Devoir de Philosophie

Peut-on douter de tout?

Publié le 20/03/2011

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On peut considérer le doute comme inséparable, et même constitutif, de toute véritable entreprise philosophique. De Socrate à Descartes, en passant par les sceptiques, en effet, on retrouve ce doute. Chez Socrate, le doute est synonyme de critique et de remise en cause de tout ce qui présente comme savoir (définitif). Chez les sceptiques, le doute est une attitude de suspens : on dit que, étant donné la nature (précaire) de l'homme, on ne peut rien affirmer avec certitude, mais qu'on doit au contraire douter de tout. Chez Descartes, on retrouve le même doute radical que chez les sceptiques, mais, avec un mélange du doute socratique : le doute radical sert à ne pas être dupe des opinions ou des faux savoirs; c'est une méthode qui sert à nous purger de nos illusions, et à atteindre la vérité, sans se précipiter. Mais si le doute nous est présenté comme attitude philosophique par excellence, est-il quelque chose de si positif? La question même de savoir si on peut douter de tout semble entraîner un doute quant à la valeur même du doute. La question semble en effet présupposer qu'il est peut-être exagéré de douter de tout : peut-être une vie humaine n'est-elle pas possible si on se met réellement, dans la vie quotidienne, à douter de tout, car ce serait rester en suspens (cf. étymologie du mot) et donc à la limite se laisser mourir. En tout cas, se demander si "on peut" douter de tout, c'est sous-entendre que douter de tout est quelque chose qui ne va pas de soi, qui pose problème : que, si ce n'est pas impossible, ce sera au moins difficile. Il faut donc se demander s'il y a des limites au doute, et cela, au sens à la fois théorique, moral, et politique. Ce qui reviendra à se demander jusqu'où va la liberté de penser (d'abord au sens théorique, ie, au sens où elle n'entraîne aucune conséquence pratique sur la vie des gens), et aussi, au sens pratique, ie, au sens où cette fois notre doute a des conséquences sur notre conduite et peut-être la société toute entière. Bref le doute : attitude positive, ou négative? Est-il seulement une attitude théorique, n'ayant de conséquences que pour la cohérence de la pensée avec elle-même, ou bien est-ce une attitude qui a des conséquences pratiques? (selon réponse, on répond à première question différemment) Bref : le problème posé par le sujet est double. D'abord, il pose le problème de savoir s'il existe des connaissances indubitables. Ensuite, il pose le problème de la liberté, à la fois intellectuelle et politique, de l'homme.     I-LA POSSIBILITE A LA FOIS MORALE ET RATIONNELLE DE DOUTER DE TOUT.   A-SOCRATE ET LES VERTUS DU DOUTE (DEFINI COMME ATTITUDE CRITIQUE).   Pourquoi ne pourrait-on pas douter de tout? En effet, comme nous l'a montré Socrate, le doute est cette attitude critique vis-à-vis de tout ce qui passe pour certain, ou de ce qui se donne comme un savoir. Ne pas se remettre en question est l'attitude dogmatique que combat la philosophie. Le doute a plus de vertu que l'assurance des dogmatiques. (développer, à l'aide d'un texte) Pour Socrate, douter de tout, ne rien prendre comme allant de soi, pour acquis, est un devoir pour l'homme. Il va donc de soi que l'homme peut douter de tout, à la fois au sens de la capacité (l'homme ne serait pas ainsi fait qu'il lui serait impossible de remplir ce qui par définition fait qu'il deviendrait vraiment un homme) mais aussi au sens de droit à (si c'est un devoir moral, alors, ce n'est pas immoral et donc aucun droit ne saurait aller contre).   Le doute, c'est ce qui permet le progrès de l'humanité, à la fois au sens moral mais aussi au sens historique, scientifique, etc. Car douter ce n'est rien d'autre que faire preuve d'esprit critique. B- LA POSSIBILITE RATIONNELLE DU DOUTE RADICAL IMPLIQUE QU'AUCUNE CONNAISSANCE HUMAINE N'EST FONDEE (CERTAINE).   Mais si douter c'est faire preuve d'esprit critique, et se caractérise comme une attitude anti-dogmatique, peut-on pour autant douter de tout, à l'infini? N'y a-t-il rien d'assuré en ce monde, n'y a-t-il pas pourtant des connaissances dont il paraît être humainement ou rationnellement impossible de douter? Bref : n'y a-t-il aucune connaissance indubitable?   