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La Science et l'hypothèse

Publié le 22/02/2012

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Ne pouvons-nous nous contenter de l'expérience toute nue ? Non, cela est impossible ; ce serait méconnaître complètement le véritable caractère de la science. Le savant doit ordonner ; on fait la science avec des faits comme une maison avec des pierres ; mais une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison. [...] Un fait est un fait ; un écolier a lu tel nombre sur son thermomètre, il n'avait pris aucune précaution ; n'importe, il l'a lu, et s'il n'y a que le fait qui compte, c'est là une réalité [...]. Pourquoi le fait que cet écolier a fait cette lecture est-il sans intérêt, tandis que le fait qu'un physicien habile aurait fait une autre lecture serait au contraire très important ? C'est que de la première lecture nous ne pouvons rien conclure. Qu'est-ce donc qu'une bonne expérience ? C'est celle qui nous fait connaître autre chose qu'un fait isolé ; c'est celle qui nous permet de prévoir, c'est-à-dire celle qui nous permet de généraliser. Car sans généralisation, la prévision est impossible. Les circonstances où l'on a opéré ne se reproduiront jamais toutes à la fois. Le fait observé ne recommencera donc jamais ; la seule chose que l'on puisse affirmer, c'est que dans des circonstances analogues, un fait analogue se produira. Pour prévoir il faut donc au moins invoquer l'analogie, c'est-à-dire déjà généraliser. Si timide que l'on soit, il faut bien que l'on interpole ; l'expérience ne nous donne qu'un certain nombre de points isolés il faut les réunir par un trait continu ; c'est là une véritable généralisation. Mais on fait plus, la courbe que l'on tracera passera entre les points observés et près de ces points ; elle ne passera pas par ces points eux-mêmes. Ainsi on ne se borne pas à généraliser l'expérience, on la corrige ; et le physicien qui voudrait s'abstenir de ces corrections et se contenter vraiment de l'expérience toute nue serait forcé d'énoncer des lois bien extraordinaires. Les faits tout nus ne sauraient donc nous suffire ; c'est pourquoi il nous faut la science ordonnée ou plutôt organisée. Henri POINCARÉ, La Science et l'hypothèse, 1902. Flammarion, 1968, pp. 157-159.

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