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Illusion comique, Corneille - Acte II, 3 « Hélas ! s'il est ainsi …une vaine poursuite »

Publié le 20/09/2010

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illusion

 

Problématique : Une déclaration d’amour qui, se jouant des attentes du spectateur, provoque un rire grinçant.

 

I. Le constat de l’amour non partagé

      1. Une déclaration d’amour inspirée de l’amour courtois

- l’homme aux pieds de sa belle :

    • Autour du terme « amour « : « les transports de mon amour extrême « (3), « je vous aime « (4), « mon fidèle amour « (17)

    • La métaphore topique du feu : « soupirs ardents « (7), « votre flamme « (11), « flammes si saintes « (27), « feu « (24,49)

    • La soumission de l’amant : « de si longs services « (16), « services, affection « (21)

- un amour malheureux (tradition pétrarquiste) : « je soupire, j’endure « (2), « quel malheur est le mien ! « (1), « Cruelle « (15), « Prenez quelque pitié des tourments que j’endure « (44)

- un amour inscrit dans la destinée des personnages (tradition néo-platonicienne) cf. réplique d’Adraste p. 39 > « Ciel «, 2 fois, « Cieux «, « idée « (cf. l’Idée platonicienne), « âme «, « yeux « (sens noble).

 

      2. Le ferme et insolent refus d’Isabelle : dimension comique de ce qui aurait pu être pathétique

L’appel à la pitié ne fonctionne pas :

    - Affirmation sans ambiguïté de l’absence d’amour d’Isabelle (antithèse soutenue par le rythme binaire de l’alexandrin, 6/6) : « (Que) bien que vous m’aimiez / je ne vous aime point « (14), « Des épines pour moi / vous les nommez des roses « (20), « Il vous fit pour m’aimer / et moi pour vous haïr « (37)

    - Elle n’entre pas dans le jeu de l’apitoiement qui aurait pu rendre pathétique la scène : « froideur « (59) = pas seulement parce qu’elle n’aime pas Adraste. Elle est très claire, son jeu d’antithèses souligne à quel point elle est hermétique à la souffrance d’Adraste. Cf. bas p. 39 & haut p. 40 quand il est question de plaindre Adraste.

    - Elle est insolente et met les rieurs de son côté : première réplique d’Isabelle p. 38, « Le Ciel m’eût fait plaisir d’en enrichir une autre « (36+38)

 

II. Contraste entre les deux personnages

      1. Isabelle et la stabilité : une sérénité que rien n’atteint

- « Allez trouver mon père et me laissez en paix « / « Allez continuer une vaine poursuite « + les deux dernières répliques

- les jeux de reprise de mots ou de structures qui soulignent qu’elle renvoie la balle sans être atteinte :

    • cf. répliques 1 à 2 variation sur le mot « amour «

    • répliques 3 à 4 : « service «

    • répliques 5 à 6 : « Ciel «

    • répliques 7 à 8 : « tourments «

puis jeu proche de la stichomythie (cf. « j’espère «) ( une première constance d’Isabelle : implacablement retourner à Adraste tous ses mots et arguments

- Imperturbablement phrases assertives, solidité des affirmations (cf. « Ce n’est pas le moyen de trouver votre compte, / Et d’un si beau dessein vous n’aurez que la honte « (51-52). Pas d’émotions, juste un ton insolent (vs les interrogatives et exclamatives du côté d’Adraste).

 

      2. Adraste et ses trois masques

Adraste, tout au contraire, est marqué par l’instabilité, la variation. Il révèle des visages différents au cours de la scène, l’un mettant en question la sincérité de l’autre.

    - Premier masque : l’amant pétrarquiste, qui en appelle à la plainte, à la pitié devant les tourments qu’il endure

    - Deuxième masque (= autre stratégie argumentative) : la destinée doit faire plier Isabelle (c’est écrit dans les cieux, elle ne doit pas résister)

    - Troisième masque : le recours à la force > qu’Isabelle le veuille ou non, elle sera sa femme. Cf. lexique de la contrainte.

Le ton et le jeu du personnage doivent s’en ressentir. C’est Adraste, ici, qui est la source du mouvement, de la variation. Variation d’autant plus sensible qu’elle contraste avec l’attitude d’Isabelle.

 

( De fait, les deux personnages en présence apparaissent non pas comme des amoureux, mais comme des adversaires. Comme dans la scène précédente, l’amour se trouve associé au combat.

 

III. L’amour et le combat : une déclaration qui tourne à l’affrontement

      1. La menace de la contrainte : un rire grinçant

Jeu avec les registres attendus :

- une situation qui pourrait être inquiétante (« un père y consent «) > le combat implacable + l’effrayante incapacité d’Adraste à entendre ce qui lui est dit (cf. son explication finale de la froideur d’Isabelle)

- mais tout de même une situation de comédie (cf. molière, cf. la comédie italienne) : le mariage malheureux prévu « avant la fin du jour « et qui sera déjoué

 

      2. La légèreté persiste car Isabelle n’exprime aucune crainte + ridicule final d’Adraste

Contrairement aux jeunes premières habituelles (cf. Mariane dans Tartuffe, Lucile dans le Bourgeois gentilhomme ou Elise dans l’Avare) Isabelle ne s’en laisse pas compter.

Elle a la verve combattante d’une servante sans en avoir la gouaille. Elle fait rire et la menace qui plane sur elle ne nous paraît pas bien sérieuse (cf. ses deux « allez « imperturbables, quoique peut-être agacés à la fin de la scène).

Mieux, elle fait d’Adraste non un personnage inquiétant, comme son troisième masque aurait pu cependant le faire ressentir au spectateur, mais un personnage ridicule : « vaine poursuite « (63), « l’incommode honneur d’une triste constance « (48)

 

      3. Finalement la menace permet de démonter l’illusion d’une déclaration d’amour  topique

Isabelle n’est pas dupe, et lève ainsi un voile pour les spectateurs. A cette époque, plus encore qu’à celle de DB, le topos n’est plus crédible. Les flammes, les feux, les tourments d’amour se trouvent ici décrédibilisés par l’indifférence moqueuse de la dame censée de les recevoir.

Cf. la phrase, qui peut être jouée de façon ironique (8) « j’en vois trop d’apparence «, d’autant que ce terme clé dans le baroque est placé à la rime avec « assurance «.

 

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