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ACTE V, SCENE I et SCENE III - CINNA DE CORNEILLE

Publié le 05/07/2011

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corneille

AUGUSTE Je te restituai d'abord ton patrimoine; Je t'enrichis après des dépouilles d'Antoine, Et tu sais que depuis, à chaque occasion, Je suis tombé pour toi dans la profusion: Toutes les dignités que tu m'as demandées, Je te les ai sur l'heure et sans peine accordées; Je t'ai préféré même à ceux dont les parents Ont jadis dans mon camp tenu les premiers rangs, A ceux qui de leur sang m'ont acheté l'empire, Et qui m'ont conservé le jour que je respire; De la façon enfin qu'avec toi j'ai vécu, Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu. Quand le ciel me voulut, en rappelant Mécène, Après tant de faveur montrer un peu de haine, Je te donnai sa place en ce triste accident, Et te fis, après lui, mon plus cher confident: Aujourd'hui même encore, mon âme irrésolue Me pressant de quitter ma puissance absolue, De Maxime et de toi j'ai pris les seuls avis, Et ce sont, malgré lui, les tiens que j'ai suivis; Bien plus, ce même jour, je te donne Emilie, Le digne objet des vœux de toute l'Italie, Et qu'ont mise si haut mon amour et mes soins, Qu'en te couronnant roi je t'aurais donné moins. Tu t'en souviens, Cinna, tant d'heur et tant de gloire Ne peuvent pas sitôt sortir de ta mémoire. Mais ce qu'on ne pourrait jamais s'imaginer, Cinna, tu t'en souviens, et veux m'assassiner.

SCENE III

En est-ce assez, ô ciel ! et le sort, pour me nuire, A-t-il quelqu'un des miens qu'il veuille encor séduire? Qu'il joigne à ses efforts le secours des enfers; Je suis maître de moi comme de l'univers; Je le suis, je veux l'être. O siècles! ô mémoire! Conservez à jamais ma dernière victoire ; Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous. Soyons amis, Cinna, c'est moi qui t'en convie. Comme à mon ennemi je t'ai donné la vie, Et, malgré la fureur de ton lâche dessein, Je te la donne encor comme à mon assassin. Commençons un combat qui montre par l'issue Qui l'aura mieux de nous ou donnée ou reçue. Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler; Je t'en avais comblé, je t'en veux accabler-: Avec cette beauté que je t'avais donnée, Reçois le consulat pour la prochaine année. Aime Cinna, ma fille, en cet illustre rang; Préfères-en la pourpre à celle de mon sang; Apprends sur mon exemple à vaincre ta colère; Te rendant un époux je te rends plus qu'un père.

L'ensemble. — Auguste a remporté sa dernière victoire, la plus difficile : au lieu de punir les conjurés, il leur pardonne et les comble de biens. Son âme a choisi la détermination qui lui coûtait le plus et sa volonté a été assez forte pour arriver à la réaliser. Ce pardon d'Auguste est à comparer avec celui de Prospéro, dans la Tempête, de Shakespeare, mais la clémence de Prospéro s'inspire peut-être de motifs encore plus élevés; il y entre moins d'orgueil. Dans cet acte qui émane d'une sorte de « virtuosité « de la volonté, Corneille a exprimé l'essence même de son idéal moral et dramatique, et son époque y a retrouvé la glorification d'une énergie, d'une maîtrise de soi qu'elle admirait et qu'elle tentait de manifester dans la vie.

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