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Les fables de La Fontaine (Emile, livre II) - ROUSSEAU

Publié le 02/04/2011

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Ier § Je demande si c'est à des enfants de six ans qu'il faut apprendre qu'il y a des hommes qui flattent et mentent pour leur profit ? On pourrait tout au plus leur apprendre qu'il y a des railleurs qui persiflent les petits garçons et se moquent en secret de leur sotte vanité : mais le fromage gâte tout; on leur apprend moins à ne pas le laisser tomber de leur bec qu'à le faire tomber du bec d'un autre. C'est ici mon second paradoxe, et ce n'est pas le moins important.  2e § Suivez les enfants apprenant leurs fables, et vous verrez que, quand ils sont en état d'en faire l'application, ils s'en font presque toujours une contraire à l'intention de l'auteur, et qu'au lieu de s'observer sur le défaut dont on les veut guérir ou préserver, ils penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des défauts des autres. Dans la fable précédente, les enfants se moquent du corbeau, mais ils s'affectionnent tous au renard; dans la fable qui suit, vous croyez leur donner la cigale pour exemple; et point du tout, c'est la fourmi qu'ils choisiront. On n'aime point à s'humilier : ils prendront toujours le beau rôle; c'est le choix de l'amour-propre, c'est un choix très naturel. Or, quelle horrible leçon pour l'enfance ! Le plus odieux de tous les monstres serait un enfant avare et dur, qui saurait ce qu'on lui demande et ce qu'il refuse. La fourmi fait plus encore, elle lui apprend à railler dans ses refus.

La critique des Fables de La Fontaine est à rapprocher de celle du Misanthrope dans la Lettre à d'Alembert. Elle illustre, comme elle, la théorie que l'œuvre d'art est dangereuse et qu'il faut la juger moins en artiste qu'en moraliste. Mais dans Y Emile l'intention de l'auteur est 5 un peu différente. Se plaçant à un point de vue pédagogique, il veut démontrer ce qu'il appelle: ses deux paradoxes.    Premier paradoxe.    Les enfants ne comprennent pas les termes mêmes de La Fontaine (inversions, mots rares, tournures poétiques, mythologie). C'est une critique de la forme, et Rousseau prend pour exemple Le Corbeau et le Renard qu'il analyse dans le détail.   

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« Dans quelle mesure Rousseau a-t-il raison ? Dans quelle mesure exagère-t-il ? voilà ce que nous nous proposonsd'examiner. Ce qui donne raison à Rousseau. Il est indéniable — et on l'a maintes fois répété — que La Fontaine nous présente sous le couvert d'une fictionaimable et souriante le tableau d'une humanité tantôt perverse et tantôt ridicule, où le fort opprime le faible (LesAnimaux malades de la Peste), où le naïf crédule et simple est victime de la perfidie (Le Renard et le Bouc).

Plusencore que dans les comédies de Molière s'y étalent des vices et des travers qui peuvent avoir les plus tragiquesconséquences et dont l'exemple ne peut être pour l'enfant une leçon d'héroïsme et de vertu.

Parfois même sedégagent de certaines fables des moralités qui peuvent prêter 65 à confusion (la raison du plus fort est toujours lameilleure).

Rousseau semble donc au premier abord avoir raison de se méfier, il a raison de dire qu'il y a dans lesfables des hommes qui flattent et mentent à leur profit ou des monstres assez odieux, comme la fourmi, pour refuserla charité et ajouter la raillerie à son refus. II.

Les exagérations de Rousseau. A) Quoi qu'en pense Rousseau, certaines fables de La Fontaine recommandent indiscutablement le Bien et peuventsans danger être mises entre les mains de tous les enfants.

Ils y apprendront que le travail est un trésor (LeLaboureur et ses Enfants), qu'il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde et que patience et longueur de tempsfont plus que force ni que rage (Le Lion et le Rat). B) Dans d'autres fables, dont la moralité paraît plus discutable, la leçon que La Fontaine veut dégager ne doit pasêtre celle que le texte peut suggérer, mais celle qu'il formule.

Dans le Renard et le Bouc, en nous disant qu'en toutechose, il faut considérer la fin, La Fontaine nous invite à la prudence et non à la perfidie.

Il le dit lui-même dans sapréface. C) Dans la plupart de ses fables, La Fontaine ne fait que des constatations et il nous donne des conseils pratiques :méfions-nous des flatteurs, un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, gardons-nous de juger les gens sur la mine.C'est au maître de montrer à l'enfant qu'en disant « La raison du plus fort est toujours la meilleure », La Fontaine nejuge pas, mais constate. D) Enfin et surtout, rien ne prouve, comme dit Rousseau, que l'enfant choisira entre le dupeur et le dupé celui qui luiparaît le plus malin.

De même, il n'est pas sûr que l'enfant attribuera à la fourmi le beau rôle, l'applaudira dans sesrefus et cherchera à l'imiter.

La meilleure preuve que ces affirmations ne sont pas des évidences logiques, c'est queRousseau nous dit qu'il en est presque toujours ainsi.

Les exceptions que supposent ces deux mots ruinent sonargumentation en lui enlevant toute sa force. Conclusion. Nous dirons en conclusion que cette page de Rousseau comporte, comme toujours chez lui, une part de vérité etune part d'exagération.

Lamartine a été, lui aussi, très sévère pour La Fontaine.

Il disait des fables dans la Préfacedes Méditations qu'elles étaient puériles, fausses et cruelles.

C'est qu'il y avait, nous dit Sainte-Beuve, entre LaFontaine et lui « l'antipathie de deux natures et le conflit de deux poésies ».

On peut en dire autant de Rousseau.Jean-Jacques a jugé La Fontaine avec le parti-pris d'un philosophe préoccupé de justifier coûte que coûte sesthéories ; et son âme d'idéaliste a été déroutée par le bon sens pratique de notre fabuliste.. »

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