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« QU'EST-CE QUE LA PROPRIÉTÉ? »

Publié le 22/08/2011

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Qu'est-ce que la propriété? D'où vient la propriété? Que veut la propriété? Voilà le problème qui intéresse au plus haut degré la philosophie; le problème logique par excellence, le problème de la solution duquel dépendent l'homme, la société, le monde. Car le problème de la propriété, c'est sous une autre forme le problème de la certitude; la propriété, c'est l'homme; la propriété, c'est Dieu; la propriété, c'est tout. Or, à cette question formidable, que les légistes répondent, en balbutiant leurs a priori : la propriété est le droit d'user et d'abuser, droit qui résulte d'un acte de la volonté manifesté par l'occupation et l'appropriation; il est clair qu'ils ne nous apprennent absolument rien. Car, admettant que l'appropriation soit nécessaire à l'accomplissement de la destinée de l'homme et à l'exercice de son industrie, tout ce que l'on en peut conclure est que, l'appropriation étant nécessaire à tous les hommes, la possession doit être égale, partant toujours changeante et mobile, susceptible d'augmentation et de diminution, nonobstant le consentement des possesseurs, ce qui est la négation même de la propriété. ( ..) Que les économistes, appuyés sur leurs inductions utilitaires, viennent à leur tour et nous disent : l'origine de la propriété, c'est le travail. La propriété, c'est le droit de vivre en travaillant, de disposer librement et souverainement de ses épargnes, de son capital, du fruit de son intelligence et de son industrie; leur système n'est pas plus solide. Si le travail, l'occupation effective et féconde, est le principe de la propriété, comment expliquer la propriété chez celui qui ne travaille pas? comment justifier le fermage? comment déduire de cette formation de la propriété par le travail, le droit de posséder sans travail? comment concevoir que d'un travail soutenu pendant trente ans résulte une propriété éternelle? La religion vient à son tour consacrer la propriété. A ce signe, on peut juger du peu de solidité de ce principe. Mais la société, autrement dit la Providence, n'a pu consentir à la propriété qu'en vue du bien général; est-il permis, sans manquer au respect dû à la Providence, de demander d'où viennent alors les exclusions?... Que si le bien général n'exige pas absolument l'égalité des propriétés, du moins il implique une certaine responsabilité de la part du propriétaire; et quand le pauvre demande l'aumône, c'est le souverain qui réclame sa dîme. D'où vient donc que le propriétaire est maître de ne rendre jamais compte, de n'admettre qui que ce soit, et pour si peu que .ce soit, en partage? Sous tous les points de vue, la propriété reste inintelligible; et ceux qui l'ont attaquée pouvaient être certains d'avance qu'on ne leur répondrait pas, comme ils pouvaient compter aussi que leurs critiques n'auraient pas le moindre effet. (...) Enfin un critique est venu, qui, procédant à l'aide d'une argumentation nouvelle, a dit : La propriété, en fait et en droit, est essentiellement contradictoire, et c'est par cette raison même qu'elle est quelque chose. En effet, La propriété est le droit d'occupation; et en même temps le droit d'exclusion. La propriété est le prix du travail; et la négation du travail. La propriété est le produit spontané de la société; et la dissolution de la société. La propriété est une institution de justice, et la propriété, C'EST LE VOL. De tout cela il résulte qu'un jour la propriété transformée sera une idée positive, complète, sociale et vraie; une propriété qui abolira l'ancienne propriété et deviendra pour tous également effective et bienfaisante. Et ce qui le prouve, c'est encore une fois que la propriété est une contradiction. De ce moment la propriété commença d'être connue : sa nature intime fut dévoilée, son avenir prévu. Et toutefois l'on put dire que le critique n'avait rempli que la moitié de sa tâche, puisque, pour constituer définitivement la propriété, pour lui ôter son caractère d'exclusion et lui donner sa force synthétique, il ne suffisait pas de l'avoir analysée en elle-même, il fallait encore retrouver l'ordre d'idées dont elle n'était qu'un moment particulier, la série qui l'enveloppait, et hors de laquelle il était impossible ni de comprendre, ni d'entamer la propriété. Sans cette condition, la propriété, gardant le statu quo, restait inattaquable comme fait, inintelligible comme idée; et toute réforme entreprise contre ce statu quo ne pouvait être, à l'égard de la société, qu'une reculade, sinon peut-être un parricide. Il faut une autre construction logique, il faut trouver la progression dont la propriété n'est qu'un des termes, construire la série hors de laquelle la propriété, n'apparaissant que comme un fait isolé, une idée solitaire, reste toujours inconcevable et stérile; mais dans laquelle aussi la propriété reprenant sa place, et par conséquent sa véritable .forme, deviendra partie essentielle d'un tout harmonique et vrai, et, perdant ses qualités négatives, revêtira les attributs positifs de l'égalité, de la mutualité, de la responsabilité et de l'ordre.

PROUDHON. Philosophie de la misère (1846), Chapitre VIII.

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