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Lenz, les Soldats (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Lenz, les Soldats (extrait). Dans les Soldats, Lenz démonte les exigences et les obsessions utopistes de la société bourgeoise et militaire de la fin du XVIIIe siècle, au point parfois de faire basculer la comédie dans l'absurde. Si l'intrigue se nourrit des légèretés et des caprices sentimentaux des filles de Weseler parmi les officiers de la garnison, c'est dans les conversations des soldats et les discours de leurs supérieurs, dont le langage est bien souvent en décalage avec les idées qu'il défend, que Lenz met à nu et brise au mieux les idéalismes. Les Soldats de Jakob Lenz (acte V, scène 4) À Armentières Autour d'une table, le colonel comte von Spannheim avec son aumônier militaire Eisenhardt ; un jeune comte, son cousin, accompagné de son précepteur ; le commandant Haudy ; Mary, et d'autres officiers. LE JEUNE COMTE : Savoir si nous n'allons pas revoir bientôt une bonne troupe de théâtre... HAUDY : Ce serait à souhaiter, particulièrement pour nos jeunes messieurs. On dit que Godeau a eu l'intention de venir jusqu'ici. LE PRÉCEPTEUR : On ne saurait nier en effet que la scène est une chose presque indispensable à une garnison, j'entends bien évidement une scène où règne le bon goût, à l'exemple du théâtre français. EISENHARDT : Je ne vois pas quel profit on pourrait en tirer. LE COLONEL : Si vous dites cela, Monsieur le pasteur, c'est uniquement parce que vous portez ces deux petits bouts de chiffon blanc sous le menton. Je sais qu'au fond du coeur vous pensez autrement. EISENHARDT : Pardonnez, colonel ! Je n'ai jamais été hypocrite, et si c'était là un vice indispensable à notre état, je pense qu'on ferait sans aucun doute exception pour les aumôniers militaires, étant donné qu'ils ont affaire à des gens de bon sens. Moi-même j'aime le théâtre, et je vais volontiers voir une bonne pièce, mais je ne crois pas pour autant que ce soit une institution si bénéfique au corps des officiers. HAUDY : Par Dieu, Monsieur le pasteur, ou Monsieur le cureton, comme on vous appelle, reconnaissez une bonne fois pour toutes que la comédie prévient ou empêche de grands désordres. Il faut bien que les officiers aient un passetemps. EISENHARDT : Tout doux, commandant, dites plutôt : quels désordres la comédie ne provoque-t-elle pas parmi les officiers ! HAUDY : Voilà encore qui s'appelle parler pour ne rien dire. En un mot, Monsieur (il met ses deux coudes sur la table), je vous affirme ici-même qu'une seule comédie, et quand ce ne serait que la plus méchante farce, est dix fois plus profitable non seulement aux officiers, mais à tout l'État, que tous les sermons réunis que vous-même et vos pareils avez prononcés ou prononcerez durant toute votre vie. LE COLONEL, agacé, fait un signe à Haudy : Commandant ! EISENHARDT : Si j'avais des préjugés en faveur de ma charge, commandant, je me fâcherais. Mais nous allons laisser tout cela de côté parce que je ne crois pas que ni vous ni beaucoup de ces messieurs ne soyez jamais capables de juger de l'utilité particulière de notre fonction. Nous en resterons au théâtre et examinerons quel étonnant profit il procure à ces messieurs du corps des officiers. Répondez, je vous prie, à une seule question : qu'y apprennent donc ces messieurs ? MARY : Eh quoi, faut-il donc toujours apprendre ? Nous nous amusons, est-ce que ça ne suffit pas ? EISENHARDT : Dieu veuille que vous ne fassiez que vous amuser sans rien apprendre ! Mais vous imitez ce qu'on vous donne en spectacle et semez dans les familles malheur et malédiction. LE COLONEL : Mon cher pasteur, votre enthousiasme est digne d'éloge, mais, pardonnez-moi de vous le dire, il sent la calotte. Quelle famille a-t-elle jamais été précipitée dans le