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À quoi bon raisonner ?

Publié le 17/01/2004

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). La raison existe et a une puissance réelle en l'individu, mais elle se heurte en permanence à des obstacles qui lui sont extérieurs. Peut-on alors toujours parler de toute-puissance de la raison et dire, par exemple à la manière des stoïciens, que le plein exercice de la raison constitue à faire en sorte qu'elle ait prise sur tout ce qui se confronte à elle, afin de lui assurer une entière domination ? Ou bien faut-il au contraire adopter une position désabusée, qui est celle que semble présupposer la formulation du sujet, et refuser d'accorder à la raison beaucoup de pouvoir pour peut-être lui préférer d'autres instances - et célébrer par exemple la folie, l'intuition ? C'est une alternative difficile à trancher ; il faudra en examiner les deux branches pour prendre finalement position. Références utiles Marc Aurèle, PenséesÉrasme, Éloge de la folieTextes à utiliser Descartes, Lettres à Elisabeth, Lettre du 18 mai 1645Il me semble que la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires, consiste principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions, et ne sont heureuses ou malheureuses que selon que les choses qui leur surviennent sont agréables ou déplaisantes ; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants que, bien qu'elles aient aussi des passions, et même souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les affections mêmes leur servent, et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie. (...) Ainsi, ressentant de la douleur en leur corps, elles s'exercent à la supporter patiemment, et cette épreuve qu'elles font de leur force, leur est agréable, ainsi voyant leurs amis en quelque grande affliction, elles compatissent à leur mal, et font tout leur possible pour les en délivrer, et ne craignent pas même de s'exposer à la mort pour ce sujet, s'il en est besoin. Mais, cependant, le témoignage que leur donne leur conscience, de ce qu'elles s'acquittent en cela de leur devoir, et font une action louable et vertueuse, les rend plus heureuses, que toute la tristesse, que leur donne la compassion, ne les afflige. Et enfin, comme les plus grandes prospérités de la fortune ne les enivrent jamais, et ne les rendent point plus insolentes, aussi les plus grandes adversités ne les peuvent abattre ni rendre si tristes, que le corps, auquel elles sont jointes, en devienne malade.

A quoi nous sert la raison ? A comprendre et organiser le monde qui nous entoure, à être capable de dépasser certaines impulsions et de peser le pour et le contre dans diverses situations qui exigent des choix de notre part... Qu’est-ce qui peut aller contre la raison ? Ses propres défaillances (maladies mentales, par exemple), mais aussi des obstacles présents naturellement dans le monde environnant (d’autres personnes, également dotées de raison, qui s’opposent à nous, des obstacles physiques, sociaux…). La raison existe et a une puissance réelle en l’individu, mais elle se heurte en permanence à des obstacles qui lui sont extérieurs. Peut-on alors toujours parler de toute-puissance de la raison et dire, par exemple à la manière des stoïciens, que le plein exercice de la raison constitue à faire en sorte qu’elle ait prise sur tout ce qui se confronte à elle, afin de lui assurer une entière domination ? Ou bien faut-il au contraire adopter une position désabusée, qui est celle que semble présupposer la formulation du sujet, et refuser d’accorder à la raison beaucoup de pouvoir pour peut-être lui préférer d’autres instances – et célébrer par exemple la folie, l’intuition ? C’est une alternative difficile à trancher ; il faudra en examiner les deux branches pour prendre finalement position.

« Introduction Le langage courant comprend le terme « raisonner » en deux sens différents, qui paraissent opposés de prime abord.

En effet, il désigne, d'une part, le faitde se servir de la raison pour connaître ou pour juger ; nous pouvons alors dire de quelqu'un qu'il raisonne bien ou juste, lorsque son discours repose sur unraisonnement correct.

Mais d'autre part, il signifie chercher à faire entendre raison, à convaincre ; par exemple, d'un enfant turbulent, nous dirons qu'il fautle raisonner, c'est-à-dire le rendre à la raison par le seul usage du discours.

Par conséquent, raisonner consiste à connaître justement, mais aussi àpersuader.

Cependant, ces deux acceptions ne doivent pas être entendues comme strictement opposées.

