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Le Mythe Et L'Écriture Chez Nerval

Publié le 29/09/2010

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LE MYTHE ET L’ECRITURE

 

    Nous allons nous intéresser au mythe et à ses différents aspects, dont l’introduction et son évolution dans la littérature. Pour ce faire nous allons l’étudier dans un recueil de nouvelles et ensuite dans un passage en particulier.

    Au sens étymologique, mythe veut dire parole. Un mythe est un récit qui se veut fondateur d’une pratique sociale. Le mythe est une parole qui se réfère à des événements anciens chargés de sens ; dans les sociétés primitives, il sert d’explication pour certains aspects fondamentaux du monde et de la société, il nous dit comment les choses ont commencé et pourquoi les hommes en sont là aujourd’hui, Il est transmis de façon orale et met en scène des êtres merveilleux (des anges, des démons, des dieux, etc…). Cependant la question sur le sens, la foncions et surtout la vérité des mythes n’as pas été totalement résolue. Il est tenu pour vrai par les sociétés qui les ont forgés ou qui les véhiculent, mais il est défini par d’autres comme une représentation amplifiée, déformée par l’imaginaire collectif ou encore come une croyance répandue mais infondée. Nous préférons dire que le mythe désigne une croyance manifestement erronée au premier abord, mais qui peut se rapporter à des éléments concrets exprimées de façon symbolique car il dépend de l’interprétation du symbolisme qui en fait le sens profond. Le mythe constitue un besoin fondamental de l’être humain à travers lequel il exprime son imaginaire et sa pensée.

     L’étude des mythes constitue un secteur de l’histoire et de la critique littéraire qui prend de plus en plus d’importance. Le mythe est inséparable de la production littéraire, les écrivains sont donc amenés à traiter les faits littéraires à des niveaux très divers et selon des perspectives multiples. Le mythe dans la littérature est une façon de s’exprimer indirectement, d’ajouter de la complexité et des nouvelles significations à une œuvre, il reflète la structure de l’esprit humain. Le mythe littéraire se constitue par la réécriture individuelle et personnalisée d’un texte fondateur. Le terme de mythe a envahi notre langage quotidien tout en perdant son ancien sens, de plus la lignée littéraire ainsi constituée finit par faire oublier son origine individuelle et historique pour gagner la psyché collective au même titre que le mythe. En fait, le mythe littéraire, grâce aux variations et a la polysémie, se soumet à la dégradation du mythe, dégradation qui est paradoxalement la mythification, ce qui veut dire que le mythe se transforme et s’adapte, qu’il est le résultat de l’ensemble de ses versions. Il était auparavant présenté comme (principe de réalité) mais il est devenu petit à petit principe d’actualisation du réelle, actualité permanente.

Nous allons voir comment Gérard de Nerval  traite le mythe dans son recueil de nouvelles «Les Filles du feu «. Nerval fut un poète et écrivain français du XIXème siècle, il écrivît ses principaux chef-d’œuvre : «Les Filles du feu « et « Aurélia «, dans sa période des premières folies et des premières expériences où sous l’influence du romantisme, époque orientalisante, il voyagea beaucoup et rédigea des reportages et les impressions de ses voyages. Des voyages à Constantinople, Naples, Algérie, Syrie, Égypte, Liban, Rhodes, Turquie, qui par conséquent l’amenèrent à s’intéresser à l’origine de ses civilisations orientale et donc à toutes sortes de mythes. C’est pourquoi le mythe est un thème très important dans son écriture. Dans ses œuvres, nous retrouvons énormément de références mythologiques qu’elles soient d’origine grecque, égyptienne, gréco-romaine et même scandinave. Le mythe chez Nerval est déjà présent dans le titre de son recueil « Les Filles du Feu « qui nous invoque premièrement, sa mythologie personnelle du feu où des symboles tels que le feu, la grotte, ou le volcan se traduisent sous la forme de métaphores obsédantes et complexes générés par un conflit personnel, la lutte entre la raison et la folie. L’image du feu est englobée dans chaque nouvelle sous toutes ses formes, tels l’étoile, le volcan, le soleil, les couleurs rouge, jaune et or.  Ensuite, chaque nouvelle des Filles du feu porte le nom d'une femme, à la fois réelle et mythique ou imaginaire (Sylvie, Angélique, Corilla, Octavie, Isis). Le cadre des premiers de ces récits, Sylvie et Angélique, est le Valois, tandis que les derniers, Isis et Octavie, se déroulent en Italie. De plus nous trouvons dans ces récits beaucoup de personnages mythiques féminins tels qu’Isis, Athéna, Vénus, etc. Tous ces textes sont néanmoins le récit de la quête d'une figure féminine perdue : femme, déesse, fée ou sainte; qui finit par s'incarner dans l'Isis mystique des cultes ésotériques qui étant aussi un mythe nervalien, nous voyons qu’il se mélange au mythe traditionnel. 

