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Alain, Propos sur l'éducation

Publié le 26/04/2011

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alain

Je n'ai pas beaucoup confiance dans ces Jardins d'enfants et autres inventions au moyen desquelles on veut instruire en amusant. La méthode n'est déjà pas excellente pour les hommes. Je pourrais citer des gens qui passent pour instruits, et qui s'ennuient à la Chartreuse de Parme ou au Lys dans la Vallée. Ils ne lisent que des œuvres de seconde valeur, où tout est disposé pour plaire au premier regard mais, en se livrant à des plaisirs faciles, ils perdent un plus haut plaisir qu'ils auraient conquis par un peu de courage et d'attention.    Il n'y a point d'expérience qui élève mieux un homme que la découverte d'un plaisir supérieur, qu'il aurait toujours ignoré s'il n'avait point pris d'abord un peu de peine. Montaigne est difficile; c'est qu'il faut d'abord le connaître, s'y orienter, s'y retrouver; ensuite seulement on le découvre. De même la géométrie par cartons assemblés, cela peut plaire; mais les problèmes plus rigoureux donnent aussi un plaisir bien plus vif. C'est ainsi que le plaisir de lire une œuvre au piano n'est nullement sensible dans les premières leçons; il faut savoir s ennuyer d'abord. C'est pourquoi vous ne pouvez faire goûter à l'enfant les sciences et les arts comme on goûte les fruits confits. L'homme se forme par la peine; ses vrais plaisirs, il doit les gagner, il doit les mériter. Il doit donner avant de recevoir. C'est la loi.    Le métier d'amuseur est recherché et bien payé, et, dans le fond, secrètement méprisé. Que dire de ces plats journaux hebdomadaires, ornés d'images, où tous les arts et toutes les sciences sont mis à la portée du regard le plus distrait? Voyages, radium, aéroplanes, politique, économique, médecine, biologie, on y cueille de tout; et les auteurs ont enlevé toutes les épines. Ce maigre plaisir ennuie; il donne un dégoût des choses de l'esprit, qui sont sévères d'abord, mais délicieuses. J'ai cité tout à l'heure deux romans qui ne sont guère lus. Que de plaisirs ignorés et que chacun pourrait se donner sous la condition d'un peu de courage! J'ai entendu raconter qu'un enfant trop aimé, qui avait reçu un théâtre de Guignol pour ses étrennes, s'installait à l'orchestre comme un vieil abonné, pendant que sa mère se donnait bien du mal à faire marcher les personnages et à inventer des histoires. A ce régime, la pensée s'engraisse comme une volaille. J'aime mieux une pensée maigre, qui chasse son gibier.    Surtout aux enfants qui ont tant de fraîcheur, tant de force, tant de curiosité avide, je ne veux pas qu'on donne ainsi la noix épluchée. Tout l'art d'instruire est d'obtenir au contraire que l'enfant prenne de la peine et se hausse à l'état d'homme. Ce n'est pas l'ambition qui manque ici; l'ambition est le ressort de l'esprit enfant. L'enfance est un état paradoxal où l'on sent qu'on ne peut rester; la croissance accélère impérieusement ce mouvement de se dépasser, qui, dans la suite, ne se ralentira que trop. L'homme fait doit se dire qu'il est en un sens moins raisonnable et moins sérieux que l'enfant. Sans doute il y a une frivolité de l'enfant, un besoin de mouvement et de bruit; c'est la part des jeux; mais il faut aussi que l'enfant se sente grandir, lorsqu'il passe du jeu au travail. Ce beau passage, bien loin de le rendre insensible, je le voudrais marqué et solennel. L'enfant vous sera reconnaissant de l'avoir forcé; il vous méprisera de l'avoir flatté. L'apprenti est à un meilleur régime; il éprouve le sérieux du travail; seulement, par les nécessités mêmes du travail, il est mieux formé quant au caractère, non quant à l'esprit. Si l'on apprenait à penser comme on apprend à souder, nous connaîtrions le peuple roi.    Alain, Propos sur l'éducation (1932).    Vous ferez à votre guise, soit un résumé de ce texte (en en respectant le mouvement), soit une analyse (en en dégageant les idées principales et en rendant compte de leurs rapports, sans vous attacher à suivre l'ordre d'exposition). Vous indiquerez nettement en tête de l'exercice le mot résumé ou le mot analyse.    Vous choisirez ensuite dans le texte un problème qui offre une réelle consistance et qui vous aura intéressé. Vous l'exposerez en précisant le point de vue de l'auteur, et vous présenterez votre avis personnel sous la forme d'une argumentation ordonnée menant à une conclusion.

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