Peut-on douter des connaissances qui passent pour être les plus assurées?   1) Les connaissances immédiates/perceptives   Pour le savoir, partons de la connaissance la plus immédiate (la perception), donc, la moins complexe, et qui bénéficie au premier abord d'une telle évidence, qu'il paraît absurde de la remettre en cause. Par exemple : je suis assis à ma table, en train d'écrire ces lignes sur mon ordinateur, etc. Peut-on douter de cette connaissance perceptive? Ie, existe-t-il de (bonnes) raisons pour dire que peut-être il n'est pas vrai que je suis en ce moment assis à ma table, en train d'écrire ces lignes? Que peut-être il n'y a même pas de table, ie, de monde extérieur? Ici, peut-on aller jusqu'à dire qu'il faut faire preuve d'esprit critique et ne pas se précipiter, ie, ne pas considérer mon inclination immédiate (qui me pousse à croire que cette perception est certaine) comme certaine, comme indubitable? Ie : le doute ne rencontre-t-il pas ici ses limites, et ne deviendrait-il pas négatif, pour ne pas dire incongru? (C'est bien ce que veut dire Woody Allen à travers cette formule ironique : "si le monde extérieur n'existe pas, alors, j'ai payé ma moquette beaucoup trop chère").   On peut pourtant répondre qu'ici, le doute est de rigueur : non seulement, il est possible, mais on peut encore parler d'un devoir à le faire. En effet, si je réfléchis bien sur cette connaissance immédiate, je me rends compte que je ne peux, dans le domaine des sensations, être certain d'être dans le vrai. Par exemple, peut-être y a-t-il un savant fou qui est en train de simuler mes organes récepteurs et m'envoie la perception : "en ce moment je suis (je sens que…) à ma table en train d'écrire des mots sur mon ordinateur". Or, comment puis-je le savoir? Comment puis-je vérifier que ce n'est pas le cas? Je ne peux en effet par définition sortir de moi-même, de mes organes récepteurs, qui sont la seule chose dont je dispose pour avoir affaire au monde extérieur, afin de vérifier si ma perception correspond au monde extérieur, et s'il y a même un monde extérieur -comme l'a bien montré Berkeley, je ne peux avoir accès à quelque chose non perçu; or, si tout ce que je peux connaître, n'est connaissable qu'à travers mes facultés de connaître, je peux toujours douter du fait que mes perceptions correspondent bien au monde tel qu'il est vraiment, et même, qu'un monde extérieur existe.   Dans ce domaine de la connaissance immédiate, le doute est donc rationnel, possible, puisque nous ne pouvons jamais être certain d'être dans le vrai. Puisque je ne peux donner de bonnes raisons pour établir que nous avons une réelle connaissance, alors, non seulement, je peux en douter, mais aussi, je dois en douter (puisqu'elle peut être fausse).   2) Mais peut-on pour autant douter de toutes les autres connaissances humaines, telles que celles qui me sont transmises par des livres, donc, par la société à laquelle j'appartiens? Ne passent-elles pas pour les plus assurées?   Ces connaissances sont diverses : on a l'histoire, la religion, la science, etc. On nous les enseigne comme étant certaines, ou, du moins, on ne nous apprend pas à en douter. Comme le dit Wittgenstein, dans De la certitude, §310 à 312, si l'élève se mettait à interrompre sans cesse le maître en exprimant des doutes, par exemple quant à l'histoire (genre : comment savez-vous que Louis XIV a réellement existé?), alors, il se mettrait en position de non-apprentissage. "Un tel doute, dit Wittgenstein, est comme creux". Ie : il n'a aucun sens.   Pourtant, ne peut-on penser que cet élève n'a pas si tort que cela? N'est-il pas possible de douter même de ce genre de connaissances? L'histoire ne repose-t-elle pas après tout, tout autant que l'enseignement de la Bible, sur le témoignage des autres? N'est-elle pas dès lors de l'ordre de la croyance? Peut-être après tout nous a-t-on menti! Cf. journalistes qui peuvent nous faire croire n'importe quoi.   