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LA RETRAITE DE RUSSIE: Victor HUGO, « L'Expiation », Les Châtiments, Livre V, 13

Publié le 28/02/2011

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Il neigeait. On était vaincu par sa conquête. Pour la première fois l'aigle baissait la tête. Sombres jours ! l'empereur revenait lentement, Laissant derrière lui brûler Moscou fumant. Il neigeait. L'âpre hiver fondait en avalanche. Après la plaine blanche une autre plaine blanche. On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau. Hier la grande armée, et maintenant troupeau. On ne distinguait plus les ailes ni le centre : Il neigait. Les blessés s'abritaient dans le ventre Des chevaux morts ; au seuil des bivouacs désolés On voyait des clairons à leur poste gelés Restés debout, en selle et muets, blancs de givre, Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre. Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs, Pleuvaient ; les grenadiers, surpris d'être tremblants, Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise. Il neigeait, il neigeait toujours ! la froide bise Sifflait ; sur le verglas, dans des lieux inconnus, On n'avait pas de pain et l'on allait pieds nus. Ce n'étaient plus des cœurs vivants, des gens de guerre ; C'était un rêve errant dans la brume, un mystère, Une procession d'ombres sous le ciel noir. La solitude vaste, épouvantable à voir, Partout apparaissait, muette vengeresse. Le ciel faisait sans bruit avec la neige épaisse Pour cette immense armée un immense linceul. Et, chacun se sentant mourir, on était seul.

Victor HUGO, « L'Expiation «, Les Châtiments, Livre V, 13, 1853.

Sans dissocier la forme et le fond, vous ferez un commentaire composé de ces vers qui racontent la retraite de Russie et qui forment le début du poème « L'Expiation «.

Vous pourrez par exemple étudier l'art avec lequel Victor Hugo rend une atmosphère de confusion et de désarroi, organise un tableau en noir et blanc, compose une vaste fresque où l'héroïsme lutte contre le déchaînement de forces hostiles.

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« pensait pas se heurter à des difficultés.

Pourtant c'est bien tout un ensemble de soldats qui se replient :« Hier la grande armée, / et maintenant troupeau ».Double antithèse : « Hier » # « maintenant » ; « grande armée » (désignation glorieuse) # « troupeau » (masseindistincte, terme ordinairement appliqué à des animaux).

C'est donc la confusion.

Elle apparaît de toutes parts :« On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau » : plus d'obéis-sance ; « On ne distinguait plus les ailes ni le centre» : plus d'organisation, plus de place déterminée qui donne soutien et confiance ; tout est « mêlé [...] » (v.

15) ;même les troupes d'élite sont décontenancées :« les grenadiers, I surpris d'être tremblants, /Marchaient pensifs, / la glace à leur moustache grise.

//les coupes traduisent hésitation, étonnement, manque de direction.Car la confusion entraîne le désarroi, non seulement trouble matériel donc, mais moral.

Dans ces mêmes vers sur «les grena-diers », les fameux grognards entièrement inféodés (voir Rappel de connaissances : vocabulaire) à leurchef, trois adjectifs : « sur-pris », « tremblants », « pensifs » mettent justement en valeur la surprise de soldats quin'avaient jamais tremblé.

Maintenant est-ce de froid, de peur ? Hugo laisse volontairement cette ambiguïté, tandisque les vers hachés de coupes sont « désarticulés » (volonté romantique de révolution métrique de Hugo) etévoquent un trouble. Quant au gros de la troupe, « Ce n'étaient plus des coeurs vivants, des gens de guerre » : plus de responsabilitéassumée, plus de courage ardent...

On est loin des réactions habituelles des soldats de Napoléon.

Désordre et désarroi se doublent de conditions misérables :a) manque des objets de première nécessité« On n'avait plus de pain et l'on allait pieds nus », le parallélisme est accablant ; noter aussi le terme « au seuil desbivouacs désolés », avec ce terme ambigu à nouveau, de « désolés » = déser-tés, on a changé de lieu de repos,car on avance, mais aussi une connotation (voir Rappel de connaissances : vocabulaire) très forte de tristesse doncparticipe sentimental qui prend une valeur à la fois matérielle et morale, d'autant qu'on laisse les morts « gelés » surplace.b) manque de soins...

«// Les blessés s'abritaient dans le ventreDes chevaux morts...

»Le comte de Ségur, ami de Hugo, affirme par deux fois les mêmes faits dans son Histoire de Napoléon et de laGrande Armée en 1812: « Tout marchait pêle-mêle il n'y avait plus ni aile ni centre »...

« Un de ces infortunés vécutplusieurs jours dans le cadavre d'un cheval ouvert par un obus.»c) lieux inconnus« Plaine blanche» (répétée), « solitude vaste ».d) harcèlement de l'ennemi« Boulets, mitraille, obus,...

» : énumération froidement effrayante et qui les poursuit.

Coupes qui hachent etmartèlent le vers. 3.

Second thème • Pourtant ces soldats résistent et leur résistance est tragique parce qu'ils se heurtent à des forces qui ne sont pashumaines : l'hiver russe.Tout le passage souligne cet aspect tragique par une coloration en noir, gris et blanc.III Blanc : c'est la neige.« Après la plaine blanche une autre plaine blanche.» Répétition obsédante, négation de toute finitude, rythmeharassé, notion d'irrémédiable ; glas (rythme régulier, continu).« Il neigeait.

» ouvre la page désastreuse.

Puis il est répété deux autres fois de même façon, en tête de vers, suivid'une coupe accablée (vers 1, 5, 10 : intervalles réguliers).

Dureté de cette répétition, effet de chute et de sortimplacable ; sonorités molles, éteintes (é fermé), coupe forte, anormale, impaire au troisième pied.

Les images quisuivent complètent, jettent l'effroi.vers 1 suivi de l'exclamation « Sombres jours ! » ; elle qualifie la situation ; mais aussi antithèse : « sombre » #blanc de la « neige ».Soit aussi le tableau « brûler Moscou fumant », avec une autre opposition de couleurs : feu, flammes # blanc.vers 5.

Après ce deuxième » Il neigeait.

// », c'est la force de l'hiver ; sa violence, un effet de descente écrasante :« L'âpre hiver fondait en avalanche », la sonorité de » âpre », la dureté et la rapidité du verbe « fondait », ledévalement de masses blanches neigeuses de « avalanche ».vers 10.

Après le troisième » Il neigeait.

// » qui n'en finit plus : blanc du gel (vers 12), blanc du givre (vers 13)détachés par leurs places en fin de vers et les coupes ; puis autre caractéristique « le verglas », cette glaceblanche (vers 19) ; abondance de blanc : « flocons blancs» (vers 15) ; enfin une reprise lancinante :. »

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