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NIETZSCHE: Les apologistes du travail.

Publié le 27/02/2008

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nietzsche
173. Les apologistes du travail. Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction » du travail, je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, on sent aujourd'hui, à la vue du travail - on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir -, qu'un tel travail constitue la meilleure des polices, qu'il tient chacun en bride et s'entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l'amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l'on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et l'on adore aujourd'hui la sécurité comme la divinité suprême.NIETZSCHE

L’apologie du travail a été stigmatisée par Nietzsche à plusieurs reprises dans son Oeuvre. Déjà dans le Gai Savoir, l’auteur nous fait part de la conception moderne du travail, suivant laquelle les hommes travaillent en vue d’abolir l’ennui et surtout en vue d’un but lucratif. Le travail, dès lors, loin de s’atteler au plaisir que recherche l’individu, ne reste qu’un moyen pour lui d’accroître ses gains. Par ailleurs, cet extrait issu d’Aurore (L. III) présente l’idée centrale selon laquelle le travail est un instrument supplémentaire de l’Etat pour lui permettre d’assujettir l’individu, en le confondant dans l’illusion de l’utilité sociale. Aussi, Nietzsche souligne cette thèse que le travailleur est contrôlé, qu’il participe par son labeur quotidien à la sécurité volontairement établie par l’Etat. L’enjeu de ce texte est de montrer en quoi une fois de plus le principe d’individualité est mis à l’écart au profit d’une idéologie naissante, celle du capitalisme : « Se trouver un travail pour avoir un salaire : - voilà ce qui rend aujourd’hui presque tous les hommes égaux dans les pays civilisés ; pour eux tous le travail est un moyen et non la fin ; c’est pourquoi ils mettent peu de finesse au choix du travail, pourvu qu’il procure un gain abondant « (Gai Savoir, §42). Les deux principaux temps du texte nous permettront d’engager une analyse concernant d’abord la déshumanisation de l’homme par le travail, ainsi que sa part symptomatique en tant que ce qui est chez lui une répression des instincts supérieurs le conforte dans un système sécurisant, système de substitution au regard de l’inquiétante « mort de Dieu «.        

nietzsche

« castré.

II.

Une valeur de substitution : « La sécurité de l'emploi » a.

« La glorification du travail » va de pair avec la sacralisation de l'ordre social.

Anéanti par son labeur, le travailleur n'a ni idée ni loisir de commettre des infractions ou de se révolter contre l'ordre établi.

Pour l'auteur cetteapologie du travail, quand elle se place à une échelle politique, est dangereuse car le travail est alors utilisé commeune police.

Celui qui travaille est contrôlé : on sait ce qu'il fait à certaines heures, et, d'autre part, l'énergiedépensée lors du travail n'est pas dépensée dans d'autres domaines qui pourraient menacer l'Etat.

De fait, le travail« consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie,aux soucis, à l'amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactionsfaciles et régulières ».

Cette thèse de Nietzsche, aussi surprenante qu'elle puisse apparaître à l'époque, s'estrévélée historiquement juste dans certaines situations : dans une forme particulière du stalinisme, le Stakhanovisme,l'individu ne travaille pas que pour le prestige de son Etat.

Il est prêt à faire sacrifice de son temps, de son énergie,pour se mettre au service de l'Etat.

Ce système nie l'individu ainsi que son droit à la liberté. b.

La sécurité que procure le travail reflète ce côté rassurant que l'homme entretenait lorsqu'il voyait en un Dieu absolument extérieur l'étalon de toutes ses actions.

Le travail, nouveau visage de la « divinité suprême »,caractérise la perpétuation de la maladie qui ronge l'individu : le refus de la vie.

Cette nouvelle idole, ce nouvelopium du peuple après la religion, traduit encore une fois la faiblesse de l'homme, et le soumet sans peine àl'impossibilité d'exprimer ses tendances fondamentales.