En fait, comme l'a bien montré Hume, dans l'Enquête sur l'entendement humain (Section IV, 1), toute connaissance en tant que telle, ie, toute connaissance à caractère informatif, qui porte sur le monde, est révocable, est incertaine. En effet, contrairement aux vérités mathématiques, la plupart des connaissances humaines portent sur le monde, sur des "choses de fait" ("matters of fact"). On ne peut douter des vérités mathématiques, car elles portent seulement sur des "relations d'idées" (relations of ideas). Par exemple : même s'il n'existait aucun triangle dans la nature, le théorème de Pythagore serait toujours vrai. Il s'agit de vérités éternelles, qui ne changent jamais et qui ne sont donc pas révisables. On ne peut sans contradiction envisager leur remise en cause, puisque l'on ne peut prouver sans contradiction leur fausseté possible. Par contre, toutes les autres connaissances portent sur le monde, et peuvent toujours changer; on peut toujours, dit Hume, démontrer le contraire. Il est donc possible, rationnellement, de douter de la majeure partie de nos connaissances, parce qu'on ne peut jamais en être certain.   Ce qu'elles nous affirment peut toujours se révéler être faux demain, etc   Ceci vaut bien évidemment même des connaissances "scientifiques", qui passent, dans le sens commun, pour être les mieux établies, et indubitables. Or, portant par définition sur le monde, celles-ci ne peuvent mériter l'appellation de "vérités éternelles". Les vérités scientifiques sont des vériéts empiriques, portant sur des "choses de fait", donc, elles peuvent ne pas être vraies, elles peuvent même devenir fausses (cf; fait que la théorie de Galilée a été remplacée par celle de Newton, celle de Newton par celle d'Einstein, et que la théorie d'Einstein est loin d'être définitivement établie) : par conséquent, nous sommes bien en présence d'un domaine logiquement incertain. Nous pouvons donc en douter, il n'y a là rien de logiquement impossible, d'incohérent. Comme nous l'a bien montré Popper dans Conjectures et réfutations, c'est que tout ce que nous pouvons assurer, c'est qu'une théorie scientifique n'est pas encore fausse…   Nous pouvons même aller plus loin et dire qu'il est de notre devoir de douter des "vérités" scientifiques. En effet, toujours selon Popper, la science doit procéder par conjectures et réfutations successives, si elle veut pouvoir progresser. Et plus elle va mettre à l'épreuve de l'expérience ses théories, plus elle va pouvoir être sûre de cette théorie. En effet, plus on aura fait d'expériences susceptibles de la réfuter, plus elle sera confirmée par les faits. Si nous avons dit ci-dessus qu'il était logiquement possible de douter des théories scientifiques, nous affirmons maintenant qu'il faut les soumettre au doute, à l'esprit critique. Une science qui ne le ferait pas serait une pseudo-science, ou un dogme, mais certainement pas une vraie science. Ainsi peut-on reprocher à la psychanalyse de tout faire pour que son hypothèse de l'inconscient soit infalsifiable, hors d'atteinte, ie, indubitable. D'un point de vue théorique, ou plus précisément épistémologique, il nous est apparu impossible de douter de tout. L'homme n'en a pas les capacités, car il lui faut toujours partir de quelque part, et/ ou, s'arrêter quelque part. Il y a toujours des choses qui, dans l'entreprise du doute, restent indubitables, ou du moins, qu'on continue de prendre comme allant de soi. De même, du point de vue de la vie quotidienne, nous en sommes arrivés à la conclusion selon laquelle on ne peut douter de tout, sous peine de mort ou de folie. Ici, l'incapacité est plus totale encore que ci-dessus, car les risques étaient seulement alors logiques. Mais, en nous interrogeant sur la légitimité du doute dans le domaine politique, nous avons réussi à retrouver la connotation positive du doute, de la critique, telle qu'on la trouvait chez les philosophes depuis Socrate. En effet, nous avons conclu, avec Kant, que le doute sur les choses dites sacrées n'est pas illégal mais au contraire une sorte de devoir. Seul il peut permettre à l'humanité un progrès véritable, et à la liberté d'être effective.  

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