Nous nous intéressons particulièrement à trois nouvelles qui illustrent bien le thème du mythe : Sylvie, Octavie et Isis.

« Sylvie « raconte l’histoire d’un jeune homme (le narrateur) qui est amoureux d’une actrice nommée Aurélie. Elle ressemble beaucoup à Adrienne, un de ses amours d’enfance, ce qui l’amène à se souvenir de cette période là et aussi de Sylvie, petite fille du village qui était sa compagne. Nous assistons à des retrouvailles tardives avec Sylvie par laquelle, il est toujours attiré. De retour à Paris, il commence une relation avec Aurélie qui ensuite refuse d’être aimée pour ce qu’elle n’est pas. Quand le narrateur essaie alors de revenir à Sylvie, elle est mariée avec un autre. Nous sommes témoins d’une confusion des femmes aimées.

« Octavie « c’est l’histoire d’un homme, qui fuit un amour contrarié et cherche la distraction dans le voyage. Il passe la nuit avec le double imaginaire de cet amour laissé à Paris, à qui il écrit une lettre lui manifestant sa tristesse et son désir de mourir. Mais les retrouvailles avec une jeune anglaise, lui enlèvent ces idées de la tête. Il tombe amoureux d’elle mais n’ose pas lui avouer son amour. Quand, il la retrouve dix ans plus tard, il découvre qu’elle est mariée et se dit que le bonheur était peut être avec elle.

Dans « Isis «, le narrateur raconte le souvenir de son voyage à la ville de Pompéi, où il revit le culte d’Isis à travers une fête. Il nous décrit cette expérience palingénésique. Il médite sur l’histoire des religions et établit les liens entre le culte égyptien et la religion naissante du Christ.

Toutes ces histoires sont différentes mais nous retrouvons des aspects communs rapportés au mythe.

Tout d’abord, nous pouvons identifier les différents mythes présents. Nous retrouvons dans ces trois nouvelles de la mythologie grecque et surtout dans Isis de la mythologie égyptienne. Nous remarquons aussi que énormément  de références à des personnages, surtout féminins : (Athéna, Venus, le cygne associé à Zeus séducteur, Isis, Osiris, Mercure,….), et des lieux mythiques : (Cythère île des plaisirs amoureux, Pompéi,  temple d’Isis de Venus et de Mercure, l’Olympe,…).

Ensuite, nous pouvons voir que le mythe pour Nerval a des fonctions différentes. 

Premièrement, il s’en sert pour idéaliser toutes les figures féminines auxquelles il est confronté. Par exemple Sylvie qui est censée représenter le réel, l’authenticité, est elle aussi idéalisée par le narrateur qui trouve en elle un « sourire athénien « et une « physionomie digne de l’art antique «. Octavie aussi est comparée à une sirène. Cette idéalisation des femmes résulte en une quête impossible de la femme idéal. 

Deuxièmement, Nerval cherche l’expérience palingénésique renforcée par son imaginaire, il veut reconstituer et ressusciter le passé et c’est ce qu’il fait dans Octavie à travers le jeu de rôle où la jeune anglaise joue « le personnage de la Déesse « et le narrateur se « voit chargé du rôle d’Osiris dont il explique tous les mystères.«. C’est aussi le cas dans Isis, où il participe à la reconstitution fidèle de Pompéi par le décor et les usages de l’époque, ainsi qu’a celle du culte d’Isis. Ces tentatives palingénésiques se traduisent par l’identification, la personnification du narrateur ou de son entourage en héros (personnages mythiques). Troisièmement, le mythe est très utile pour ajouter du sens au texte, la polysémie nous permet de voir des sens cachés, comme par exemple dans Sylvie où, comme nous l’avons vu avant, la référence au mythe d’Athéna ajoute une dimension artificielle à Sylvie. Nous verrons un autre exemple dans l’analyse du passage. 

Nous allons analyser le passage de la nouvelle d’Octavie de la page 237 « Pendant cette nuit étrange… « jusqu’à la page 239 «  Octavie en a gardé près d’elle. «. Mais tout d’abord nous allons faire un bref résumé de cet extrait.

