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Cinna. ACTE II, SCENE I - CORNEILLE

Publié le 05/07/2011

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corneille

CINNA. Si l'amour du pays doit ici prévaloir, C'est son bien seulement que vous devez vouloir; Et cette liberté qui lui semble si chère N'est pour Rome, seigneur, qu'un bien imaginaire, Plus nuisible qu'utile, et qui n'approche pas De celui qu'un bon prince apporte à ses Etats: Avec ordre et raison les honneurs il dispense, Avec discernement punit et récompense, Et dispose de tout en juste possesseur, Sans rien précipiter, de peur d'un successeur, Mais, quand le peuple est maître, on n'agit qu'en tumulte, La voix de la raison jamais ne se consulte; Les honneurs sont vendus aux plus ambitieux, L'autorité livrée aux plus séditieux. Ces petits souverains qu'il fait pour une année, Voyant d'un temps si court leur puissance bornée, Des plus heureux desseins font avorter le fruit, De peur de le laisser à celui qui les suit ; Comme ils ont peu de part aux biens dont ils ordonnent, Dans le champ du public largement ils moissonnent; Assurés que chacun leur pardonne aisément, Espérant à son tour un pareil traitement; Le pire des Etats, c'est l'Etat populaire.

AUGUSTE. Et toutefois le seul qui dans Rome peut plaire. Cette haine des rois que depuis cinq cents ans Avec le premier lait sucent tous ses enfants, Pour l'arracher des cœurs, est trop enracinée.

MAXIME. Oui, seigneur, dans son mal Rome est trop obstinée; Son peuple qui s'y plaît en fuit la guérison ; Sa coutume l'emporte et non pas la raison;

CINNA. Depuis qu'elle se voit la maîtresse du monde, Depuis que la richesse entre ses murs abonde, Et que son sein, fécond en glorieux exploits, Produit des citoyens plus puissants que des rois, Les grands, pour s'affermir, achetant des suffrages, Tiennent pompeusement leurs maîtres à leurs gages, Qui, par des fers dorés se laissant enchaîner, Reçoivent d'eux les lois qu'ils pensent leur donner. Envieux l'un et l'autre, ils mènent tout par brigues Que leur ambition tourne en sanglantes ligues, Ainsi de Marius, Sylla devint jaloux; César, de mon aïeul Marc-Antoine, de vous; Ainsi la liberté ne peut plus être utile Qu'à former les fureurs d'une guerre civile, Lorsque, par un désordre à l'univers fatal, L'un ne veut point de maître, et l'autre point d'égal. En la main d'un bon chef à qui tout obéisse. Seigneur, pour sauver Rome, il faut qu'elle s'unisse Si vous aimez encore à la favoriser, Otez-lui les moyens de se plus diviser. Sylla, quittant la place enfin bien usurpée, N'a fait qu'ouvrir le champ à César et Pompée, Que le malheur des temps ne nous eût pas fait voir S'il eût dans sa famille assuré son pouvoir. Qu'a fait du grand César le cruel parricide, Qu'élever contre vous Antoine avec Lépide, Qui n'eussent pas détruit Rome par les Romains, Si César eût laissé l'empire entre vos mains? Vous la replongerez, en quittant cet empire, Dans les maux dont à peine encore elle respire, Et de ce peu, seigneur, qui lui reste de sang, Une guerre nouvelle épuisera son flanc.  

L'ensemble. — Cinna est une pièce particulièrement « politique « et c'est ce qui fit son succès. Auguste a fait mettre à mort le père d'Emilie, et a ensuite adopté la jeune fille. Mais celle-ci veut venger son père, elle pousse Cinna, qui l'aime, à conspirer contre l'Empereur. Dans cette scène, Auguste, qui ne se doute de rien, fait part à Cinna et à Maxime de son désir d'abandonner le pouvoir. Cinna l'en dissuade, car ainsi Emilie verrait sa vengeance lui échapper. Ce qui est intéressant dans ce passage, c'est la discussion politique, l'opinion exprimée au sujet des différentes formes de gouvernements. Corneille aimait ces exposés où s'exerçait son éloquence, et son époque, où apparaissaient déjà les idées de la Fronde, se réjouissait de retrouver sur la scène l'atmosphère de conspirations et les débats politiques au milieu desquels elle vivait alors.

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