malheur par un officier ? Qu'une fille se fasse faire un enfant alors qu'elle ne demande pas mieux... HAUDY : Une putain sera toujours une putain, quelles que soient les mains dans lesquelles elle tombe. Si ça ne devient pas une putain à soldats, elle devient une putain à curés. EISENHARDT : Commandant, ça m'ennuie que vous mêliez toujours les curés à l'affaire, car vous m'empêchez de vous répondre carrément. Vous pourriez penser qu'une amertume personnelle se mêle à mes propos, et pourtant je vous jure que si je m'échauffe, c'est uniquement pour le sujet qui nous occupe, et non à cause de vos plaisanteries et de vos allusions désobligeantes à ma fonction. Elle n'a rien à perdre ou à gagner de traits d'esprit de cet ordre. HAUDY : Allez-y, causez, causez toujours, racontez vos balivernes, nous sommes là pour ça ; qui vous en empêche ? EISENHARDT : Ce que vous avez dit tout à l'heure était une pensée digne de Néron ou du Grand Turc ; et même chez eux, sa première manifestation aurait peut-être provoqué quelque effroi. Une putain sera toujours une putain. Connaissez-vous si bien l'autre sexe ? HAUDY : Monsieur, ce n'est toujours pas vous qui allez me donner des leçons sur ce point ! EISENHARDT : Vous êtes peut-être passé maître en la matière, mais permettez-moi de vous dire qu'une putain ne sera jamais une putain si on n'en fait pas une putain. L'instinct est chez tout le monde, mais chaque femme sait que de l'usage qu'elle en fait dépendra tout son bonheur futur. Et le sacrifiera-t-elle si elle n'est pas la victime d'une escroquerie ? HAUDY : Est-ce que je parle des filles honnêtes ? EISENHARDT : C'est justement les filles honnêtes qui doivent frémir de vos comédies : c'est là que vous apprenez l'art de les rendre malhonnêtes ! MARY : Qui aura de si mauvaises pensées ? HAUDY : Monsieur est sacrément fort en gueule pour ce qui est des officiers. Tudieu, si c'était un autre qui me disait ça ! Pensez-vous, Monsieur, que nous cessons d'être des honnêtes gens dès que nous revêtons l'uniforme ? EISENHARDT : Je vous félicite de cet état d'esprit. Mais tant que je verrai encore des femmes entretenues et de jeunes bourgeoises malheureuses, je ne changerai pas d'opinion. HAUDY : Ca mériterait un soufflet ! EISENHARDT, se lève : Monsieur, je porte une épée. LE COLONEL : Commandant, je vous prie... Monsieur Eisenhardt n'a pas tort, que lui voulez-vous ? Et le premier qui lui manque de respect... Asseyez-vous, Monsieur le pasteur, je veux qu'il vous donne satisfaction. (Haudy sort.) Mais aussi, vous allez trop loin, Monsieur Eisenhardt, malgré tout. Il n'est pas d'officier qui ne sache ce que l'honneur exige de lui. EISENHARDT : S'il a le temps d'y penser. Mais les comédies modernes ne lui montrent-elles pas, sous des couleurs chatoyantes, les crimes les plus bas contre les droits sacrés des pères et des familles ? N'enlèvent-elles pas leur dard aux actions les plus venimeuses, de sorte qu'un scélérat donne l'impression d'être pur comme un ange ? Et comment voulez-vous que ce ne soit pas un encouragement, comment voulez-vous que ça n'étouffe pas tout ce que la conscience a pu hériter de la maison paternelle ? Tromper la vigilance d'un père ou enseigner le vice à une fille innocente, tels sont les sujets qu'on y met au concours. HAUDY, dans l'entrée, avec d'autres officiers, au moment où la porte s'ouvre : Sale cureton ! Source : Lenz (Jakob), les Soldats, trad. par R. Girard et J. Lefebvre, Paris, L'Arche, 1972. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

« HAUDY , dans l’entrée, avec d’autres officiers, au moment où la porte s’ouvre : Sale cureton ! Source : Lenz (Jakob), les Soldats, trad.

par R.

Girard et J.

Lefebvre, Paris, L’Arche, 1972. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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