Dans ce passage,  le narrateur pense à Octavie, la jeune anglaise, et décide de la retrouver à Portici comme convenu et en l’attendant, se promène dans les ruines des temples. Lorsqu’elle arrive avec son père infirme, ils choisissent un voiturin pour aller visiter Pompéi. Dans le temple d’Isis, ils se prennent au jeu et décident d’interpréter les personnages mythiques Isis et Osiris. Ensuite, le narrateur n’ose pas lui parler, d’amour mais fini par lui raconter sa tristesse éprouvée à cause d’un amour contrarié. Dix ans plus tard, il la retrouve et découvre qu’elle est mariée à un peintre paralysé. Il ressent de la peine pour elle et se dit qu’il aurait pu être heureux avec elle.

Nous avons choisi ce passage, car il est important dans cette nouvelle et nous permet d’illustrer certains aspects du mythe traités par Nerval.

En idéalisant tout, le narrateur perd le sens de la réalité et passe à coté du bonheur.

Nous pouvons déjà distinguer le mythe nervalien du feu. Nerval est hanté par le feu, c’est quelque chose qui attire la curiosité et en même temps provoque un sentiment de peur. Nous le voyons dans les mots comme  « éclairées, poussière chaude et soufrée, coupole de fumée, cendre métallique « utilisés pour décrire l’atmosphère juste après l’éruption du Vésuve. Ici l’éruption du volcan reflète l’image du feu, le narrateur a du mal à respirer mais pourtant, il « se repose délicieusement «, gravit la montage et « contemple sans terreur le Vésuve «.

Nerval a un besoin profond de ressusciter le passé et l’exprime très bien à travers cette phrase : « Le temple de Vénus, celui de mercure, parlaient en vain à mon imagination. Il fallait que cela fût peuplé de figures vivantes.«. En poussant Octavie à jouer le rôle d’Isis, déesse-mère, il l’idéalise et elle prend en même temps les identités d’actrice, de déesse et de mère. Il veut faire coïncider la réalité avec l’idéal, il la convertit en une image idéale inatteignable et c’est ce pourquoi il passe à coté du bonheur en perdant la réalité (nous pouvons voir ici un parallélisme avec Sylvie : même procédé, même fin). Elle devient à la fin seulement « un rêve «, «une apparition «.

Lui aussi essaye de s’idéaliser en s’identifiant dans le rôle d’Osiris tout d’abord et aussi en s’élevant vers le ciel lorsqu’il gravit la montagne 

Nous observons une polysémie dans ce jeu de rôle. Osiris étant le frère et le mari d’Isis, le fait de vouloir jouer ces rôles sont pour le narrateur une façon d’avouer son amour à octavie, ce qu’il n’arrive pas à faire avec les mots : « …je n’osai lui parler d’amour… «.

Il fait d’Octavie, qui est comme coincée entre son mari paralysé et son père infirme, une légende dont son mari serait un « géant noir qui veille éternellement dans caverne des génies « et elle comme « sa femme forcée de battre pour l’empêcher de se livrer au sommeil «.

 Nerval montre un goût prononcé pour les croyances et le mystère, et l’auteur le reflété dans le narrateur. Il est connaisseur, il a « d’avance étudié « pour avoir le bonheur de « lui expliquer fidèlement les détails du culte et des cérémonies «.

Nous avons trois temps dans ce passage : le présent : « Hélas ! Que tout cela est loin de nous ! « (Dix ans après la dernière rencontre avec Octavie), le passé simple et le passé composé traitants deux périodes ; la rencontre avec Octavie lors de l’éruption du Vésuve et sa rencontre avec elle lorsqu’elle est mariée. Cependant elle est toujours présente dans les pensées du narrateur au temps présent en tant que figure idéalisée, car le mythe est intemporel, il ne se perd jamais et est réactualisé. 

En conclusion, Nerval, utilise le mythe associé aux autres thèmes importants dans son écriture tels que l’imagination, l’art, le temps, la femme, etc. et nous propose sa propre vision du monde teinté de folie. Il a établit un réseau symbolique révélant ses croyances et ses expériences réellement vécues ainsi que l’immensité de son imaginaire.