En effet, on peut raisonner afin d'acquérir une justeconnaissance des choses, mais on veut par-là même persuader son interlocuteur du bien fondé de cette connaissance ; et réciproquement, on le persuaded'autant plus qu'on a développé un raisonnement permettant d'établir fermement une connaissance.

De plus, la connaissance comme la persuasion font lemême usage de la raison dans leur discours, c'est-à-dire argumentent en vue de gagner l'interlocuteur à leur cause.

La formulation particulière de notre sujet laisse entendre que l'acte de raisonner doit être justifié, parce qu'il ne s'avère pas nécessairement utile.

A cetégard, trois types d'argument peuvent plaider en faveur de son inutilité.

Tout d'abord, un argument sceptique, qui consiste à affirmer qu'aucuneconnaissance ne peut être établie par l'usage de la raison.

Ensuite, un argument moral, qui assimile le raisonnement à la persuasion et le condamne au nomd'une valeur transcendante, qu'il s'agirait d'accepter sans discourir d'avantage.

Enfin, un argument pragmatique, fondamentalement déceptif, tendant àmontrer qu'aucun raisonnement ne peut changer le cours des choses, et que l'on ferait mieux de le suivre au lieu d'ergoter vainement.

Dès lors, notreproblème consistera à montrer pour quels motifs le fait de raisonner se justifie toujours.

I.

Réfutation de l'argument sceptique : raisonner permet d'acquérir une connaissance vraie L'argument sceptique en faveur de l'inutilité du raisonnement se résume à dire qu'il ne nous donne aucune connaissance vraie.

Raisonner n'aurait doncpas plus de valeur qu'un discours vain nourri de l'illusion de la vérité.

Nous montrerons, d'une part, que cet argument est réfutable, et d'autre part, qu'ilest paradoxal, en ce qu'il fait lui-même usage d'un raisonnement. a. Dans le Ménon (81a-86c), Platon entreprend de réfuter cet argument sceptique.

La célèbre thèse défendue par les sophistes consiste à affirmer qu' on ne peut chercher ce qu'on connaît (car, on le connaît), et ce qu'on ne connaît pas (car, on ne sait pas ce que l'on doit chercher).

La réfutation de cette thèse permet de vérifier la théorie de la réminiscence, pour laquelle le savoir consiste à se ressouvenir par un raisonnement.

Socrate commence partracer un carré de 2 pieds de côté, puis demande à l'esclave de Ménon avec quelle ligne on obtiendra un carré de 8 pieds de surface.

L'esclave avoue qu'il l'ignore, mais Socrate entreprend de le questionner, afin de l'amener à la bonne solution.

Après avoir doublé les côtés et obtenu 4 carrés égaux,l'esclave s'aperçoit que la diagonale engendre l'espace double.

Par conséquent, c'est en raisonnant qu'il parvient à établir de lui-même uneconnaissance vraie.

L'argument sceptique est réfuté, car la dialectique – que Socrate définit comme maïeutique (l'art d'accoucher les esprits) – nouspermet d'atteindre la vérité. b. De plus, l'argument sceptique repose sur un paradoxe.

En effet, si l'acte de raisonner s'avère inutile, le sceptique ne peut énoncer cet argument qu'enraisonnant à son tour.

A utrement dit, on ne peut rendre compte de l'inutilité du raisonnement, qu'en faisant usage d'un raisonnement.c. II.

Réfutation de l'argument moral : raisonner permet de persuader justement L'argument moral entend montrer l'inutilité du raisonnement par sa nature persuasive.

Si, comme nous l'avons dit dans notre introduction, l'acte deraisonner est toujours un acte de persuasion, alors il est moralement condamnable, voire politiquement dangereux.

L'histoire de la philosophie fait ainsiétat des nombreuses accusations, dont on fait l'objet les philosophes de la part des autorités religieuses et politiques.

Socrate a été emprisonné, puisempoisonné par la cigüe, parce que son discours a été jugé subversif pour la jeunesse athénienne (cf.

l' Apologie de Socrate et le Criton de Platon).

De même Spinoza, Voltaire, Rousseau, ont-ils été condamné à l'exil.