En termes nietzschéens, le travail est ici ramené au stade defausse valeur, de valeur refuge permettant d'être rassuré à bon compte sur le manque d'ambition existentielle dontnous faisons facilement preuve.

En restant dans l'ordre des besoins, l'homme ne prend pas d'altitude, au moins nerisque t il pas le vertige.

Toute société qui n'enseignerait que le travail serait donc une société sans perspective.

Atravers cette conception ressort donc l'idée que si l'individu a à faire un effort, c'est celui de se connaître lui-même,et non de s'installer dans des catégories qu'on lui impose.

L'aliénation que produit le travail est source de cetteabsence que l'homme entretient vis-à-vis de lui-même.

Et si Marx repensera cette méfiance, il faut rappeler pourconclure ce que déjà Hegel disait sur l'aliénation de l'individu par le travail : « Je puis aliéner à un autre, pour untemps déterminé, l'usage de mes aptitudes corporelles et intellectuelles et de mon activité possible, parce que danscette limite elles ne conservent qu'un rapport extérieur avec la totalité et la généralité de mon être ; maisl'aliénation de tout mon temps réalisé dans le travail et de la totalité de ma production ferait de ce qu'il y a là-dedans de substantiel, c'est-à-dire de mon activité générale et de ma personnalité, la propriété d'autrui » ( Principes de la philosophie du droit , I, 1, C : « aliénation de la propriété »).

Conclusion Nietzsche ne s'y trompait pas qui soupçonnait bien que l'insistance avec laquelle on glorifiait la valeur morale dutravail était rien moins qu'innocente, mais bien plutôt désireuse de dissimuler sous des discours édifiants une volontésourde de capter les forces créatrices, de les détourner de leur vocation naturelle (la pensée, le plaisir) pour lesinvestir dans des activités socialement utiles.

Sur ce point, il rejoint Freud pour qui la civilisation est « quelquechose d'imposé à une majorité récalcitrante par une minorité ayant compris comment s'approprier les moyens depuissance et de coercition » ( L'avenir d'une illusion ).

Cet extrait nietzschéen est bien aussi une forme d'appel à la conscience de l'homme, une volonté de réveiller l'individu de son sommeil idéologique.

On présente ainsi, pourterminer, la suite du texte : « Etes-vous complices de la folie actuelle des nations qui ne pensent qu'à produire leplus possible et à s'enrichir le plus possible ? Votre tâche serait de leur présenter l'addition négative : quellesénormes sommes de valeur intérieure sont gaspillées pour une fin aussi extérieure ! Mais qu'est devenue votre valeurintérieure si vous ne savez plus ce que c'est que respirer librement ? Si vous n'avez même pas un minimum demaîtrise de vous-même ? ».

NIETZSCHE (Friedrich-Wilhelm). Né à Rocken en 1844, mort à Weimar en 1900. Il fit ses études à l'école de Pforta, puis, renonçant à la carrière ecclésiastique, il les termina aux Universités deBonn et de Leipzig.

La lecture de Schopenhauer et la rencontre avec Wagner sont les événements capitaux decette période.

En 1868, Nietzsche est nommé professeur de philologie grecque à l'Université de Bâle ; il conserva ceposte jusqu'en 1878, date à laquelle il fut mis en congé définitif pour raisons de santé.

Commence alors la série desvoyages de Nietzsche en Italie : Gênes, l'Engadine, Rapollo, Nice, la Sicile, Rome, Venise, lisant Empédocle, jouantChopin et Rossini.

Il découvrit Stendhal et Bizet.

Il passe les mois d'été à Sils-Maria, dans une petite chambre, faceà la montagne.

C'est à Turin, en janvier 1889, qu'il fut terrassé dans la rue par une crise de démence, probablementd'origine syphilitique, et qui se termina par la paralysie générale.

Ramené à Bâle, Nietzsche dut être interné quelquetemps dans une maison de santé ; puis, sa soeur l'accueillit auprès d'elle, à Weimar, où il mourut le 25 août 1900.

La. »

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