre ponce : elle se réduirait pour nous à une apparence d'édifice. Nous ne serions guère moins désappointés en apprenant qu'elle est construite en simple bois, alors que nous la supposions en pierre ; c'est que maintenant le rapport entre la résistance et la pesanteur, rapport d'où découlent l'importance et la nécessité de toutes les parties, se trouve être déplacé, par le fait que les forces naturelles se manifestent d'une manière beaucoup moins intense dans un édifice de bois. C'est pourquoi, à vrai dire, le bois ne peut servir pour aucune oeuvre de belle architecture, bien qu'il se prête à toutes les formes : ce fait ne se peut expliquer que par ma théorie. (Monde, I, 222-3.) C) LA BEAUTÉ DANS LA NATURE VÉGÉTALE ET ANIMALE Nous venons de voir ce que l'architecture et l'hydraulique sont capables de faire pour les degrés inférieurs de l'objectité de la volonté ; pour les degrés supérieurs, qui correspondent à la nature végétale, l'art des jardins remplit dans une certaine mesure le même rôle. Pour qu'un paysage soit beau, il faut avant tout qu'il réunisse une grande richesse de productions naturelles ; il faut ensuite que chacune d'elles se distingue nettement, se détache clairement, tout en respectant à la fois l'unité et la variété de l'ensemble. Ce sont ces deux conditions que l'art des jardins cherche à mettre en relief... La peinture et la sculpture d'animaux correspondent à des degrés encore bien plus élevés... De telles oeuvres d'art nous montrent le vouloir constitutif de notre être dans des individus où sa manifestation n'est point, comme chez nous, dominée et tempérée par la réflexion... La contemplation objective de leurs formes complexes et merveilleuses, de leurs actes et de leurs attitudes, est une leçon riche d'enseignements, prise au grand livre de la nature ; c'est un déchiffrement de la véritable signatura rerum : nous y reconnaissons les degrés et les modalités sans nombre de la manifestation de la volonté ; cette volonté, une et iden-

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