Raisonner est un acte condamnable en vertu de sa nature persuasive et subversive.Mais s'il en est ainsi, c'est qu'il fait usage du langage, qui est par nature une puissance de tromperie et d'illusion. a. Dans le Sophiste (235d-236c), Platon définit la technique du sophiste comme un art du simulacre, où la copie simule le modèle, c'est-à-dire lui ressemble par la seule apparence ( « on sacrifie les proportions exactes pour y substituer les proportions qui feront illusion » ).

Le pouvoir mimétique du langage s'assimile à une tromperie, en ce qu'il ne nous donne que l'apparence de la réalité.

P laton peut ainsi le condamner pour des raisons morales ;dans la République (III, 392b-394c), par exemple, le poète Homère est accusé d'user du pouvoir du langage en imitant la voix des héros dont il narre les aventures.

Mais ce pouvoir d'imitation du langage se double d'un pouvoir de persuasion.

Dans le Gorgias , Platon s'attaque ainsi à la rhétorique du sophiste, qui vise à flatter son auditeur, à l'endormir par ses figures de style, à seule fin de le persuader. b. Tout raisonnement, quel qu'il soit, fait usage du langage, et par conséquent, peut persuader son auditeur par les seules apparences.

C'est là un dangerqui lui est intrinsèquement lié.

Mais le raisonnement se caractérise aussi par une exigence de vérité.

C'est pourquoi dans le Phèdre , Platon entreprend de reconsidérer ses propos qui condamnaient la rhétorique.

En effet, le raisonnement du sophiste est condamnable, parce qu'il n'est pas proprement unraisonnement, c'est-à-dire qu'il n'argumente pas de manière rationnelle.

A la mauvaise rhétorique du sophiste, Platon peut donc opposer celle duphilosophe, qui consiste dans l'art dialectique.

Par conséquent, l'argument moral n'a qu'une portée limité, car il ne peut condamner toute forme deraisonnement.

Au contraire, l'acte de raisonner, qui consiste à argumenter par la seule raison en vue de la vérité, échappe à toute réfutation de naturemorale. c. III.

Réfutation de l'argument pragmatique : raisonner permet d'acquérir une connaissance juste L'argument pragmatique considère inutile le raisonnement, en vertu du temps précieux qu'il nous fait perdre sur le cours des événements.

Raisonnernous empêche d'agir, alors que la nécessité de l'action nous presse.

En outre, cela ne nous permet pas d'avoir une connaissance juste de l'acte àaccomplir, car celle-ci ne se décide qu'au moment même de l'acte. a. Cependant, cet argument ne permet pas de montrer l'inutilité du raisonnement.

Dans l' Éthique à Nicomaque (livre V I), Aristote montre que le prudent, c'est-à-dire l'homme d'action qui agit justement, doit s'adapter aux événements contingents auxquels il fait face, mais aussi connaître la droite règlede ses actes.

En effet, nous ne pouvons agir avec justesse, que si nous avons une connaissance des principes qui doivent guider notre action.

Il estvrai qu'il nous faut aussi faire preuve d'une grande faculté d'adaptation, pour ne pas manquer la fin visée.

Mais cette adaptation rapide exigée par lesévénements n'exclut pas le raisonnement.

Bien au contraire, elle suppose la connaissance de leur nature, ainsi que de la fin et des moyens de notreaction, qui supposent une certaine forme de raisonnement. b. Aristote considère que l'action humaine obéit à un raisonnement, et n'est pas motivé par le seul désir comme chez l'animal.

C e raisonnement consisteessentiellement en une délibération, qui nous fait connaître les moyens les plus appropriés à la réalisation de la fin visée.

Par conséquent, l'argumentpragmatique se trouve retourner contre lui-même : nous ne pouvons agir et nous adapter aux événements, qu'à l'aide d'un raisonnement. c. Conclusion En conclusion, l'acte de raisonner a la plus haute valeur pour l'homme.

En effet, il nous permet de découvrir la vérité, mais aussi de persuader autrui en legagnant à nos arguments, et de conduire efficacement nos actions.

Aussi son utilité nous apparaît-elle évidente, tant sur le plan théorique, que pratique etpragmatique.

En outre, ses accusateurs commettent bien souvent une pétition de principe, en ce qu'ils se servent eux-mêmes d'un raisonnement pourjustifier leur condamnation.

Enfin, l'homme a acquis sa dignité d'être intelligent par l'acte même de raisonner.. »

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