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Alfred de Musset, Salon de 1836 (texte)

Publié le 31/03/2011

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musset

 Je crois qu'une œuvre d'art, quelle qu'elle soit, vit à deux conditions : la première, de plaire à la foule, et la seconde, de plaire aux connaisseurs. Dans toute production qui atteint l'un de ces deux buts, il y a un talent incontestable, à mon avis. Mais le vrai talent, seul durable, doit les atteindre tous deux à la fois. Je sais que cette façon de voir n'est pas celle de tout le monde. Il y a des gens qui font profession de mépriser le vulgaire, comme il y en a qui n'ont foi qu'en lui. Rien n'est plus fatal aux artistes ; car qu'arrive-t-il ? Qu'on ne veut rien faire pour le public, ou qu'on lui sacrifie tout. Les uns, fiers d'un succès populaire, ne songent qu'au flot qui les entoure, et qui, demain, les laissera à sec. Les conseils qu'on leur donne se perdent dans le bruit; l'équité leur paraît envie. Couronnée une fois, leur ambition meurt de joie; ils craignent d'étudier, de peur de différer d'eux-mêmes, et que leur gloire ne les reconnaisse plus. Les autres, trompés par les louanges de leurs amis, le succès manquant, s'irritent ; ils se croient méconnus, mal jugés, et crient à l'injustice. « On les délaisse, disent-ils, et pourtant messieurs tels ou tels, qui s'y connaissent, les ont applaudis. « Qui ne les goûte pas est ignorant ; ils travaillent pour trois personnes ; l'orgueil les prend, les concentre, les enivre, et le talent meurt étouffé. Je voudrais, autant qu'il est en moi, pouvoir combattre cette double erreur. Il faut consulter les connaisseurs, et apprendre d'eux à se corriger et se montrer fier de leurs éloges ; mais il ne faut pas oublier le public. Il faut chercher à attirer la foule, à être compris et nommé par elle, car c'est par elle qu'on est de son temps ; mais il ne faut pas lui sacrifier l'estime des connaisseurs, ou, qui pis est, son propre sentiment. On se récriera sur la difficulté de réunir deux conditions pareilles. Il est vrai que c'est difficile, car il est difficile d'avoir un vrai talent. Mais qui aime la gloire doit le tenter. Ne travailler que pour la foule, c'est faire un métier ; ne travailler que pour les connaisseurs, c'est faire de la science. L'art n'est ni science, ni métier. Pour soutenir mon assertion, je choisirai quelques exemples. Que ceux qui ne recherchent que la popularité me disent ce qu'ils pensent des ouvrages de Maso Mansuoli, d'Arpino, de Santi Titi, du Laureti, du Ricci et de Zuggari. Ils ont régné en rois sur leur époque ; ils ont été les favoris de Pie IV, de Grégoire XIII, de Sixte V; ils ont été fêtés, enrichis, proclamés immortels; et Zuggari, appelé de Florence sur la demande expresse du pape, a sali de ses fresques la voûte de la chapelle Pauline, qu'avait ébauchée Michel-Ange. A ceux qui dédaignent la foule je ne citerai pas de pareils noms, mais je leur demanderai d'en citer un seul qui, glorieux aujourd'hui, ait été, de son temps, méconnu du public. Qui est-ce ? J'ai entendu dire qu'on en a trouvé dans l'histoire ; ce n'est qu'un rêve, ou pour mieux dire, qu'une gageure faite en haine des sots. Qu'il y ait eu des renommées tardives, je ne le nie pas. Le public est lent à arriver, il ne passe pas par les ruelles ; mais, s'il y a route, il arrive. (*) (...) Il n'y a pas de plus grande erreur dans les arts, que de croire à des sphères trop élevées pour les profanes. Ces sphères appartiennent à l'imagination. Qu'elle s'y recueille quand elle conçoit ; mais, la main à l'ouvrage, il faut que la forme soit accessible à tous. L'exécution d'une œuvre d'art est une lutte contre la réalité ; c'est le chemin par où l'artiste conduit les hommes jusqu'au sanctuaire de la pensée. Plus ce chemin est vaste, simple, ouvert, frayé, plus il est beau ; et tout ce qui est beau est reconnu tel, et à son heure. La nature, en cela comme en tout, doit servir de modèle aux arts ; ses ouvrages les plus parfaits sont les plus clairs et les plus compréhensibles, et nul n'y est profane. C'est pourquoi ils font aimer Dieu. Alfred de Musset, Salon de 1836. 1. Vous résumerez ce texte en 180 mots. Une marge de 10 % en plus ou en moins est admise. Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre de mots employés. 2. Expliquez d'après le texte le sens des expressions : — plaire aux connaisseurs, — Le public (...) ne passe pas par les ruelles. 3. « Il faut consulter les connaisseurs (...) mais il ne faut pas oublier le public. « Vous expliquerez le sens de cette formule et discuterez ce point de vue en empruntant, à votre gré, vos exemples à diverses formes d'art (littérature, peinture, musique, cinéma...).

 

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