Devoir de Philosophie

Livre III,3 - Hugo - Les Châtiments

Publié le 04/10/2010

Extrait du document

hugo

 

Tout comme « Apothéose « et « L'Homme a ri «, les deux poèmes qui le précèdent, cette «fable « prend pour cible l'Empereur Napoléon IH, dont elle ridiculise la prétention à la grandeux:

Un jour, maigre et sentant un royal appétit, Un singe d'une peau de tigre se vêtit. Le tigre avait été méchant, lui, fut atroce. Il avait endossé le droit d'être féroce. Il se mit à grincer des dents, criant: je suis Le vainqueur des halliers, le roi sombre des nuits! Il s'embusqua, brigand des bois, dans les épines; Il entassa l'horreur, le meurtre, les rapines, Égorgea les passants, dévasta la forêt, Fit tout ce qu'avait fait la peau qui le couvrait. Il vivait dans un antre, entouré de carnage. Chacun, voyant la peau, croyait au personnage. Il s'écriait, poussant d'affreux rugissements: Regardez, ma caverne est pleine d'ossements; Devant moi, tout recule et frémit, tout émigre, Tout tremble ; admirez-moi, voyez, je suis un tigre ! Les bêtes l'admiraient, et fuyaient à grand pas. Un belluaire vint, le saisit dans ses bras, Déchira cette peau comme on déchire un linge, Mit à nu ce vainqueur, et dit: tu n'es qu'un singe.

Jersey, septembre 1852.

 

 

Ce poème met en oeuvre un genre que Victor Hugo pratique rarement: la fable (c'est en effet le seul exemple de fable présent dans la première édition du recueil; dans l'édition de 1870, Hugo en ajoutera une autre : «Les Trois Chevaux «, VI, 16). Conformément au genre de la fable, Victor Hugo met ici en scène des animaux, qui symbolisent chacun un caractère humain, traditionnellement convenu et stéréotypé. Tout en s'inspirant des fables de La Fontaine, il donne à ce poème une dimension polémique que n'avaient pas les textes du fabuliste du XVIIe siècle : contrairement à ce dernier, Hugo ne cherche 

 

hugo

« et 6, par exemple), dans l'usage habile de certains procédés de versification, (voir le contre-rejet du vers 5 : «jesuis», qui met en évidence la fatuité du personnage), dans certaines tournures qui sont comme des clins d'oeiladressés à l'illustre prédécesseur (l'antéposition archaïsante de l'adjectif dans « royal appétit»), et dans la façon dejouer subtilement avec le sens des mots, pour mieux mêler hommes et animaux (l'antre entouré de carnage setransforme en caverne «pleine d'ossements»).Le récit, que le complément de temps « Un jour» situe dans un passé indéterminé, non historique, est caractérisé,comme chez La Fontaine, par sa concision.

L'intrigue se noue rapidement: 3 vers suffisent à évoquer le caractère «atroce» du personnage, les mobiles de ses actes (« un royal appétit»), les moyens utilisés (« une peau de tigre sevêtit»).

L'histoire elle-même fait alterner l'enchaînement rapide d'actions brèves, comme réduites à l'essentiel (« Ils'embusqua...

entassa...

égorgea...

dévasta»), et les discours qui éclairent ces actions et trahissent leur auteur.

Lesinge y expose avec suffisance ses prétentions : il se met en avant («je suis le vainqueur..

le roi sombre des nuits...») et fanfaronne : «Devant moi tout recule» L'anaphore* de tout traduit d'ailleurs une sorte de griserie,d'autosuggestion béate qui pourrait paraître ridicule si elle n'était redoutable.

Le décor lui-même est réduit àquelques éléments (les halliers, les épines, l'antre et le carnage) qui évoquent le brigandage et la cruauté.La chute de la fable.

Le poème de Hugo ne sert pas à illustrer un précepte d'ordre général.

Il aboutit cependant,tout comme les fables de La Fontaine, à une chute qui livre le sens de l'apologue (v.

18-20) : le déguisement dusinge ne trompe que ses semblables; il n'échappe pas une seconde au spécialiste des fauves qu'est le dompteur. L'histoire Comme l'indique le titre du poème, «Fable ou histoire », Hugo ne se sert du genre de la fable que pour éclairerl'histoire réelle.Le choix des animaux.

L'animal choisi pour représenter Louis-Napoléon, le singe, le désigne comme le pâle imitateurde son oncle: son début de règne tient de la mascarade (image récurrente de l'oeuvre).

Le tigre, qui remplace le lionpour constituer son déguisement, permet à Hugo d'évoquer une cruauté sans grandeur: n'est pas Napoléon qui veut.La fable nous peint ainsi, en une sorte de description hallucinée, un monarque sadique qui tient à la fois du vampireet du cannibale: meurtres, égorgements, carnage, ossements manifestent une frénésie destructrice, elle-même liéeà une soif insatiable de pouvoir.

Telle est l'image du Prince que Victor Hugo veut léguer à l'histoire.Le coup d'État.

Même si elle n'est pas aussi nette que dans d'autres poèmes, l'allusion au coup d'État est ici bienprésente (« Il s'embusqua, brigand des bois, dans les épines»), de même que ses conséquences: la répression du 4décembre («Égorgea les passants »), l'exil des opposants (« Tout émigre»).

L'anaphore « tout» (v.

15-16) contribueà donner au personnage les traits de la cruauté furieuse et démesurée, capable d'engendrer la panique.

Le paradoxede ce pouvoir, à la fois craint (pour sa police) et révéré (du fait du nom glorieux de Napoléon) est égalementsouligné : (« Les bêtes l'admiraient et fuyaient à grands pas»).L'intervention du poète.

Ce n'est pas la première fois que le poète se met lui-même en scène comme un «belluaire »: voir « À l'obéissance passive », II, 7, VIII.

Comme dans ce précédent poème, il semble surgir du néant, se dresserspontanément face au mystificateur pour mettre fin à la supercherie tragique Mais, alors que dans «À l'obéissancepassive », Hugo parle d'écraser «du pied l'antre et la bête fauve / L'empire et l'empereur ! », dans la fable, lebelluaire se contente de ridiculiser le « vainqueur».

À la violence, il oppose la puissance du verbe (« tu n'es qu'unsinge») : l'apologue sape les bases du pouvoir du prince en le mettant symboliquement à nu. (CONCLUSION) Ce poème manifeste la volonté de l'auteur d'apporter une diversité formelle au recueil des Châtiments.

Par cepastiche d'une fable de La Fontaine, il réalise l'objectif qu'annonçait le poème précédent («L'Homme a ri ») : mettreun «écriteau » sur le front de Louis-Napoléon, révélant à la foule sa nature véritable.

Par ailleurs, Victor Hugoreprendra ce thème du singe dans «L'Expiation », long poème épique où il tire toutes les conséquences de l'imitationde Napoléon Ier par son neveu.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles