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Testament du Chevalier de Lorimier

Publié le 14/04/2013

Extrait du document

Vainqueurs des Français en 1763, les Britanniques dotent, en 1791, le Canada d’un acte constitutionnel qui institue un gouvernement représentatif et scinde le pays en deux provinces administrées par un lieutenant-gouverneur. Le refus de la Grande-Bretagne de doter le pays d'un véritable régime d'essence parlementaire suscite une fronde politique amorcée par le mouvement des patriotes dans les années 1820. Cette opposition se mue en rébellion dans les années 1837-1838, avec à sa tête deux hommes forts : Mackenzie qui fédère le mécontentement dans le Haut-Canada anglophone et Papineau à la tête des insurgés des francophones du Bas-Canada. Arrêté pour avoir participé à l’insurrection des patriotes, Charles de Lorimier rédige, le 14 février 1839 à la veille de son exécution, son testament politique dans lequel il revient sur la sincérité de son engagement en faveur de l'indépendance du Canada qui l'a conduit à participer à tous les mouvements armés contestant l'autorité de la couronne britannique, sans cependant que son action n'ait été « entachée d'aucuns des crimes qui deshonnorent l'humanité «.

Le testament du Chevalier de Lorimier

 

Prison de Montréal, 14 février 1839, 11 heures du soir,

 

 

Le public et mes amis en particulier, attendent, peut-être, une déclaration sincère de mes sentiments ; à l’heure fatale qui doit nous séparer de la terre, les opinions sont toujours regardées et reçues avec plus d’impartialité. L’homme chrétien se dépouille en ce moment du voile qui a obscurci beaucoup de ses actions, pour se laisser voir en plein jour ; l’intérêt et les passions expirent avec sa dépouille mortelle. Pour ma part, à la veille de rendre mon esprit à son créateur, je désire faire connaître ce que je ressens et ce que je pense. Je ne prendrais pas ce parti, si je ne craignais pas qu’on représentât mes sentiments sous un faux jour ; on sait que le mort ne parle plus et la même raison d’état qui me fait expier sur l’échafaud ma conduite politique pourrait bien forger des contes à mon sujet. J’ai le temps et le désir de prévenir de telles fabrications et je le fais d’une manière vraie et solennelle à mon heure dernière, non pas sur l’échafaud, environné d’une foule stupide en insatiable de sang, mais dans le silence et les réflexions du cachot. Je meurs sans remords, je ne désirais que le bien de mon pays dans l’insurrection et l’indépendance, mes vues et mes actions étaient sincères et n’ont été entachées d’aucun des crimes qui déshonorent l’humanité, et qui ne sont que trop communs dans l’effervescence de passions déchaînées. Depuis 17 à 18 ans, j’ai pris une part active dans presque tous les mouvements populaires, et toujours avec conviction et sincérité. Mes efforts ont été pour l’indépendance de mes compatriotes, nous avons été malheureux jusqu’à ce jour. La mort a déjà décimé plusieurs de nos collaborateurs. Beaucoup gémissent dans les fers, un plus grand nombre sur la terre d’exil, avec leurs propriétés détruites, leurs familles abandonnées sans ressources aux rigueurs d’un hiver canadien. Malgré tant d’infortune, mon cœur entretient encore du courage et des espérances pour l’avenir, mes amis et mes enfants verront de meilleurs jours, ils seront libres, un pressentiment certain, ma conscience tranquille me l’assurent. Voilà ce qui me remplit de joie, quand tout est désolation et douleur autour de moi. Les plaies de mon pays se cicatriseront après les malheurs de l’anarchie et d’une révolution sanglante. Le paisible canadien verra renaître le bonheur et la liberté sur le Saint-Laurent ; tout concourt à ce but, les exécutions mêmes, le sang et les larmes versées sur l’autel de la liberté arrosent aujourd’hui les racines de l’arbre qui fera flotter le drapeau marqué des deux étoiles des Canadas. Je laisse des enfants qui n’ont pour héritage que le souvenir de mes malheurs. Pauvres orphelins, c’est vous que je plains, c’est vous que la main sanglante et arbitraire de la loi martiale frappe par ma mort. Vous n’aurez pas connu les douceurs et les avantages d’embrasser votre père aux jours d’allégresse, aux jours de fête ! Quand votre raison vous permettra de réfléchir, vous verrez votre père qui a expié sur le gibet des actions qui ont immortalisé d’autres hommes plus heureux. Le crime de votre père est dans l’irréussite, si le succès eût accompagné ses tentatives, on eut honoré ses actions d’une mention honorable. « Le crime et non pas l’échafaud fait la honte. « Des hommes, d’un mérite supérieur au mien, m’ont battu la triste voie qui me reste à parcourir de la prison obscure au gibet. Pauvres enfants ! vous n’aurez plus qu’une mère tendre et désolée pour soutien ; si ma mort et mes sacrifices vous réduisent à l’indigence, demandez quelque fois en mon nom, je ne fus jamais insensible aux malheurs de mes semblables. Quand à vous, mes compatriotes, mon exécution et celle de mes compagnons d’échafaud vous seront utiles. Puissent-elles vous démontrer ce que vous devez attendre du gouvernement anglais !… Je n’ai plus que quelques heures à vivre, j’ai voulu partager ce temps entre mes devoirs religieux et ceux dus à mes compatriotes; pour eux je meurs sur le gibet de la mort infâme du meutrier, pour eux je me sépare de mes jeunes enfants et de mon épouse sans autre appui, et pour eux je meurs en m’écriant : Vive la liberté, vive l’indépendance !

 

 

Source : Chevalier de Lorimier, testament rédigé en la prison de Montréal, le 14 février 1839.

 

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