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La structure des Fleurs du mal de Baudelaire

Publié le 07/09/2013

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baudelaire

Un voyage initiatique

Les Fleurs du Mal décrivent un voyage initiatique. En dépit

de la division thématique et de la fragmentation en poèmes

distincts, il est aisé d'y lire une histoire, une histoire intérieure,

l'histoire d'une âme. Le livre est composé de six

parties qui dessinent une courbe descendante. Un premier

groupe de poèmes est construit sur une opposition entre

l'évocation d'un idéal inaccessible et les retombées dans· le

spleen. L'oscillation permanente et sans issue entre les élans

de foi et les crises de doute est dominée par la conscience

douloureuse du .Temps que le poète désigne comme

« l'Ennemi « :

"O douleur! O douleur! Le Temps mange la vie,

Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le coeur

Du sang que nous perdons croît et se fortifie ! ,,

Ce cycle est quantitativement le plus important du recueil

puisqu'il contient plus de la moitié des poèmes qui composent

celui-ci, exactement 85 pièces sur un total de 126 dans l'édition

de 1861. Et il n'est pas fortuit que le dernier poème de

cette partie s'intitule « L'Horloge « et exprime l'urgence morale

impliquée par la fuite du temps. La répétition fatidique

des battements de l'horloge rappelle à l'homme que le temps

lui est compté et qu'il a le devoir d'en faire un bon usage, de

l'employer à son salut au lieu de le gaspiller en plaisirs qui

l'épuisent et hâtent sa perte. Dans des vers qui font écho à

une autre allégorie, celle développée par Balzac dans La

Peau de chagrin, Baudelaire insiste sur cette antinomie entre

l'intensité et la durée, à l'origine du pacte faustien:

" Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues

Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or!,,

Il importe toutefois de remarquer que cette dualité entre le

«Spleen « et I '« Idéal « ne doit pas se comprendre comme une

«opposition«, mais comme une« réversibilité«. Le spleen est

la condition de l'idéal et réciproquement. C'est la soif d'un

idéal impossible qui engendre le désespoir du spleen. C'est

l'ennui du spleen qui suscite le désir d'un idéal de plénitude

et d'harmonie où l'être s'épanouirait totalement, éternellement,

«sans restes«. Pourtant, c'est avec les déchets de la

vie, les scories de la réalité, que le poète va construire avec

son oeuvre un monument expiatoire au Dieu caché qui a jadis

expulsé l'humanité coupable vers les ténèbres inférieures où

depuis elle se débat.

Ainsi, le spleen et l'idéal dessinent un cercle à l'intérieur de

ce premier pan de l'architecture des Fleurs du Mal. Mais ce

cercle lui-même s'inscrit à l'intérieur d'un cercle plus vaste

qui embrasse l'ensemble du livre. Ce rapport, non linéaire

mais concentrique, entre la première partie de l'oeuvre et les

autres, permettrait de justifier leur étonnante disproportion

qui semble en contradiction avec le souci d'une construction

strictement ordonnée constamment affirmé par Baudelaire.

Certes, on peut comprendre l'abandon d'une composition

fondée sur le nombre qui apparaît dans la deuxième édition

par la crainte de «s'enfermer dans un système« et par la

volonté de «chercher asile dans l'impeccable naïveté« que

Baudelaire exprimait déjà dans son compte rendu de !'Exposition

universelle de 1855. Pourtant, dans cette deuxième

édition, loin de renoncer à doter son oeuvre d'une composition

interne, Baudelaire s'est ingénié à rendre cette organisation

thématique encore plus évidente. Ainsi, le lien entre

cette première partie, qui constitue un bloc autonome, et

celles qui suivent s'affirme dans le désir d'échapper à la

conscience du temps et à une inquiétude sans cause, car elle

provient de l'être même, elle est inhérente à sa condition, elle

est «ontologique«. Pour résoudre l'angoisse métaphysique

qui l'étreint dans un cercle sans issue, le poète cherche à

sortir de soi, à se fondre au monde extérieur. Il se transforme

alors en «homme des foules« et se laisse captiver par les

charmes horribles et délicieux de la grande ville, la métropole

moderne.

baudelaire

« clé du rapport de l'œuvre à la vie est dans une notion centrale de la poétique baudelairienne qui a donné à un titre la force d'un manifeste : la réversibilité.

Cela explique à la fois la minceur et la grandeur d'une œuvre en perpétuel devenir et condamnée à l'inachèvement.

Les Fleurs du Mal, c'est, d'une part, la vie faite œuvre, l'être et le temps humains transmués en langage, mais c'est en même temps la création poétique saisie à jamais dans sa gangue de chair: c'est ce patient assemblage de mots qui fait un poème, cette constellation sans cesse changeante et mouvante de· poèmes qui fait un livre, mots et poèmes révélés dans leur fragilité, emportés dans un courant qui est celui de l'existence, avec tout ce que celle-ci comporte de rare et de banal, d'uni­ que et de commun, de fugace, de hasardeux et d'éternel.

Bribes Cette osmose qui rend l'œuvre et la vie aussi indissociables que des vases communicants explique le choix par Baudelaire d'un terme aussi surprenant au premier abord que celui de Bribes, pour titre de l'un de ses nombreux projets inaboutis.

Il est vrai qu'il ne s'agissait pas d'un titre général, mais aussi partiel que soit le regroupement de poèmes qu'il était appelé à désigner, un mot porteur d'un sens aussi facilement péjora­ tif ne laisse pas d'étonner sous la plume d'un poète aussi épris de perfection et aussi soucieux d'affirmer ses ambitions que l'était Baudelaire.

Or ces Bribes, en fait, découvrent incidemment le coin d'un voile que Baudelaire a lui-même jalousement gardé sur ce que l'on pourrait appeler le pôle négatif, minimaliste de sa poésie.

La tension vèrs la totalité, qui procède d'une exigence spiri­ tuelle très forte, du désir de sens, a, en effet, sa contrepartie, sa doublure, dans le miroitement et le vacillement de l'instant, c'est-à-dire dans la mobilité, l'instabilité précaire du Fragment.

Une poésie faite de bribes ne saurait être qu'une poésie jamais entièrement formée, une poésie qui reste à faire, qui est toujours en train de se faire, une poésie en état perma­ nent d'apprentissage.

Les bribes supposent les pertes, les bribes sont ce qui reste de l'expérience, les traces que le poète a su garder de cette expérience.. »

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