Nous avons pu constater la diversité de différentes définitions du mythe qui a évolué avec le temps, la forte influence de l’époque orientalisante  sur l’intérêt au mythe, son évolution dans la littérature et  même la vulgarisation du terme à l’époque actuelle. Nous nous sommes rendu compte de l’importance qu’il peut avoir dans la littérature et du fait qu’il peut avoir des fonctions différentes et être utilisé de façon variée. Nerval a donc bien du s’approprier le mythe de façon à en créer des nouveaux. Nous avons aussi appris que la vie de Nerval a eu un grand impact sur ses œuvres en partie biographiques et que le voyage et la folie ont joué un rôle important dans sa vie. Il serait intéressant d’étudier le mythe dans la poésie de Nerval, dans des œuvres d’auteurs de la même époque et de son évolution à travers toute l’histoire.

 

Annexe - Edition : Folio classique

Nerval, Les Filles Du Feu « Octavie « : Extrait analysé (p.237-p.239)

Pendant cette nuit étrange, un phénomène assez rare s'était accompli. Vers la fin de la nuit, toutes les ouvertures de la maison où je me trouvais s'étaient éclairées, une poussière chaude et soufrée m'empêchait de respirer, et, laissant ma facile conquête endormie sur la terrasse, je m'engageai dans les ruelles qui conduisent au château Saint-Elme ; — à mesure que je gravissais la montagne, l'air pur du matin venait gonfler mes poumons ; je me reposais délicieusement sous les treilles des villas, et je contemplais sans terreur le Vésuve couvert encore d'une coupole de fumée. 

C'est en ce moment que je fus saisi de l'étourdissement dont j'ai parlé ; la pensée du rendez-vous qui m'avait été donné par la jeune Anglaise m'arracha aux fatales idées que j'avais conçues. Après avoir rafraîchi ma bouche avec une de ces énormes grappes de raisin que vendent les femmes du marché, je me dirigeai vers Portici et j'allai visiter les ruines d'Herculanum. Les rues étaient toutes saupoudrées d'une cendre métallique. Arrivé près des ruines, je descendis dans la ville souterraine et je me promenai longtemps d'édifice en édifice demandant à ces monuments le secret de leur passé. Le temple de Vénus, celui de Mercure, parlaient en vain à mon imagination. Il fallait que cela fût peuplé de figures vivantes. — Je remontai à Portici et m'arrêtai pensif sous une treille en attendant mon inconnue. 

Elle ne tarda pas à paraître, guidant la marche pénible de son père, et me serra la main avec force en me disant : « C'est bien. « Nous choisîmes un voiturin et nous allâmes visiter Pompéi. Avec quel bonheur je la guidai dans les rues silencieuses de l'antique colonie romaine. J'en avais d'avance étudié les plus secrets passages. Quand nous arrivâmes au petit temple d'Isis, j'eus le bonheur de lui expliquer fidèlement les détails du culte et des cérémonies que j'avais lues dans Apulée. Elle voulut jouer elle-même le personnage de la Déesse, et je me vis chargé du rôle d'Osiris dont j'expliquai les divins mystères. 

En revenant, frappé de la grandeur des idées que nous venions de soulever, je n'osai lui parler d'amour... Elle me vit si froid qu'elle m'en fit reproche. Alors je lui avouai que je ne me sentais plus digne d'elle. Je lui contai le mystère de cette apparition qui avait réveillé un ancien amour dans mon cœur, et toute la tristesse qui avait succédé à cette nuit fatale où le fantôme du bonheur n'avait été que le reproche d'un parjure. 

Hélas ! Que tout cela est loin de nous ! Il y a dix ans, je repassais à Naples, venant d'Orient. J'allai descendre à l'hôtel de Rome, et j'y retrouvai la jeune Anglaise. Elle avait épousé un peintre célèbre qui, peu de temps après son mariage, avait été pris d'une paralysie complète ; couché sur un lit de repos, il n'avait rien de mobile dans le visage que deux grands yeux noirs, et jeune encore il ne pouvait même espérer la guérison sous d'autres climats. La pauvre fille avait dévoué son existence à vivre tristement entre son époux et son père, et sa douceur, sa candeur de vierge ne pouvait réussir à calmer l'atroce jalousie qui couvait dans l'âme du premier. Rien ne put jamais l'engager à laisser sa femme libre dans ses promenades, et il me rappelait ce géant noir qui veille éternellement dans la caverne des génies, et que sa femme est forcée de battre pour l'empêcher de se livrer au sommeil. O mystère de l'âme humaine ! Faut-il voir dans un tel tableau les marques cruelles de la vengeance des dieux ! 

Je ne pus donner qu'un jour au spectacle de cette douleur. Le bateau qui me ramenait à Marseille emporta comme un rêve le souvenir de cette apparition chérie, et je me dis que peut-être j'avais laissé là le bonheur. Octavie en a gardé près d'elle le secret.

 

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